L’ouvrage que René Heyer vient de publier aux Presses universitaires de France a trait aux aléas historiques et aux enjeux sociaux de la « condition sexuée ». Cet essai à visée anthropologique est original à plusieurs titres.
– La réflexion est celle d’un moraliste rétif au concordisme, au moralisme et à l’apologétique larvés auxquels s’abandonnent bien des théologiens qui abordent la question de la sexualité. Le choix de l’éditeur garantit à cet égard la justesse d’un écrit qui s’en tient aux faits et à l’analyse de la logique du discours chrétien.
– L’autre originalité du livre tient à la qualité de son écriture. La plume de l’auteur, alerte et serrée, manifeste la maîtrise de la langue et celle d’une question qui aura nourri autant de controverses que celles qui furent réglées aux conciles de Nicée et de Chalcédoine.
– La troisième spécificité de l’ouvrage tient à la finesse du propos et à la prudence de René Heyer. On relève en effet pas moins de neuf mentions du « comme si », cher à Kant, dans un écrit qui allie la rigueur à la circonspection et qui exige de son lecteur attention et persévérance.
L’essai comporte cinq parties auxquelles s’ajoutent en annexe trois contributions susceptibles d’apporter un complément d’information à certaines notions (la formation du lien du mariage chez Gratien ; aspect du féminisme en théologie ; questions sur la figure paternelle). Une brève introduction plante le décor. En voici l’incipit : « Émancipation des femmes, libération sexuelle, affirmation publique des unions homosexuelles : ces trois mouvements se suivent avec un succès si large qu’on en oublierait à quel point leur reconnaissance est récente » (p. 1). Ces nouveautés – qui ne relèvent pas des caprices passagers de la mode – ébranlent une tradition chrétienne peu préparée à prendre en compte les ruptures qu’elle a, paradoxalement, rendu possibles.
Le Christ de l’Évangile assurément ne parle pas de sexe, mais l’histoire de l’Église montre que celle-ci ne s’est pas lassée de manifester son intérêt pour celui-là. Cette curiosité pour la chose sexuelle aura imposé l’idée de différence, laquelle n’a pas cessé de troubler le sommeil des théologiens après avoir engendré les rêves des philosophes et nourri les questions des gouvernants.
Parce que l’homme est un « être social » (p. 9) qui se reproduit, il faut répondre à ces questions. Et pour ce faire, on commence par ordonner et définir les termes utilisés : sexuation au niveau de l’humanité, sexualité au niveau de l’individu, sexe et genre au niveau de la société. Pour René Heyer, il est cependant bien entendu que ces derniers termes « ne sont rien d’autres que des catégories […] utilisées par la société dans ses représentations » (p. 11).
Cela étant, l’auteur part du mouvement féministe qui revendique l’égalité des sexes, afin de mettre fin aux discriminations sociales dont les femmes n’ont pas cessé d’être l’objet au cours de l’histoire. Ce point de départ l’amène à mettre en avant le « principe de non-discrimination » (p. 3) qui « gouverne l’ordre politique de nos sociétés » (quatrième de couverture). La revendication féministe n’est pas sans ressemblance avec la prédication de s. Paul annonçant aux chrétiens : « il n’y a ni homme, ni femme ; car vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus » (p. 20).
L’enquête qui devrait confirmer une telle affirmation oblige cependant à reconnaître que, de l’Antiquité aux temps modernes, l’égalité politique des sexes est demeurée un vœu pieu. L’égalité devant Dieu serait-elle moins sujette à caution ? Les chrétiens, certes, posent « une égalité innée devant Dieu » (47) et celle-ci intègre l’égalité des sexes fondée sur le mariage. Mais cette dernière demeure secrète, réservée au face à face des conjoints. Il faudra attendre la constitution de 1791 pour que le contrat civil ratifie l’égalité des parties contractantes et consacre ainsi l’égalité privée des femmes et des hommes en justifiant la non-discrimination « qui aura incubé si longtemps » (p. 54).
La troisième partie de l’ouvrage, intitulée « Le sexe, l’âme et le plaisir » (p. 57), commence par rappeler l’épisode rocambolesque du prétendu concile de Mâcon, qui aurait suspecté l’existence de l’âme de la femme. L’anecdote permet à l’auteur de souligner le primat de la grammaire sur la valeur dénotative des mots. Un tel primat lui permet d’introduire la problématique du genre, qui enfièvre les cours et les bureaux de la Curie romaine. Et si aujourd’hui le sexe se réfère à la biologie signant l’incommensurabilité inhérente au bipartisme sexuel, il fut un temps où l’utilisation du masculin et du féminin permit, en tant que genre, d’utiliser les contraires du « plus » et du « moins » pour justifier la libido dominandi des mâles.
La libido se référant au plaisir, il convient de passer à l’étude du plaisir sexuel. Pour l’Antiquité, plaisir sexuel et plaisirs de la table sont analogues, gros de tous les excès. La morale est donc une « affaire de bon usage » (p. 71) et d’équilibre, lesquels impliquent la vertu des maîtres liés par l’amitié opposée à l’amour. Il faudra attendre Kant et Rousseau pour que l’amour se voie identifié au penchant sexuel et le plaisir au plaisir sexuel (p. 75). Rousseau invente le « mariage d’amour » (p. 79) : on se marie parce qu’on aime et quand on aime on s’ouvre à l’autre, à l’autre sexe qui fait passer le puceau impubère de l’amour-propre à la relation sociale. C’est ainsi que surgit « au cœur même de la politique […] l’éclat de l’intime, la jouissance de l’autre » (p. 88), en tant qu’autre jouissance.
La dernière partie de l’ouvrage précise le rôle du christianisme dans l’histoire de la pensée et des pratiques sociales propres à l’Occident. Ce rôle est celui d’un déplacement qui, à l’intérieur du christianisme, ménagera la possibilité de s’ouvrir au monde. Dès le 2e siècle, la cause de ce qui est vécu comme la fragilité de l’homme est déportée de la mort au sexe. Ce déplacement permet de passer de l’irrémédiable au possible. La gestion du sexe peut dès lors s’organiser et permettre de maîtriser une chair vouée au dérèglement. C’est pourquoi l’âme, la volonté et l’Esprit sont invoqués tour à tour pour conjurer la fragilité et les dérives du sexe, pour détacher l’homme de sa « nature physique » (p. 97) et l’ouvrir à l’universel. Cette dé-naturation n’est ni manichéenne ni encratiste ; les sacrements en témoignent qui conjuguent le corps et l’Esprit. Baptême et pénitence, mariage et eucharistie « prolongent le déportement initial qui avait déplacé l’accent du corps mortel vers le corps sexué » (p. 103).
L’apport du christianisme ne se limite pas à la seule réhabilitation du corps. De s. Augustin à s. Thomas, la théologie y ajoutera la notion de « relation subsistante » qui permet de penser aussi bien la structure relationnelle de la famille que celle du sujet. Ainsi, tout sujet humain, étant à la fois « sexué et de condition filiale », (p. 112) voit s’ouvrir devant lui « une promesse qui s’attache au rapport parental et au rapport conjugal » (p. 112). Cette promesse est l’effet de la lecture, car si le sujet est un sujet qui parle, il lit aussi sa propre fragilité, interprète les lois de la nature pure et décrypte « les traces événementielles de ce qui arrive » (p. 121). Et à quoi sommes-nous conviés ? À dépasser la malé-diction d’une chair déclarée pécheresse, pour reconnaître que le péché de l’homme – comme celui de l’ange – consiste à refuser « la possibilité de continuer à pouvoir choisir » en se réfugiant dans « l’assurance immobile de savoir » (p. 123).
Bref, l’homme comme l’ange est appelé à dépasser sa nature. Mais cet appel demeure un questionnement. Celui-ci invite à poursuivre une lecture qui mène vers une altérité « dont la substance est relation » (p. 131), ouverte sur une intimité abyssale qui entame aussi bien les théories morales que les productions théologico-politiques.Roland Sublon
Publié dans la collection « Traditio christiana », ce recueil de textes chrétiens antiques en suit les principes directeurs, avec quelques aménagements. Après avoir présenté l’organisation du recueil et ses thématiques dans une introduction claire et substantielle, l’auteur propose près de cent cinquante extraits, de longueur variable, regroupés en quatre sections. Dans la première ont été réunies des esquisses de biographies féminines, présentant des femmes apôtres, prophétesses, martyres, ascètes, veuves et diaconesses, docteures, épouses et mères. Parmi les écrits des martyres figure évidemment le récit de Perpétue, une des premières autobiographies féminines connues, et parmi les textes des ascètes, le journal d’Égérie. La deuxième section offre un aperçu suggestif sur des théories qui ont eu cours chez les chrétiens concernant l’identité et le salut des femmes : Ève et Marie, égalité et inégalité entre homme et femme, les doutes entretenus par certains écrits chrétiens sur la possibilité pour les femmes d’être image de Dieu, puis des extraits sur la projection de l’idéal masculin, la « femme virile », et enfin des témoignages sur la hiérarchie des sexes et la division du travail. La troisième section fait connaître cinq figures exemplaires : Proba, une poétesse chrétienne romaine, dont l’œuvre (entre 360 et 370) fut très lue, mais nullement recommandée par l’autorité ecclésiastique, puis Macrine, la sœur des saints Basile et Grégoire de Nysse, Marcella, l’ascète romaine qui appartenait au cercle hiéronimien, Olympias, la diaconesse de Constantinople, et Pulchérie, l’impératrice. La littérature à explorer est immense ; l’auteur a dû procéder à une sélection rigoureuse. Elle l’a fait en fonction des thèmes retenus et selon ce principe qu’elle énonce dans l’introduction : « On donnera la préférence à des textes parlant de manière positive des femmes et avant tout à des textes rédigés par des femmes et renseignant directement sur l’idée qu’elles avaient d’elles-mêmes » (p. XIV). On le sait, les textes négatifs ne manquent pas, à commencer par le Nouveau Testament, dont tous les extraits concernés, positifs et autres, ont été transcrits en tête de l’anthologie (p. 2-15). La littérature canonique est bien représentée dans le choix des extraits : conciles, canons de diverses provenances et attributions, recueils de traditions apostoliques, règlements sur les ministères, etc. La lecture du volume est très stimulante, elle permet aussi de découvrir des documents peu connus, elle contribuera certainement à renouveler les mentalités dans le domaine concerné.
Marcel Metzger
L’entreprise a commencé officiellement à Athènes, en septembre 1999, lors d’un congrès mémorable, qui fut le quatorzième de la Société pour le Droit des Églises orientales. Le thème en était : la situation des femmes dans les Églises orientales selon le droit canonique. Les seize contributions qui y furent présentées ont été publiées dans Kanon XVI (2000), sous le titre Mutter, Nonne, Diakonin, Frauenbilder im Recht der Ostkirche (Mère, moniale, diaconesse, modèles féminins dans le droit de l’Église orientale).Les perspectives étaient à la fois historiques et actuelles. Les contributions couvraient l’ensemble des situations prises en compte dans l’organisation des Églises : le statut des femmes en droit canonique, les normes les concernant pour le mariage et la famille, le diaconat féminin (j’avais été invité à intervenir sur ce sujet, voir p. 144-166), le monachisme féminin, les épouses des clercs, la participation des femmes aux activités catéchétiques et théologiques. La cheville ouvrière du congrès et maître d’œuvre de la publication, Eva M. Synek, a elle-même présenté et publié une importante contribution sur la réception et l’évolution, dans les Églises, des observances d’inspiration vétérotestamentaire, imposées aux femmes pendant les menstrues et après un accouchement.
L’ensemble de ces recherches a été poursuivi systématiquement à l’Institut Droit et Religion (nouvel intitulé : Philosophie du droit, Religions et Culture) de Vienne, par un séminaire dirigé par Richard Potz et Eva M. Synek, qui a mené des enquêtes et recueilli des contributions concernant huit Églises orthodoxes : Grèce, Chypre, Finlande, Roumanie, Russie, Serbie, Bulgarie, la huitième Église comprenant les éparchies de la République tchèque et de la Slovaquie qui, malgré la séparation politique, sont restées réunies. Le résultat des recherches vient d’être publié dans Kanon XVII. Pour chaque Église, l’enquête a porté sur les mêmes thèmes qu’au congrès d’Athènes, énumérés ci-dessus, et, en outre, sur la participation des femmes à la gestion des églises et paroisses, sur les normes en vigueur pour l’accès des femmes au sanctuaire dans les églises et sur les fonctions liturgiques ouvertes aux femmes dans les monastères et dans les paroisses.
Par l’ensemble de ces exposés, ce recueil fournit, par une documentation précise et de première main, les informations nécessaires à la connaissance de ces Églises, décrivant leur organisation et les contextes socio-politiques. En effet, chaque Église est présentée par son histoire particulière et dans sa situation actuelle. La présentation de l’Église russe est particulièrement développée, statistiques à l’appui. Celles des Églises de Grèce et de Chypre informent en détail sur les institutions paroissiales. À propos des pays jadis sous régime communiste, on explique aussi comment les Églises s’investissent de plus en plus dans le domaine social, parce que les États s’en dégagent, et comment elles gèrent les questions de bioéthique, en tenant compte pastoralement des mœurs admises sous les régimes athées.
De ce fait, la présentation de chaque Église dans son histoire permet d’apprécier comment ces communautés chrétiennes, et plus précisément des groupes et des mouvements de femmes orthodoxes, ont pu faire évoluer la discipline dans des situations souvent difficiles et l’adapter : invasions du pays et annexions, occupation ottomane, période soviétique (importance des femmes dans la transmission de la foi), retour à la liberté religieuse, invasion de la culture consumériste, apports des mouvements féministes modernes, etc.
La publication de ces études apporte un éclairage œcuménique à la pratique du droit canonique, car on y découvre comment, dans l’orthodoxie, ces deux principes de base que sont l’autonomie (le cas échéant, l’autocéphalie) et la synodalité permettent aux Églises d’évoluer localement, dans la souplesse, sans être obligées, du moins dans les domaines décrits, de solliciter des autorisations de la part d’instances lointaines ni de résoudre de façon uniforme des difficultés locales. De ce fait, un tel fonctionnement stimule la prise de responsabilité à divers échelons, pour faire évoluer la discipline et l’adapter à des situations nouvelles, selon l’évolution des sociétés. Les mouvements de femmes orthodoxes sont pleinement engagés dans cette dynamique et proposent des adaptations canoniques significatives, que leurs homologues catholiques osent à peine imaginer, comme l’onction des malades dans certaines situations (p. 8-9).
En Finlande, où la parité entre hommes et femmes est inscrite dans l’ensemble des institutions civiles, les Églises ne peuvent se dérober et les institutions orthodoxes s’y sont adaptées, elles aussi. Évidemment, un tel contexte pose à l’Église orthodoxe la question de l’ordination des femmes (p. 120). Or, l’Église de Grèce, quant à elle, a déjà rétabli le diaconat féminin, du moins et pour le moment dans les monastères, par une décision du Saint Synode en date du 8 octobre 2004 (voir p. VIII, IX, 6-8, 85-87).
Ce volume de Kanon XVII et l’équipe de recherche qui l’a publié, s’inscrivent dans le cadre des « Gender Studies », ou « Genderforschung » (p. VII). À cet effet, la contribution de A. M. Himmel-Agisburg, placée en tête du volume (p. 3-25), retrace l’histoire des mouvements de femmes orthodoxes, en présentant la série des conférences et consultations panorthodoxes qui en ont constitué les premières étapes (Agapia 1976, Rhodes 1988, Crète 1990), puis les autres rencontres qui ont contribué à tisser un réseau actif. Les documents correspondants sont produits en annexe.
Deux études historiques complètent le recueil et enrichissent son argumentaire. La première, rédigée par Mme Synek, étudie l’exercice du pouvoir par des impératrices et des régentes à Byzance, comme Irène (790, 797-802), avec des implications évidentes dans le domaine religieux. La seconde, due à F. Schipper, aperçoit l’origine et les premiers développements des monastères mixtes dans des engagements familiaux, entraînant toute la maisonnée dans la vie monastique, comme le révèle la Vie de sainte Macrine, écrite par son frère, Grégoire de Nysse (voir l’édition Sources chrétiennes, n° 178).
L’intérêt de ce recueil, Kanon XVII, est encore accru par les nombreuses informations rares que le canoniste peut glaner au long des pages. On apprend ainsi qu’en Russie, jusqu’au 17e siècle, la célébration religieuse du mariage était considérée comme un privilège de la noblesse et que le peuple s’en tenait à des coutumes ancestrales (p. 156). Mais on découvre surtout la place faite aux laïcs, hommes et femmes, dans la gestion des institutions des Églises orthodoxes. Une autre publication est venue confirmer et compléter ces informations : Le Concile de Moscou (1917-1918), de Hyacinthe Destivelle (Paris, Cerf, 2006). Mais la connaissance de l’Antiquité n’est pas en reste, puisque la collection « Traditio christiana » (Peter Lang, Berne, 2002) propose un volume sur les questions abordées ici, Femmes des premiers siècles chrétiens, de Anne Jensen.Marcel Metzger
« Quant aux femmes en période menstruelle […], si elles sont croyantes et pieuses, elles n’oseront en cet état ni s’approcher de la table sainte, ni toucher au corps et au sang du Christ […]. Celui qui n’est pas entièrement pur d’âme et de corps sera empêché de s’approcher du saint et du saint des saints. » Cet extrait d’une lettre de l’évêque Denys d’Alexandrie (en 262) a inspiré le titre de cette publication. La lettre a été reçue dans la collection des canons des Pères (concile In Trullo 691, canon 2 ; textes dans P.-P. joannou, Discipline générale antique, 1, 1, p. 123, et II, p. 12). Pourtant, l’évêque Denys n’avait certainement pas imaginé que les femmes du 21e siècle auraient un autre sentiment que celui qu’il présente comme allant de soi. Mais pendant des siècles, ce canon a imposé aux chrétiennes des Églises d’Orient les règles de pureté de l’ancienne Loi, en dépit de l’affranchissement obtenu par le Christ (Rm 7, 6). Des mouvements de femmes orthodoxes contestent le maintien de telles observances et ce livre, très documenté et bien argumenté du point de vue canonique, les accompagne et les éclaire dans leur engagement pour faire évoluer les mentalités et les usages.
La pratique dont faisait état Denys d’Alexandrie a abouti à de nombreux interdits, affectant la venue des chrétiennes dans l’église et leur contact avec les sancta, de la communion eucharistique jusqu’aux vases et objets liturgiques. Certaines interdictions sont temporelles, liées à la durée des menstrues ou de la « purification » après l’accouchement, mais d’autres sont permanentes, en tant que les femmes sont considérées comme inaptes à des fonctions et des services dans les églises, à cause de ces prétendues impuretés rituelles. De ce fait, dans la célébration baptismale, garçons et filles sont traités de façon inégalitaire dans les rites appelés ekklesiamos : le petit enfant est porté à l’église quarante jours après sa naissance ; si c’est un garçon, il est déposé sur l’autel, mais si c’est une fille, on ne la porte que jusqu’à l’iconostase.
L’auteur, qui dirige une équipe de recherches très active (Philosophie du droit, Religions et Culture, Vienne), poursuit, avec constance et rigueur, ses enquêtes sur la condition et les missions des femmes dans les Églises orientales. Elle a déjà publié une partie des recherches dans Kanon XVI (Mutter, Nonne, Diakonin, 2000), et dans Kanon XVII (Frauenrollen & Frauenrechte in der Europäischen Orthodoxie, 2005). Dans cette nouvelle publication, elle examine systématiquement, selon un parcours historique, la réception de ces observances de pureté liées à des phénomènes physiologiques. Elle s’intéresse principalement aux observances imposées aux femmes, mais, à l’occasion, elle étend son enquête à celles imposées aux hommes, et ne manque pas de signaler au passage la différence de traitement, en faveur des hommes, évidemment ! Les différentes questions canoniques et théologiques que posent ces observances en régime chrétien sont prises en compte, et l’auteur fournit dans chaque cas des éléments de réponse argumentés, en particulier sur les confusions entretenues, selon les cultures, entre inaptitude au culte et péché.
Le choc des cultures dans le monde actuel et l’ouverture des pays précédemment sous régime communiste provoquent la remise en question de ces interdits que le Nouveau Testament ignore. L’auteur met entre parenthèses les valeurs de sa propre culture religieuse, latine en l’occurrence, pour être à l’écoute des femmes concernées, dans les Églises orientales. Elle leur a donné la parole. Or, jusqu’à présent, les observances imposées aux femmes étaient débattues et décidées par des clercs masculins. Avec cette étude, ce sont des femmes qui prennent leur condition religieuse en main.Marcel Metzger
Ouvrage magistral d’un auteur que l’on ne présente plus, ce livre vient à son heure dans une Europe à la recherche de ses valeurs ; il rappelle aux civilistes comme aux canonistes l’œuvre considérable d’un avocat provençal, devenu parlementaire puis conseiller d’État et ministre des cultes sous l’Empire, ayant été « l’architecte du Code civil » (p. 185) et « l’artisan du Concordat » (p. 243). Marqué au coin de la modération et du réalisme politique, son Discours préliminaire au projet du Code civil figure, dans « l’anthologie de la pensée juridique », comme « le plus beau texte sur la législation qui en tout lieu ait jamais été écrit », estime Philippe Malaurie (Cujas, PUF, 1996, p. 146).
Le professeur J.-B. d’Onorio avait qualité pour rendre un hommage motivé à l’un des plus illustres juristes, ayant exercé à la charnière de l’Ancien droit et de la législation consulaire, issue de la Révolution ; par ses liens universitaires avec l’Institut Portalis et la Faculté de droit d’Aix-Marseille, il a dirigé en 2004 un ouvrage collectif sur Portalis le juste, publié par les Presses Universitaires d’Aix-Marseille.
L’avocat, diplômé in utroque jure, devait son talent à une connaissance approfondie des règles et des coutumes anciennes, associée à sa passion du droit romain et du droit canonique, ainsi qu’à son immense culture, qui firent sa réputation de jurisconsulte. Ainsi, avant Malesherbe mais pour un motif différent, il conclut, dans sa consultation de 1770, à « la validité des mariages protestants en France » (célébrés au Désert), en fondant sur la possession d’état une solution que l’Édit de Tolérance étendra, en 1787, à tout non catholique (cf J. Carbonnier, Droit civil, II, PUF, 1999, p. 691 et passim).
« Proscrit de la révolution », le jeune avocat trouve refuge à Lyon puis, de retour à Paris, il connaît la prison avant d’entrer au conseil des anciens (p. 117 et 137). Malgré une cécité précoce et grâce à sa prodigieuse mémoire, le parlementaire défend avec courage les familles d’émigrés et les prêtres réfractaires ; il soutient aussi la liberté de la presse (p. 148). Mais en 1797, fructidor le pousse à l’exil en Suisse puis en Allemagne où, pendant deux ans, il rédige un traité monumental de philosophie comparée et de science politique ; s’inspirant de Montesquieu, il y dénonce « les pièges de l’idéologie libertaire et de l’égalitarisme » (p. 161-179).
À la faveur du 18 Brumaire, Portalis rentre à Paris en février 1800 et doit à la protection de Cambacérès l’essor de sa carrière politique. Nommé au tout nouveau Conseil d’État puis à la commission de rédaction du Code civil, il y exerce une influence prépondérante : « restaurer la religion par le concordat et la société par le code, telles seront les deux grandes œuvres de Portalis », capable d’adapter la tradition à la modernité et, au besoin, de concilier les opinions antagonistes.
Sur le premier point, sa science du droit canonique le désignait à la préparation officieuse du concordat, conclu entre le Gouvernement et le Saint-Siège en 1801, et à la rédaction des Articles organiques visant l’Église catholique ainsi que ceux des cultes protestants. À ce titre, il devint directeur puis ministre des cultes, veillant à l’application de la loi du 18 Germinal X qui promulgua l’ensemble de ces textes. En ce sens, Portalis fut regardé comme « l’artisan du concordat » (p. 243), dans la mise en œuvre de celui-ci : ferme sur la liberté de conscience et celle des cultes, il veille en particulier à « l’unité de l’épiscopat », associant aux nouveaux prélats d’anciens évêques constitutionnels. Il n’hésite pas à tempérer le zèle ou la sévérité de tel ou tel (p. 266-271).
La tutelle administrative de l’État sur les ministres du culte perdit de sa rigidité initiale et ne semble pas avoir justifié l’image d’un « carcan », avancée par certains historiens. L’auteur regrette d’ailleurs « l’esprit même du pacte social, point d’équilibre élaboré par Portalis » ; dans une réconciliation concordataire certes laborieuse et, sur certains points discutable, l’héritage législatif de ce régime a subsisté avec bonheur dans les trois départements d’Alsace et de Moselle. Approuvés par la doctrine juridique, les pouvoirs publics surent conserver l’œuvre de Portalis, par une cohérence constitutionnelle entre la laïcité de la République et le respect de celle-ci « envers toutes les croyances, notamment en faveur des « Cultes reconnus » (cf. F. Messner et J.-M. Woehrling, Traité de droit français des religions, Litec, 2003, p. 139 et s.).
Mais l’œuvre législative du grand juriste s’exerça surtout dans la rédaction du Code civil, dont il fut tenu pour « l’architecte » (p. 185) et « le philosophe » aux yeux du Doyen J. Carbonnier.
Associé au génie politique de Bonaparte, Portalis possédait en effet celui du compromis, nécessaire pour surmonter les divergences idéologiques qui s’affrontèrent parfois lors de la rédaction, notamment à propos du mariage et du divorce. Féru de droit canonique, il fit prévaloir le caractère institutionnel de l’état matrimonial, irréductible à un contrat de droit commun (p. 215). Le divorce devint, en revanche, « une véritable pierre d’achoppement », en particulier sur le « consentement mutuel » qui opposa Portalis au Premier Consul. L’affrontement doctrinal ne s’étendit toutefois pas à « la consolidation de la famille et à sa restauration par le Code civil ». Enclin aux options de la droite, Portalis su modérer ses convictions afin de favoriser une transaction conforme aux positions de Bonaparte. Car celui-ci entendait soustraire le projet de l’An VIII aux « idéologues », soucieux de fonder la nouvelle législation sur des valeurs trop métaphysiques : ces esprits, selon lui, plus passionnés par la spéculation qu’attentifs aux leçons de l’histoire et à l’expérience du cœur humain (cf. J. Carbonnier, Essai sur les lois, Defrénois, 1979, p. 221-223).
« Pétri » de droit romain, le jurisconsulte d’Aix s’y réfère à maintes reprises, afin d’harmoniser les règles écrites et les coutumes de l’Ancien droit avec le légalisme issu de la Révolution, non sans un compromis souvent malaisé pour mettre « un vin nouveau dans l’outre ancienne » (p. 208-211). Grâce à l’héritage conceptuel d’Aristote, il tentera de sauvegarder les fondements du droit naturel, selon « l’esprit des siècles » intitulant l’ouvrage et repris dans le texte (p. 201). Portalis s’attache en effet à rechercher « la suprême raison fondée sur la nature des choses » : on croirait relire L’Esprit des Lois à propos de « leurs rapports avec l’ordre des choses », dans l’intitulé du 1er chapitre ouvrant le Livre XXVI ! Car, à l’instar de Montesquieu, il considère le droit naturel comme « l’âme du droit positif » (p. 202-205).
Par tous ces traits, le « grand Portalis » fut, aux yeux de Sainte- Beuve, « l’oracle du Conseil d’État et l’une des lumières du Consulat ».Georges Dole
L’ouvrage publié sous la direction de A. Melloni et S. Scatena, qui inaugure une collection (« Christianity and History ») créée sous les auspices de la Fondation Jean XXIII pour les sciences religieuses (Bologne), rassemble les textes des communications présentées au colloque international tenu à Bruges en 2003, à l’initiative de ladite Fondation, autour du thème de la synodalité, et qui avait réuni de nombreux spécialistes mondialement reconnus, appartenant à différentes confessions chrétiennes. Comme le sous-titre l’indique, la question de la synodalité fut envisagée par les organisateurs dans sa quadruple dimension, théologique, historique, canonique et œcuménique.
La synodalité comme mode de gouvernement de l’Église remonte à une très haute antiquité. Le « Concile apostolique » (Ac 15, 5-29), tenu selon la tradition à Jérusalem vers l’an 48, offrirait un premier modèle d’application concrète du principe synodal. Ce principe s’affirme avec force et trouve son expression la plus franche dans les conciles et synodes, régionaux et œcuméniques, réunis depuis, en particulier à partir du 4e siècle.
Cependant, ce mode collégial de gouvernement de l’Église ne manqua pas par la suite de provoquer questionnements et débats, suscités notamment par l’épineux problème de l’équilibre à maintenir entre pratique synodale et autonomie ecclésiologique des Églises locales et surtout par le centralisme qui s’imposait peu à peu au sein de l’Église catholique romaine. Ce n’était d’ailleurs pas un hasard que ce thème fût omniprésent au concile Vatican II, pour qui le dialogue œcuménique fut l’une des préoccupations majeures. Il n’a cessé depuis d’interpeller l’Église.
L’ouvrage, qui a pour ambition de faire le point sur cette question d’une criante actualité, ne renferme pas moins de trente contributions, rédigées en quatre langues différentes (anglais, français, italien et espagnol) et réparties en sept blocs : les fondements théologiques du principe de synodalité (5), le creuset historique (4), l’époque moderne (19e-20e s.) (4), la synodalité au niveau « régional » (3), un panorama de quelques cas de pratiques synodales au sein de l’Église catholique (4), gouvernement central et communion (5) et enfin quelques études de cas de prise de décision et de pratique synodale (5).
Il est naturellement impossible de présenter ici dans le menu détail le contenu de l’ensemble de ces contributions, et encore moins de les discuter ; nous nous contenterons par conséquent d’en dégager les grandes lignes.
L. Örsy « revisite » le principe de la collégialité épiscopale (p. 27-32). Il regrette que les pères du concile Vatican II se soient contentés d’en proclamer l’existence, sans aller jusqu’à reconnaître une véritable collégialité « à degrés variables » : en tant que « réalité théologique », pourvue d’un charisme propre, toute assemblée d’évêques, à condition naturellement qu’elle soit en communion avec le Pape, devrait être, selon L. Örsy, investie d’un authentique pouvoir collégial.
Cette forme de « collégialités intermédiaires » entre les Églises locales et l’Église universelle existe bien au niveau supranational, comme nous le montre M. Wijlens (p. 33-60), en Amérique latine (CELAM), en Asie (FABC), en Europe (CCEE, ComECE), etc. L’auteur pose la question de savoir si le concept de « synodalité », au lieu de celui de « collégialité », ne peut pas être plus fructueux pour mieux appréhender la coopération entre évêques au niveau régional.
Revenant sur les fondements théologiques de l’institution synodale, B. Flanagan expose la pensée du dominicain J.-M.-R. Tillard sur la synodalité et la collégialité, qui repose sur la notion de l’ « ecclésiologie de communion » et présente un certain nombre d’implications pratiques de la collégialité comme sacrement de communion (p. 61-73).
Le point de vue des Églises réformées est exprimé par A. Birmelé (p. 75-89). Partant d’une analyse historique de G. Hamman sur la synodalité, l’auteur voit dans le synode le « lieu ecclésial de l’unité dans la diversité » des différentes Églises issues de la Réforme.
Gilles Routhier (p. 91-103) plaide pour sa part pour une réflexion sur la synodalité qui soit affranchie des « insuffisances » dont elle a pu souffrir par le passé. Une telle réflexion devra intégrer, selon l’auteur, quatre éléments : une approche systémique de la question de la synodalité, une dimension œcuménique, une expression juridique de la réflexion théologique et enfin le développement d’une approche de théologie pratique.
J. Taylor reconsidère la question de l’historicité du « Concile apostolique » (p. 107-113). Sa conclusion est sans appel : le « Concile de Jérusalem », tel que décrit par Luc (Ac15, 5-29), n’a jamais eu lieu !
P. Bernardini offre un aperçu des travaux qui, durant les vingt dernières années, ont été consacrés aux conciles africains du 3e siècle (p. 115-142). Un précieux tableau, produit en annexe, énumère les conciles africains, réunis entre 220 et 535, avec la mention de la date, du lieu, du type et du nom du président de chacun d’eux.
Les vicissitudes que le Consistoire de l’Église catholique romaine (consistorium) a connues, en particulier durant la seconde moitié du 16e siècle, sont étudiées par M. T. Fattori (p. 143-172). L’auteur montre surtout comment ce collège de cardinaux fut alors sérieusement concurrencé par la Congrégation de l’Inquisition, puis par la Congrégation de la Sainte Inquisition, dont le rôle revêtit la forme d’un étroit contrôle du Collège, enfermé dés lors dans une obédience passive à l’égard du pontife romain.
R. A. Mentzer développe l’idée selon laquelle le principe fondamental d’égalité absolue entre les Églises locales se trouve à la base du système presbytéro-synodal, en vigueur au sein des Églises réformées (p. 173-184).
À la lumière du concile local tenu à Moscou en 1917-1918, H. Destivelle expose (p. 187-199) d’une part les différentes acceptions de la notion de « conciliarité » du point de vue de l’Église orthodoxe de Russie, et d’autre part la question de la participation des laïcs aux conciles locaux.
G. Schulz s’intéresse à son tour à cet important concile de Moscou (p. 201-212). Celui-ci a profondément marqué l’Église orthodoxe de Russie en ce qu’il a permis, dans un contexte révolutionnaire, la participation de tout le peuple de Dieu (clercs et laïcs) à la prise collégiale de décision et a permis à l’Église russe, dont la structure patriarcale s’est retrouvée restaurée, de survivre à l’ère soviétique.
L’histoire et les principes qui régissent le gouvernement synodal de l’Église d’Angleterre sont envisagés par C. Podmore (p. 213-236). Deux termes résument son évolution historique : continuité et adaptation. Pour ce qui concerne les principes, on retiendra le caractère permanent du synode ainsi que la place importante accordée aux laïcs. Ainsi, si le rôle de l’évêque demeure central – l’Église d’Angleterre étant épiscopale par excellence – celui-ci agit toujours de concert avec le clergé mais aussi avec les laïcs.
A. Indelicato revient (p. 237-261) sur le parcours qui a débouché sur l’institution, au concile Vatican II, du Synode des évêques (cf. motu proprio « Apostolica sollicitudo »). À travers une relecture des sources, l’auteur remarque que cette institution fut dictée par le concours de trois facteurs convergents, partiellement intentionnels : les orientations du pape, la subordination de la commission des évêques et la pression exercée par une partie de la Curie.
M. Faggioli s’intéresse à la pratique et aux normes relatives aux conférences épiscopales depuis Vatican II (1959-1998). L’auteur montre (p. 265-296) comment les pouvoirs de cette institution, plutôt étendus durant la période post-conciliaire (1966-1980), ont par la suite connu, surtout avec la promulgation du Codex Iuris Canonici en 1983 (cc. 447-459) et jusqu’au motu proprio « Apostolos suos » (1998), de sérieuses restrictions.
Ce même motu proprio avait, dans certains cas, substitué l’unanimité à la majorité des deux tiers pour l’adoption des décisions prises par les conférences des évêques. P. C. Noël décèle dans cette évolution des procédures de décision un enjeu pour la synodalité des conférences épiscopales (p. 297-313).
J. Grootaers se propose de revenir sur les « Huit Journées d’études germanophones » (« Internationale Studientagungen über Synodenfragen »), organisées entre 1969 et 1976, et consacrées aux six synodes nationaux réunis à la même époque aux Pays-Bas, en Allemagne (fédérale et démocratique), en Autriche, en Suisse et au Luxembourg. Les documents issus de ces Journées reflètent, selon l’auteur, le succès de l’idée des synodes « nationaux », mais aussi ses limites, puisque le mouvement finira par s’éteindre avec le déclin du pontificat du pape Paul VI.
L’absence d’études sur les pratiques synodales supra-diocésaines au Canada, incite Gilles Routhier à poser quelques jalons pour une telle étude (p. 345-372).
S. Arulsamy dresse un panorama des conférences épiscopales catholiques présentes en Inde (p. 373-426). Le pluralisme rituel qui caractérise ce pays explique l’existence de quatre conférences ou réunions épiscopales, dotées chacune de structures propres : « Catholic Bishop’s Conference of India » (CBCI), « Conference of Catholic Bishops of India » (CCBI), « Synod of Bishops of Syro-Malabar Major Archiepiscopal Church » (SMMAC), « Council of Syro-Malankara Church » (CMC).
Un exemple de synodalité romaine est donné, pour l’Afrique, par I. Ndongala (p. 427-433), à travers la Conférence épiscopale régionale de l’Afrique de l’ouest (CERAO), fondée en 1963.
Enfin pour la Belgique et les Pays-Bas, P. De Mey envisage les conférences épiscopales dans ces deux pays (p. 435-460). Il décrit essentiellement leurs champs d’action et leurs rapports avec Rome, avec d’autres conférences épiscopales ainsi qu’avec diverses structures synodales au niveau national.
G. Alberigo voit dans la conciliarité le futur de l’Église (p. 463-488). Le concept et l’expérience de la conciliarité ont cependant besoin d’un approfondissement doctrinal qui fait encore défaut.
L. Vischer (p.489-517) a choisi de s’intéresser au rôle joué par les « Communions chrétiennes mondiales » (« Christian World Communions » : CWC’s) dans le mouvement œcuménique, avant et après la création en 1948 du « Conseil œcuménique des Églises » (« World Council of Churches » : WCC).
La « Communion ecclésiale de Leuenberg » (devenue en 2003 « Communion des Églises protestantes en Europe »), fondée en 1973, fut un lieu de controverse autour de la nécessité ou non d’un synode protestant pan-européen. M. Friedrich récapitule l’histoire de cette Communion et développe les raisons du besoin d’une telle structure synodale (p. 519-530).
L’ecclésiologie de l’Église baptiste est fondée sur l’idée de l’Église croyante, composée de l’ensemble des fidèles qui ont reçu le baptême par immersion. B. J. Leonard montre comment, de type congréganiste, cette Église, à travers les congrégations et associations de congrégations, fait une large part à la participation des laïcs (p. 531-543).
La participation de l’Église méthodiste aux débats sur la synodalité est assurée par D. Carter (p. 545-556). L’auteur considère notamment que la tradition et la pratique de cette Église, dont l’ecclésiologie est finalement très proche de celle de l’Église romaine, peuvent apporter une précieuse contribution à la réflexion sur la synodalité, engagée au sein de l’Église catholique.
L’objet de l’étude proposée par L. Serrano Blanco (p. 559-583) est l’Assemblé conjointe (« Asamblea Conjunta de obispos y sacerdotes ») réunie dans l’Espagne franquiste en 1971 et qui, ayant réuni évêques et clercs, avait pour objectif la réception des décisions du concile Vatican II ainsi que la rénovation interne de l’Église d’Espagne, notamment pour ce qui touche aux mécanismes de prise de décisions, de collégialité, de coresponsabilité. L’A. produit en annexe les conclusions, au niveau des diocèses, de l’Assemblée conjointe de 1971.
Le contexte historique qui a présidé à la préparation puis à la réunion, à Medellin, de la Conférence des évêques d’Amérique latine (CELAM) est longuement étudié par S. Scatena (p. 589-646).
R. Puza examine la question de la synodalité, en particulier au niveau des diocèses, telle qu’elle se dégage des deux codes latins de 1917 et 1983 (p. 647-662).
L’avenir de la « Communion des Églises protestantes en Europe » (cf. supra), qui constitue un cas intéressant d’union entre différentes identités ecclésiales, est envisagé par E. Parmentier (p. 663-675). Cette communion déclarée demande encore à être réalisée. Cela passe nécessairement, selon l’auteur, par la mise en place de structures adéquates.
La dernière contribution (p. 677-702), celle de P. V. Aimone, traite de la participation des laïcs aux synodes diocésains durant la période post-conciliaire (1966-1983), en particulier au sein de l’Église suisse. Le « Synode 72 » (synodes réunis en 1972 simultanément dans les six diocèses de Suisse) est très instructif à cet égard ; il permet en effet de mesurer les difficultés qui découlent de l’interprétation des orientations romaines en la matière.
Il ne fait aucun doute que cet imposant ouvrage constitue désormais un passage obligé pour quiconque s’intéresse aux problèmes de la synodalité et de la collégialité comme mode de gouvernement des Églises. Si nous devions exprimer un regret, ce serait celui de ne pas voir examiné dans ce volume la pratique des Églises orientales en matière de synodalité. Structure originale propre à ces Églises, absolument distincte de la conférence épiscopale, le Synode patriarcal, instance suprême dotée d’importantes prérogatives, aurait notamment mérité une étude particulière. Mais il s’agit là d’une observation qui ne diminue en rien la grande valeur de cette publication.Marc Aoun
L’ouvrage publié sous la direction de Mme J. Flauss-Diem, professeur à l’Université de Picardie, rassemble les communications présentées lors d’une journée d’études, tenue à Strasbourg le 14 février 2003, sur le thème Secret, religion et normes étatiques. Comme le rappelle Mme J. Flauss-Diem dans la préface, les problèmes que suscite le secret en matière de religion avaient été particulièrement mis en lumière à l’occasion de l’affaire Pican, du nom de l’évêque de Bayeux-Lisieux, Mgr Pierre Pican, poursuivi pour n’avoir pas porté à la connaissance de la justice les actes de pédophilie, commis par un prêtre de son diocèse.
Un premier dossier, ayant trait au « secret dans les religions », avait été publié, en 2002, dans la Revue de droit canonique (t. 52/2, p. 241-354). Il avait réuni les contributions de nombreux auteurs à une journée d’étude consacrée au thème en question, et avait mis en évidence l’importante place que le secret occupe au sein de toutes les religions (et mouvements religieux), et qui se manifeste sous différentes formes et à plusieurs niveaux, en fonction de la religion concernée : en matière de confessions (de confidences, de révélations), de procès (canonique ou disciplinaire), de témoignage, d’administration des Églises…
Ce dossier, extrêmement riche en soi, se limitait cependant, volontairement, au secret à l’intérieur de chacune des religions. D’où l’idée d’élargir le débat et de confronter la question du secret religieux aux normes étatiques en vigueur, dans une perspective proprement juridique. C’est bien l’esprit qui a animé la journée d’étude à l’origine de la présente publication.
Mais peut-on appréhender la « phénoménologie » du religieux à travers le prisme du secret à partir de la seule exception française de la laïcité ? La réponse, évidemment négative, conduisit les organisateurs à faire appel à d’autres expériences, vécues dans un certain nombre de pays européens, ainsi qu’à sonder l’attitude de la Cour européenne des droits de l’homme en la matière.
Ces deux axes forment la trame générale de l’ouvrage, qui consacre ainsi sa première partie au « secret et [à la] religion en droit français » (p. 11-89), alors que la seconde partie s’intéresse au « secret et [à la] religion dans d’autres systèmes juridiques », y compris dans la Convention européenne des droits de l’homme et dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (p. 92-157).
Pour ce qui est du système français, trois domaines sont envisagés sous l’angle du secret religieux, respectivement celui du droit du travail (J. Bouton, p. 13-48), du droit pénal (J. Leblois-Happe, p. 49-74), et enfin celui se rapportant à la vie civile (J. Flauss-Diem, p. 75-89).
La législation du travail en vigueur exige le respect du secret des croyances religieuses du candidat à un emploi salarié. Cette exigence est induite par le principe de non discrimination qui s’impose à l’employeur. Le secret relatif aux convictions religieuses est donc un droit dont bénéficie tout candidat à un emploi quelconque. Ce droit au secret reste valable tout au long de l’exécution du contrat de travail, tout comme reste exigé le respect du principe de non discrimination de la part de l’employeur qui viendrait à avoir connaissance de la religion du salarié pendant l’exécution de la prestation de travail. Mais il est des cas où ce secret pourrait être levé. Une telle levée du secret des convictions religieuses est notamment obligatoire dans le cadre des entreprises de tendance (paroisses, associations, …) mais aussi, d’après la jurisprudence, dans les entreprises en général, si le salarié souhaite se prévaloir de ses engagements religieux dans le cadre de son contrat de travail. Le secret, droit dont jouit le salarié, peut être logiquement aussi levé à l’initiative de ce même salarié, aussi bien lors de son recrutement que plus tard, pendant l’exécution du contrat de travail.
Le secret religieux est également appréhendé par le droit pénal. Celui-ci le protège en principe, le combat à titre exceptionnel. La protection pénale du secret religieux découle de l’assimilation de celui-ci au secret professionnel, dont la levée volontaire et non justifiée constitue un délit sanctionnée par la loi. Mais le fait de taire un secret peut être dans certains cas pénalement répréhensible. Il en est ainsi notamment lorsqu’on a gardé le silence sur des infractions particulièrement graves - tel un crime ou des sévisses perpétrés à l’encontre d’un mineur de quinze ans - dont la dénonciation est exigée par la législateur sous peine de sanctions. C’est bien ce principe qui a été expressément étendu au secret religieux à l’occasion de l’affaire Pican, évoquée plus haut.
La trilogie « secret, religion, normes étatiques » ne se limite cependant pas au domaine de la vie privée stricto sensu ; certains aspects de la « vie civile » (au sens de civitas) se trouvent aussi directement concernés. Deux principes, celui de « pertinence » et celui de « contrôle légitime », peuvent en donner une bonne illustration : la religion peut-elle constituer un élément d’identification de l’individu ? Peut-elle être couverte par le secret qui s’applique à la vie privée en général, et qui découle principalement de l’article 9 du Code civil ?
Quant à la première question, d’une part plusieurs textes, aussi bien nationaux (lois du 6 janvier 1978 et du 4 mars 2002) qu’extranationaux (telle la directive communautaire du 12 juillet 2002) exigent la protection des données individuelles, dont l’appartenance religieuse fait partie intégrante. Toutefois, pour des motifs d’ordre public, de telles données, stockées par certains organismes spécialisés dans la collecte de données sensibles (tel Europol), peuvent êtres échangées à titre dérogatoire, la fin justifiant ainsi les moyens. D’autre part, l’identification des personnes demeure possible grâce à l’état civil, « grand livre de la vie privée ». En effet, bien qu’aucune mention de la religion ne peut être faite sur les actes d’état civil, certains éléments distinctifs, en particulier les noms et prénoms à connotation religieuse, peuvent rendre aisée une telle identification.
La seconde question pose le problème de la concordance entre religion et vie privée, dans la mesure où, en toute logique, toute manifestation publique de ses croyances ferait immanquablement échapper l’appartenance religieuse à la sphère de la vie privée. Or, la jurisprudence semble considérer les révélations faites dans certaines conditions comme pouvant constituer effectivement une atteinte à la vie privée, ouvrant droit à réparation.
La deuxième partie de l’ouvrage est consacrée aux questions que suscite le secret en matière de religion en Belgique (R. Torfs, p. 93-102), en Italie (S. Ferrari et D. Milani, p. 103-117), au Royaume-Uni (N. Doe et R. Ruston, p. 119-143), ainsi que dans la Convention européenne des droits de l’homme (G. Gonzalez, p. 145-157).
Le fondement légal du secret dans le domaine religieux découle en Belgique de l’article 458 du Code pénal qui dispose que « les médecins, chirurgiens, officiers de santé, pharmaciens, sages femmes et toutes les autres personnes dépositaires, par état ou par profession, d’un secret qu’on leur confie, qui, hors le cas où ils sont appelés à rendre témoignage en justice et celui où la loi les oblige à faire connaître ces secrets, les auront révélés, seront punis d’un emprisonnement de huit jours à six mois et d’une amende de 100 à 500 francs ». Il convient donc de compter les clercs au nombre de ces« autres personnes dépositaires, par état ou par profession, d’un secret ». Ne dit-on pas que le médecin est le confesseur du corps comme le prêtre est celui de l’âme ? Il s’agit en l’occurrence du secret de la confession et du secret religieux, le premier, en raison de sa nature même, étant absolu, contrairement au second.
À l’instar du droit français, la protection du secret connaît dans le droit belge un certain nombre de dérogations. Celles-ci ont trait à l’ordre public (art. 29 et 30 du Code d’instruction criminelle), à la protection des mineurs (art. 458 bis du Code pénal, inséré en 2000), ainsi qu’à la marge d’appréciation laissée au juge par l’art. 929 du Code judiciaire, à l’effet d’entendre (ou non) le témoignage d’un dépositaire d’un secret professionnel.
En droit pénal italien, la protection du secret religieux découle de celle s’appliquant de manière générale au secret professionnel. L’article 200 du Code de procédure pénale mentionne expressément, parmi les personnes tenues au secret professionnel, les « ministres des confessions religieuses » ; il prévoit également la possibilité pour le juge de s’opposer le cas échéant au refus de témoigner. Cet article est repris, avec une importante variante toutefois, dans l’article 4 du Concordat avec l’Église catholique et par les articles contenus dans les ententes avec l’Union des communautés juives et l’Église évangélique luthérienne. La variante en question tient à l’absence dans ces derniers textes de toute référence au pouvoir de juge de vérifier le bien-fondé du refus d’un ministre de culte de divulguer des informations recueillies dans l’exercice de son ministère.
Le droit anglais ignore pour sa part, traditionnellement, toute affirmation d’un droit spécifique à la protection de la vie privée. L’incorporation de la Convention européenne des droits de l’homme (dont l’article 8 est consacré à la protection de la vie privée) dans l’ordre juridique interne du Royaume-Uni (Human Rights Act, 1998) a toutefois permis d’atténuer ce principe. Cette évolution affecte tout naturellement le domaine du religieux.
L’inviolabilité du secret de la confession n’est pas aussi absolue dans le droit de l’Église anglicane d’Angleterre qu’il ne l’est dans le droit canonique de l’Église catholique (ou aussi dans celui de l’Église épiscopalienne d’Écosse). Plutôt qu’une obligation (can. 983, § 1 et 984, § 2 du CIC), il s’agit d’une recommandation, d’un devoir moral de ne pas révéler les informations recueillies dans le cadre de l’exercice du ministère sacré, en particulier lors de la confession (cf. can. 113 des Canons Ecclesiastical de 1603). Devant les juridictions étatiques, et à défaut de jurisprudence établie en la matière, rien ne permet de dire si le juge peut véritablement ou non contraindre un ministre sacré à violer le « sceau du confessionnal ». Mais il y a lieu de penser qu’au regard de la Convention européenne des droits de l’homme, qui fait depuis 1998 partie intégrante de l’ordre juridique anglais, sauf certains cas qui revêtent une gravité avérée, l’attitude du juge irait dans le sens du respect de la vie privée des individus concernés.
L’Église anglicane d’Angleterre (cf. Policy Statement on Child Abuse, 1995), mais aussi d’autres Églises non établies, comme l’Église anglicane du Pays de Galles (cf. The Care and Protection of Children : Statement of Policy and Guidance for Implementation, 1997) ou l’Église catholique romaine (cf. Rapport Nolan, 2001), ont de leur propre chef prit des mesures tendant à assurer une protection accrue d’une catégorie de personnes, jugée fragile, à savoir l’enfant. Ainsi, la divulgation de secrets ou de confidences, nécessaire à la protection de l’enfant, ne serait pas considérée comme une violation du principe de confidentialité.
En matière de détention d’informations personnelles, notamment par le biais de fichiers, il suffit de noter que la loi sur la protection de l’information (Data Protection Act, 1998) peut trouver application également en matière de secret religieux.
Mais il est des domaines où le secret en matière religieuse n’est pas admis. Ainsi en est-il, à titre d’exemple, des sessions de travail des institutions religieuses ou des séances des tribunaux ecclésiastiques, ouvertes, par souci de transparence, au public, ou aussi de l’exercice public des rites religieux et de la célébration des sacrements, tels l’eucharistie, le mariage ou le baptême. Il y a lieu néanmoins de se demander dans quelle mesure cette pratique peut être compatible avec la Convention européenne des droits de l’homme, en particulier son article 9, qui garantit « la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites ».
Ladite Convention interpelle justement le secret, dans sa conception la plus large, à plus d’un titre. La Cour européenne des droits de l’homme a eu, à de nombreuses reprises, à connaître de litiges où le secret était invoqué à titre principal. Mais il ne s’est agi jusqu’à présent que de secret professionnel, en lien avec des activités séculières. C’est donc par analogie qu’il convient de procéder, si on a l’intention d’envisager la question du secret religieux au sens de la Convention européenne des droits de l’homme.
L’ouvrage dont nous venons de présenter les grandes lignes, malgré un nombre de pages relativement limité, s’avère à la lecture particulièrement dense. Il vient fort heureusement alimenter la réflexion des spécialistes sur une question qui n’a certainement pas fini de se poser dans nos sociétés actuelles, partagées entre une nécessaire protection de la vie privée et l’éventuel danger que pourrait représenter, dans certains cas, un droit au secret inhérent à la sphère du religieux. De nouvelles dispositions nationales relatives au secret professionnel (voir F. Curtit, Annexe 1, p. 161-171, pour les dispositions déjà en vigueur), des travaux novateurs (voir A. Messner, Annexe 2, p. 173-181, pour la bibliographie déjà disponible) ainsi qu’une jurisprudence nouvelle (ibid., p. 181-182, pour la jurisprudence déjà existante), nationale et /ou européenne, devraient permettre à l’avenir de voir plus clair dans cet ensemble déjà bien fourni.Marc Aoun
Le manuel publié par X. Delsol, A. Garay et E. Tawil, consacré au « droit des cultes », a pour ambition « d’apporter une contribution pratique et technique à la compréhension du droit des cultes », vu que « les règles juridiques d’organisation et de fonctionnement des cultes restent méconnues par le public… » (p. 19). L’ouvrage est publié deux ans après la parution du Traité de droit français des religions (Litec, 1317 pages, compte-rendu dans la RDC,55/1, 2005, p. 193-198),vaste exposé systématique qui s’était déjà assigné pour but de « rendre compte de la cohérence du droit des religions, mais aussi de suggérer la manière de résoudre quelques uns des problèmes actuels et à venir », qui découlent des activités et des pratiques religieuses.
L’ouvrage reprend, avec une distribution un peu différente, les grands thèmes envisagés dans le Traité : les sources du droit des cultes, le cadre juridique des activités et des biens cultuels, les ministres du culte et les fidèles, les structures cultuelles. L’expression « droit des cultes », préférée jusque dans le titre à « droit des religions », semble ainsi relever d’un choix purement sémantique ; celui-ci peut néanmoins s’avérer contestable. En effet, nul ne peut ignorer le caractère particulièrement restrictif de la notion de « culte » par rapport à celle de « religion », du moins de nos jours : revêtue d’un caractère juridique par la Révolution française, dans un contexte violemment antireligieux, cette notion de « culte » était minimaliste à dessein ; elle cantonnait la religion aux seules pratiques rituelles. Son contenu a néanmoins connu une rapide évolution lui permettant notamment, dès le début du 19e s., de qualifier juridiquement une religion organisée, reconnue ou non (cf. la loi relative à l’organisation des cultes du 18 germinal, an X). Cette évolution lui a permis de se maintenir par la suite, par un phénomène de mimétisme, jusque dans la loi de 1905. Toute la question est de savoir si cette notion de « droit des cultes » peut continuer de nos jours à résister face à celle, plus englobante, de « droit des religions ». Celle-ci a en effet l’avantage de mieux correspondre à la conception que la plupart des nations européennes se font aujourd’hui du fait religieux, qui inclut des concepts, partagés à une échelle supranationale, tels que la liberté de conscience, de croyance ou de religion.
Le « droit des cultes », formule que préfèrent les auteurs, fait l’objet d’enseignements et de recherches en France et les auteurs ont choisi de présenter un rapide panorama des principaux centres actifs dans ce domaine (p. 32-35). Parmi ceux-ci figurent « les centres d’enseignement et de recherche strasbourgeois », à savoir l’Institut de droit canonique de l’Université Marc Bloch, qui publie la Revue de droit canonique et le Centre PRISME / Société, droit et religions en Europe (CNRS / Université Robert Schuman) qui collabore à cette publication. Or, les quelques lignes qui leur sont consacrées méritent plusieurs mises au point.
Les auteurs affirment que l’Institut de droit canonique de Strasbourg, qui « a longtemps comporté dans son corps enseignant les meilleurs spécialistes du droit des cultes : Gabriel le Bras, Jean Gaudemet… ne contient plus en son sein aucun spécialiste de droit des cultes » (p. 34). Les lecteurs de la RDC apprécieront. La synergie qui caractérise les rapports entre l’Institut de droit canonique et le Centre PRISME / Société, droit et religions en Europe, dirigé par Francis Messner, spécialiste reconnu du droit des cultes, fait du « droit des religions » un pôle d’excellence qui cohabite à Strasbourg avec le pôle « droit canonique », aussi bien au sein du Master 2 de droit canonique et de droit européen comparé des religions, préparé en cohabilitation avec la Faculté de droit de l’Université Robert Schuman, que dans le cadre des nombreuses manifestations scientifiques, organisées conjointement par les deux institutions, qui rassemblent canonistes et spécialistes du droit des religions, et dont les Actes sont régulièrement publiés dans la Revue de droit canonique.
Quant à la « réorientation » de l’Institut de droit canonique « vers l’étude de l’histoire de l’Église ancienne et des théologies orientales », ainsi que l’écrivent les auteurs (p. 34), il convient de préciser que l’Institut a toujours eu le souci de réserver à l’histoire du droit et des institutions de l’Église ancienne et médiévale une place importante. En réalité, l’Institut s’était assuré, dès sa création en 1920, le concours de professeurs de la Faculté de droit de Strasbourg, qui étaient avant tout des historiens du droit et des institutions. Cette tradition s’est depuis perpétuée et est toujours vivante de nos jours ! Par ailleurs, le droit canonique oriental, aussi bien ses sources que le droit actuel, fait partie intégrante du programme, en pleine conformité avec les directives promulguées en 2002 par la Congrégation pour l’éducation catholique dans le décret Novo Codice Iuris Canonice qui exigent, entre autres, que le droit canonique oriental soit étudié dans l’ensemble des facultés et instituts de droit canonique à travers le monde.Marc Aoun
L’auteur répond à une question essentielle pour la compréhension du développement du christianisme : comment la religion chrétienne a-t-elle réussi à s’imposer vis-à-vis des cultes polythéistes au 4e siècle. alors qu’elle n’était qu’une religion minoritaire tant dans l’Empire d’Orient que dans l’Empire d’Occident ?
L’ouvrage comprend trois grandes parties. Une première partie assez courte définit les concepts utilisés dans cette recherche sur l’histoire des institutions romaines au 4e siècle qui se réclame de l’analyse systémique. Dans la deuxième partie, l’auteur illustre par de nombreux exemples un inventaire des formes que prend la religion urbaine à travers l’Empire. La troisième partie, la plus importante à tous égards, analyse les données rassemblées à la lumière du droit romain républicain et impérial et des pratiques administratives propres aux cités. L’auteur y développe sa thèse d’une grande autonomie des cités romaines dans la gestion politique et sociale de leurs religions.
Après un état de la question substantiel (Harnack, Brown, Luhmann, MacMullen, Dodds, Chuvin, Barcelo, Thrams, Gottlieb, Van Dam, Wolff etc.), un premier chapitre rappelle les thématiques essentielles telles la tolérance religieuse chez les Anciens, l’autonomie religieuse dans le cadre d’une gestion locale des cultes, la morphologie sociale et administrative des principales religions de l’Antiquité, la déviance religieuse, etc. Après cette entrée en matière méthodologique, l’auteur commence un inventaire parfois répétitif des formes prises par la sacra publica dans les cités romaines qui sont ainsi revisitées du centre vers la périphérie. On distingue ainsi :
- le culte de la ville de Rome, autrement dit la religion du peuple romain
- les sacra publica des villes latines (Alba, Lavinium, Caenina p. ex.)
- les sacra publica des villes italiennes (Lanuvium, Tusculum, Laurentum, Cora, Tibur p. ex.)
- les sacra publica des villes libres et des villes alliées (Pergamon, Thugga p. ex.)
- les communautés hors de l’Italie, les colonies (Urso, Corinthe p. ex.).
L’exploration systématique de l’auteur révèle le contenu même de ces sacra publica qui touchent aux biens et aux personnes (rôle et statut des pontifeces, offrandes, cérémonies, conséquences d’une deditio, droit pénal relatif au vol d’objets sacrés ou au sacrilège, etc.). De cet examen approfondi des données archéologiques et de la littérature juridique de l’époque, le Digeste en particulier, les Institutiones de Gaïus ou encore la Constitutio Antoniniana, il ressort que les religions du 4e siècle jouissent d’une reconnaissance publique qui trouve son fondement dans un droit impérial organisant de fait l’autonomie administrative et religieuse de la civitas au plan local. À l’époque postconstantinienne, les désordres internes qui opposent différents groupes chrétiens concurrents entre eux et, de manière plus générale, la concurrence entre chrétiens et non chrétiens conduisent à une nouvelle gestion politico-religieuse en termes de seditio et de stasis et c’est ainsi que les sacra publica sont progressivement redéfinies au profit de la religion chrétienne.
Sans être obligé de suivre l’auteur dans ses conclusions théoriques clairement anti-luhmaniennes, on est frappé par l’importance du cadre urbain (la ville) qu’il assigne au développement des religions dans ce temps de fondation du christianisme et qui sans doute continue d’opérer dans les évolutions religieuses de notre temps. L’ouvrage très documenté comprend un registre des sources ainsi que deux index (noms et matières) très utiles. L’auteur a soutenu une habilitation sur Pausanias de Damas à l’Institut für Altertumwissenschaften de l’Université de Giessen en mai 2005 (Von der Wissensordnung zur Weltordnung. Sophistische Theologie und Geschichte bei ‘Pausanias von Damaskus’ und seiner Zeitgenossen).Jean-Luc Hiebel
Comme le cardinal P. Erdö l’indique dans la préface même du livre, la cinquième édition (en langue italienne – l’édition originale en espagnol date de 1984 – mais les notes de bas de page ont été gardées dans la langue de Cervantès) du commentaire du droit de la vie consacrée par le canoniste professeur de droit canonique à la faculté de droit canonique de l’Institut pontifical utriusque iuris de l’Université du Latran, directeur de la revue canonique bien connue Apollinaris et responsable de l’« Instituto Juridico Claretiano », dont le siège est à Rome, est un événement stimulant et encourageant pour la science du droit canonique.
Bien qu’il s’agisse d’un commentaire sur les canons relatifs aux formes de vie consacrée dans le Code de 1983, l’ouvrage a aussi un certain caractère systématique et se divise en sept chapitres. Au premier chapitre sur les normes communes à toutes les formes de vie consacrée (can. 573-606, p. 25-96), succède le second et grand chapitre consacré aux normes des instituts religieux – IVCR (can. 608-709, p. 97-708). Le troisième chapitre traite des normes relatives aux instituts séculiers – IVCS (can. 710-730, p. 709-742), tandis que le quatrième s’intéresse aux normes concernant les sociétés de vie apostolique – SVA (can. 731-746, p. 745-774). L’étude enfin, dans les trois derniers chapitres, examine successivement les normes propres de la vie érémitique ou anachorétique (chap. 5, can. 603, p. 775-786), celles de l’ordre des vierges (chap. 6, can. 604, p. 787-800) et les normes particulières pour les nouvelles formes de vie consacrée (chap. 7, can. 605, p. 801-810).
Les trois derniers chapitres traitent assez sommairement de ce qui ne concerne qu’un nombre restreint de personnes, ou envisagent les nouvelles formes de dons et de vie consacrée. Dans ces chapitres, la réflexion plus exactement juridique est toujours précédée par une réflexion théologique, ce pour souligner le lien intrinsèque entre fondement théologique et institut juridique, aussi bien sur le fond que dans la méthode.
Le chapitre introductif ainsi que les suivants, relatifs aux trois formes de vie consacrée actuelles, à savoir les instituts religieux, les instituts séculiers et les sociétés de vie apostolique, méritent naturellement d’être traités avec plus de développements. Dans une note au lecteur, l’auteur indique la méthode et les critères qui l’ont guidé dans la conduite de son étude, qu’il a voulu définir, selon l’esprit même du Concile Vatican II, comme théologique et canonique.
Chaque canon est commenté dans un triple ou même quadruple aspect. En premier lieu, la présentation de la norme, suivie des sources juridiques et théologiques qui la fondent. Parfois est mise aussi en relief la genèse du texte qui, comme une note l’explique, renvoie toujours à ce qui est contenu dans la revue Communicationes, la source plus fiable pour une compréhension exacte de l’évolution du texte. Vient en dernier lieu la partie plus importante et personnelle du commentaire, indiquée comme glose, même s’il s’agit en vérité de glose ample, développée de manière à donner vie à un apparat de gloses, c’est-à-dire à un commentaire. Enfin, la bibliographie est toujours donnée dans la note de bas de page correspondante.
L’auteur ne se détache jamais de cette méthode bien précise, même si le caractère systématique de l’étude ressort de la capacité de l’auteur d’insérer les différents canons dans un développement ordonné des chapitres et des paragraphes. Dans l’introduction, par exemple, composée de 15 paragraphes, il commence par le concept théologique de vie consacrée (1) pour finir avec le paragraphe relatif à la vie fraternelle partagée par toutes les formes de vie consacrée. De cette manière la présentation continue de chaque canon s’insère dans une présentation harmonieuse de l’ensemble qui rend compréhensible de façon synthétique une exposition analytique et particulière.
Il aurait été préférable que de la même manière soit maintenue dans les chapitres suivants cette subdivision en paragraphes (avec les nécessaires sous paragraphes). Une méthode de numérotation continue a été au contraire adoptée qui quelquefois peut laisser perplexe, puisqu’on atteint (avec le chapitre VII) le nombre ou paragraphe 214 ; la distinction systématique entre paragraphes et sous paragraphes n’est donc plus restée claire. On aurait en outre souhaité, outre l’indice des sigles et abréviations, un indice systématique (partiellement présent dans certaines éditions précédentes), assez utile pour le lecteur dans une œuvre aussi grande, pour une matière dans laquelle l’auteur est réputé être un maître dans le domaine canonique, mais dans laquelle aussi des collègues de travail et de recherche commune sont moins informés.
Nous approuvons le choix fait par l’auteur (malgré des opinions légitimement diverses, du fait qu’en effet les sociétés de vie apostolique ne seraient pas liées par des vœux et malgré l’encadrement spécifique qui leur est réservé par le code latin) de les inclure parmi les formes de vie consacrée, du moins dans un sens plus large et surtout substantiel.
Assurément un aspect qui pourrait émerger, compte tenu du fait que les instituts et les personnes de vie consacrée vivent dans la quasi-totalité des pays du monde, concerne d’une part l’application des règles canoniques aux divers systèmes juridiques (surtout pour ce qui regarde les questions patrimoniales, can. 634-640), d’autre part la possible canonisation de diverses normes étatiques (de droit civil, mais aussi de droit public) compatibles avec les principes du système canonique. Mais cela aurait comporté une analyse comparative très complexe et probablement allant au-delà des compétences personnelles de l’auteur.
Ce compte rendu enfin pourrait entrer dans les détails de chacune des gloses en trouvant des aspects appréciables et en critiquant éventuellement certaines interprétations données. De manière générale, on peut souligner l’ampleur et l’approfondissement avec lesquels chaque canon a été commenté, soit au plan littéraire, soit par les renvois et les comparaisons avec la matière toute entière, et par des confrontations avec des figures juridiques analogues.
Puisqu’il n’est toutefois pas possible d’entrer dans les détails de chacun des canons, on se limitera à un exemple qui pourra valoir pour toute l’œuvre. Nous nous arrêtons donc sur un canon qui peut présenter un aspect digne d’être relevé : il s’agit du can. 672 qui étend aux religieux certaines des obligations réservées aux clercs. Parmi elles celle prévue par le can. 286 qui leur interdit l’exercice de toute activité lucrative ou commerciale. Un canon très technique et difficile à interpréter. Mais dans le commentaire qu’il fait, l’auteur en donne substantiellement (renversant ainsi la lettre du canon) une interprétation positive : « Dans le concret, il se déduit que les religieux, avec l’autorisation requise de la part de l’autorité religieuse, peuvent faire le négoce et le commerce pour soi-même ou pour les autres, pour leur utilité personnelle ou celle des autres ». L’exception de l’autorisation par l’autorité ecclésiastique transforme donc la portée de la norme, même si ensuite il ajoute que « la chose dont il faut tenir compte est celle de découvrir ce que le législateur entend par négoce dans toutes ses variantes ». Dans la suite du commentaire il se précisera avec multiples distinctions ce qu’est le négoce permis et ce qu’est le commerce interdit.
Comme l’exemple le montre assez bien, l’étude ne se limite pas à une simple exégèse littérale, mais à travers une interprétation adéquate et intelligente permet d’aller au-delà de la lettre et de pénétrer l’esprit authentique et la portée plus correcte de la norme prise en considération.
En conclusion, comme d’autres remarquables recenseurs l’ont indiqué, nous sommes devant un travail qui, sur le plan théorique et pratique, offre une des analyses les plus amples et approfondies dans ce domaine, parfois complexe, de la disciple canonique, c’est-à-dire le droit (latin) des religieux. Justement parce que cette étude concerne la théorie et la pratique, soit la science et la doctrine soit les opérateurs juridiques sur le terrain peuvent y trouver, les uns des stimulations pour des analyses ultérieures et un approfondissement scientifique, les autres des approches utiles pour une solution adéquate d’éventuels problèmes.Pier V. Aimone
Le travail ici recensé (Le droit missionnaire, un précurseur du droit canonique universel) qui a été accepté au semestre d’hiver 2004/05 comme travail d’habilitation par la Faculté de Théologie catholique de l’Université de Ruhr, Bochum, porte le sous-titre suivant : « Einflüsse aus den Missionen auf die konziliare und nachkonziliare Gesetzgebung der lateinischen Kirche » (Les influences du droit missionnaire sur la législation conciliaire et postconciliaire de l’Église latine).
On le sait, c’est avec le Code de 83 seulement que le droit missionnaire a fait l’objet d’une élaboration plus systématique (Livre III, titre II, can. 781-792), laquelle faisait défaut dans le code précédent, qui ne lui avait d’ailleurs consacré que 3 canons. En effet, on trouve une équivalence partielle du can. 782, § 1 dans le can. 1350, § 2 (CIC/1917) qui désigne en substance le Saint-Siège comme responsable des missions, ainsi que le can. 252 en ce qui concerne la congrégation de la Propagande de la foi, alors que le can. 787, § 2 reprend en quelque sorte le can. 1351 relatif à la liberté d’adhérer à la foi catholique.
Il s’agit d’une étude approfondie sur le droit missionnaire, vu sous un profil historico-systématique, structurée de la manière suivante : une introduction générale, cinq chapitres et une conclusion enrichie de certaines observations. À ce contenu s’ajoutent un indice des noms et des choses, ainsi qu’une liste détaillée des sources et la bibliographie.
À propos de l’étude elle-même, une petite critique formelle s’impose peut-être : elle concerne certaines fautes d’impression qui, lorsqu’il s’agit des paroles ou expressions latines, posent quelques problèmes d’interprétation (par exemple, p. 329, deux fois servissime au lieu de severissime, ou aussi l’Index librorum prohibitorum devenu l’Index verborum prohibitorum, p. 73). Par ailleurs, les congrégations de la curie romaine (souvent citées) ayant perdu, par une juste décision de Paul VI en 1967 (Const. Regimini Ecclesiae Universae), l’adjectif sacrée (S), qui les avait accompagnées pendant quatre siècles, elles auraient dû ne pas porter le S lorsqu’elles étaient citées pour des activités ou des décrets publiés après 1967.
Certaines prises de position (par exemple, que l’Instruction de 1997 Ecclesia de mysterio, sur la collaboration des laïcs au ministère ordonné dans l’activité pastorale devienne un décret général du fait qu’elle a été particulièrement approuvée par le pape) sont sujettes à discussion. On notera d’ailleurs que le seul commentaire sur lequel s’appuie cette affirmation provient d’une école canonique bien déterminée.
Le premier chapitre (p. 35-258), de caractère historique, présente les dispositions du droit missionnaire du 16e siècle au Concile Vatican II. Trois époques y sont distinguées, subdivisées à leur tour en périodes : - des premiers siècles à l’érection de la S. Congrégation de propagande fide (SCPF) au 17e siècle ; - de 1622 à 1917 ; - de la promulgation du CIC 1917 à la veille du Concile Vatican II. La dernière période de la première époque (16e siècle) est caractérisée par le droit de concession et du patronat de la part du pape aux ordres religieux et aux puissances séculières. Au cours de la seconde époque, l’auteur fixe un premier terme de division en 1803 (le pillage napoléonien de la curie romaine, a provoqué de graves pertes dans les archives de la SCPF) ; considère le 19e siècle comme la période la plus florissante de la mission extra-européenne et établit une dernière période, à partir de 1908 (année où l’Amérique du Nord cesse d’être territoire de mission) jusqu’à Vatican II. Une nouvelle époque du droit missionnaire commence sans doute avec Vatican II et trouve une première systématisation dans la codification de 1983.
Du premier chapitre, on peut apprécier l’étendue de la recherche par rapport aux documents pontificaux et à ceux de la curie. Cependant, il n’a pas toujours été facile de cibler tout ce qui intéresse un domaine déterminé. Par exemple l’interdiction pour les prêtres d’exercer une activité commerciale ou d’entreprise (can. 286 CIC/83) avait trouvé une particulière importance (aussi sur le plan du droit pénal) exactement par rapport au droit missionnaire. L’on sait que dans ce domaine précis, le pape Urbain VIII (Const. Ex debito du 22 février 1633) avait sévèrement prohibé aux missionnaires toute activité commerciale, interdiction que Clément IX (Const. Sollicitudo du 17 juin 1669) confirmait (ajoutant d’ailleurs la clause qui demeura par la suite, de l’interdiction du commerce et de négoce même au profit d’autrui) et sanctionnait par des peines plus graves comme l’excommunication latae sententiae, sanctions reprises et confirmées plus tard par Pie IX (Const. Apostolicae Sedis de 1869 et le décret de la S. Congregatio Inquisitionis du 4 décembre 1872, ainsi que le décret de la S. Congregatio de propaganda fide du 29 mars 1873). Ces sévères dispositions concernaient tous les missionnaires prêtres et religieux, partout dans le monde (Indes orientales, Chine, Amérique) et l’absolution de l’excommunication était subordonnée à la restitution de tous les profits réalisés, en les consignant aux Ordinaires des lieux. Une référence indirecte à ce thème (sur le plan de la honesta vita clericalis) se retrouve dans l’examen des dispositions des conciles pléniers de Baltimore (p. 107).
Au sujet de la thèse soutenue que le droit missionnaire, réservant au Siége Apostolique toute responsabilité pour les missions, a contribué à la disparition du droit de patronat (qui a par ailleurs été discuté au Concile Vatican II et qui résiste encore par exemple en Suisse) ne peut être que partiellement consentie. À notre avis, seule une ecclésiologie radicalement neuve peut déterminer un tel changement ; il n’est pas évident en effet que certaines dispositions législatives aient une majeure ou mineure efficacité.
Le deuxième chapitre (p. 259-383) traite du rôle joué par les missions dans les décisions du concile. On y découvre, d’un côté la participation des missions à la préparation du concile (phase avant préparatoire et préparatoire) ; et de l’autre, la représentation des missions et des évêques missionnaires dans les débats conciliaires. Parmi les nombreux thèmes qui ont fait l’objet des réponses et des propositions des missions dans tous les domaines du droit canonique, nous voudrions relever le droit matrimonial, proprement parce qu’en ce domaine précis le droit missionnaire du 16e siècle avait introduit certaines innovations importantes qui ont été maintenues dans le CIC 1917. Au cours du 19e siècle, le droit missionnaire avait fortement intéressé les mariages mixtes, dont la célébration était déconseillée et, s’ils venaient à être célébrés, ils étaient soumis aux rudes dispositions protectrices du conjoint catholique. En raison du principe de la forme canonique ad validitatem, le mariage civil était considéré par les catholiques comme un concubinage et le divorce civil n’avait aucune valeur. Aussi après la promulgation du CIC 1917, des innovations furent-elles introduites à propos des dispenses matrimoniales, réservées au Siège Apostolique, mais concédées éventuellement aux missionnaires. Les évêques missionnaires présentaient des propositions sur les mariages mixtes, sur les empêchements matrimoniaux, sur le privilège de la foi et sur la forme canonique. En ce qui concerne les procès matrimoniaux, les principales propositions concernent : le juge unique, les tribunaux interdiocésains, la renonciation à la double sentence conforme, le droit des conjoints (même le fautif) d’initier le procès de déclaration de nullité.
Le troisième chapitre (p. 384-495) s’intéresse au développement ultérieur de l’influence du droit missionnaire dans la législation post-conciliaire de l’Église universelle ainsi qu’à la place du droit missionnaire dans le CIC 1983 et de la Constitution apostolique de 1988 consacrée à la curie romaine. Ici encore, nous accordons un intérêt particulier au droit matrimonial (il faut noter cependant que dans le travail c’est chacun des différents domaines du droit canonique qui ont été examinés) : en effet, des églises missionnaires proviennent différentes observations sur la nouvelle définition du mariage comme étant un consortium totius vitae, sur l’identité confirmée entre contrat et sacrement, sur la forme canonique de la célébration ad validitatem, sur les empêchements matrimoniaux, ainsi que sur les mariages mixtes.
Dans le quatrième chapitre (p. 496-514), bref mais non moins significatif dans l’ensemble du travail, sont examinées les propositions normatives, faites par les autorités missionnaires, et qui n’ont pas été accueillies dans le CIC/1983. En particulier, en ce qui concerne le droit matrimonial, est souligné le fait que le pouvoir de dispense super rato et non consummato ou aussi celui de la validité de la forme canonique (à l’exception des mariages mixtes) restent réservés au Saint Siège, tandis que pour beaucoup d’autres cas de dispense le principe d’une effective décentralisation a été appliqué. Le principe de subsidiarité a en effet été l’un des plus souhaités par le droit missionnaire. Pour rester dans un cadre proche du droit matrimonial substantiel, c’est-à-dire le droit processuel, l’auteur regrette l’absence d’une uniformité adéquate de la jurisprudence ecclésiastique, soulignant la possible discordance entre jurisprudence rotale et jurisprudence locale, surtout en matière matrimoniale. Une observation pas seulement théorique, puisqu’il arrive réellement qu’il y ait quelquefois une forte divergence d’interprétation entre la jurisprudence rotale et celle des tribunaux des églises locales (on pensera par exemple à la très large application des hypothèses prévues par le can. 1095). L’auteur ensuite met en évidence quelques autres points qu’on peut rappeler. Il regrette en fait l’absence d’un souhaitable code du droit missionnaire qui pouvait unifier toutes les particularités inhérentes à ce droit, pose la question sur une future possibilité d’autoriser les diacres à administrer le sacrement de l’onction des malades et souhaite, toujours de iure condendo, la renonciation à la distinction entre peines latae et ferendae sententiae, soit en accueillant la discipline du CCEO, soit en se conformant aux lois pénales étatiques.
Le cinquième chapitre (p. 515-573) prend en considération les impulsions dérivant du droit missionnaire à un droit canonique particulier, celui relatif à l’aire germanique. Par ailleurs, il est amplement tenu compte de la pratique et de la doctrine canonistique nord-américaine, dont les perspectives et les impulsions sont adoptées aussi de manière comparative. À d’autres églises locales et autres doctrines canonistiques (italienne, espagnole, française, polonaise) il n’est pratiquement jamais fait allusion. Ici sont affrontées des questions importantes que les églises locales d’aire germanique sont appelées à résoudre, en particulier le rôle joué par les laïcs en divers domaines, de l’administration des sacrements ou sacramentaux à la cure pastorale. Si en effet il est incontestable que dans des vastes territoires de mission il existe une réelle carence du clergé, le même discours peut être tenu mais de façon relative, à notre humble avis, en ce qui concerne les églises locales dans l’aire germanique.
À propos du droit matrimonial, la possibilité concédée aux laïcs de représenter l’Église en qualité de témoins qualifiés est d’une grande importance dans ce contexte particulier ; concession fortement souhaitée par certaines églises missionnaires, comme celles de l’Amérique latine. Son application reste cependant assez limitée (quatre pays du Sud de l’Amérique et le Canada). Il n’a pas été cependant concédé aux laïcs, même dans les églises missionnaires, l’autorisation à dispenser des empêchements matrimoniaux, même sur délégation, du fait qu’une telle faculté, contrairement à l’assistance aux mariages, aurait exigé la concession du pouvoir de gouvernement qui ne revient qu’aux ministres ordonnés.
En plus, sur le plan théologique, l’autorisation aux diacres et plus encore aux laïcs à assister et bénir les noces pourrait ouvrir le débat, même pour des raisons œcuméniques en rapport avec les Églises orientales, au sujet de la fonction du prêtre dans l’administration du sacrement de mariage dont les ministres sont, d’après la tradition du reste consolidée dans l’église latine, les époux eux-mêmes. Il est vrai par ailleurs qu’ il n’existe aucune définition dogmatique sur le ministre du sacrement de mariage. Pour des raisons de dialogue œcuménique, surtout avec les églises orthodoxes, des théologiens catholiques et même certains canonistes émettent quelquefois le vœu que soit reconsidéré le rôle du prêtre dans l’administration du sacrement de mariage. Dans cette perspective, le prêtre ne serait plus seulement considéré comme simple représentant de l’Église où comme témoin qualifié. Serait alors mise en question la possibilité des diacres d’assister aux mariages prévue par le CIC/1983, comme d’ailleurs l’éventualité de consentir aux laïcs de jouer ce rôle, même de façon limitée et exceptionnelle.
Dans cette relecture du travail, nous nous sommes limité uniquement aux nombreux exemples liés au droit matrimonial ; l’on peut cependant clairement voir comment le droit missionnaire, droit d’exception par rapport à la norme générale, a pu servir de stimulant à une interprétation plus flexible d’instituts juridiques propres du droit général et à l’innovation ou le changement en d’autres domaines, du droit constitutionnel de l’Église au droit processuel, des normes sur le statut clérical et religieux au droit pénal canonique, du droit administratif au droit sacramentel (et de tous ces domaines sont fournis des exemples significatifs).
Le lien entre droit missionnaire et certains aspects innovateurs du droit canonique universel et particulier est soutenu avec vigueur et abondance d’arguments par l’auteur. Il s’agit de sa thèse et les arguments pour la soutenir ne font certes pas défaut. Si tel est vraiment le cas, la question reste ouverte. Il serait peut-être plus réaliste plutôt de soutenir un certain inter-échange entre droit missionnaire et droit canonique universel et particulier. Le lecteur instruit par ce travail correct et étoffé de nombreuses références aux documents juridiques et de réflexions pertinentes pourra à la fin formuler son propre jugement. En ce qui nous concerne, notre appréciation générale reste, en dépit de petites réserves et observations que nous avons avancé, positive.Pier V. Aimone
Les sciences religieuses – en français, il vaut mieux dire « sciences des religions » – ont beaucoup évolué au cours du siècle écoulé, depuis la crise moderniste jusqu’à la globalisation actuelle, en passant, comme le rappelle l’introduction d’Alberto Melloni, par la Shoa. Un colloque international tenu à Assise en décembre 2003, dont ce livre présente les actes, a cherché à explorer cette histoire.
Selon Giovanni Filoramo, on peut distinguer trois phases : la première, qui dura jusqu’à la première guerre mondiale, vit se développer l’analyse des comportements religieux individuels et collectifs au moyen des sciences humaines. La seconde, entre les deux guerres, fut dominée par la phénoménologie. La troisième enfin, à partir des années 1960, vit une multiplication des approches pluridisciplinaires et une déconstruction de l’objet d’études (la religion), qui apparaît de plus en plus comme complexe et insaisissable.
Les contributions abordent une grande variété de thèmes : Harnack et le rapport entre théologie et sciences religieuses (Th. Howard) ; Loisy et Blondel (R. Ciappa) ; l’exégèse biblique, dominée par la méthode historico-critique allemande (G. Ghiberti) ; les outils informatiques (P. Tombeur). Une série d’articles présente les sciences des religions dans divers pays : France (C. Langlois, E. Fouilloux), États-unis (F. Kilcoyne), Espagne (F. Montero), Allemagne (C. Arnold), Italie (M. Lupi) et Grande-Bretagne (N. Tanner).
Deux articles sont consacrés au droit canonique. C. Fantappié distingue quatre périodes au cours du 20e siècle :
- entre 1904 et 1917, le processus de codification a dissocié le droit canonique positif et l’histoire du droit canonique ; cette dernière devint une discipline à part entière avec des auteurs comme Stutz, Gillmann, Weigand, Le Bras, Van Hove, Jemolo, Kuttner, etc. ; mais en même temps, le droit canonique perdait ses références historiques ;
- la seconde période, de 1917 à 1965, a été consacrée à l’exégèse du Code, avec cependant une divergence d’interprétation entre l’école ecclésiastique des facultés pontificales et l’école laïque italienne des facultés de droit (D’Avack, Fedele, Jemolo, Giacchi…). Le droit canonique devint une matière dominante dans le champ de la théologie, influençant aussi bien la pastorale, la liturgie, la théologie sacramentaire, que la théologie morale. Les facultés de droit canonique se multiplièrent un peu partout dans le monde ;
- la troisième période fut celle de la rédaction des deux codes actuels, entre 1965 et 1990 ; elle vit se développer les débats théoriques sur la place et la fonction du droit dans l’Église, avec la constitution d’« écoles » telles celles de Navarre (Lombardía), de Munich (Mörsdorf), ou de la revue Concilium (Huizing). Les rapports entre droit, théologie et droit canonique firent l’objet de multiples hypothèses, dont C. Fantappié donne une synthèse éclairante ;
- la dernière période est l’actuelle, dominée par les questions d’interprétation et caractérisée par l’internationalisation des études canoniques. Il reste, selon l’auteur, à combler le fossé qui s’est creusé depuis Vatican II entre les théologiens, avec leur mentalité souvent anti-juridique, et les canonistes.
Le second article qui traite du droit canonique et du droit des religions est celui de Richard Puza sur « Théologie, histoire et droit dans les facultés de théologie en Allemagne ». R. Puza donne la liste des facultés et instituts allemand où est enseigné le Kirchenrecht – qui englobe le droit étatique des religions, le droit canonique catholique, le droit interne protestant et l’histoire du droit canonique –, en précisant le nom du professeur titulaire de la chaire, ainsi que la liste des instituts de recherche sur les mêmes questions. Quelques indications bio-bibliographiques sont fournies sur trois grands canonistes allemands : Friedberg (1837-1910), Sohm (1841-1917) et Hinschius (1835-1898). Sont ensuite analysées les méthodes d’interprétation du Staatskirchenrecht, c’est-à-dire du droit étatique des cultes : méthodes historique, juridique, sociologique, comparative, etc. En conclusion, R. Puza regrette que les concordats actuels, dans les nouveaux Länder, soient signés du côté de l’Église par Rome et non par les évêques concernés. Il indique deux évolutions possibles du droit des religions, tenant compte toutes deux du pluralisme religieux qui caractérise l’Allemagne actuelle : adapter le droit à ce pluralisme (par exemple en supprimant le mariage civil obligatoire), ou même passer à un système de droit personnel, où les groupes religieux et sociologiques disposeraient d’un système légal particulier, comme en Israël ou au Liban. Est-ce vraiment un avenir souhaitable en Europe ? Richard Puza ne se prononce pas. Les déclarations récentes, le 7 février 2008, de l’archevêque de Cantorbéry, Mgr Rowan Williams, sur l’introduction « inévitable » de la charia au Royaume-Uni, vont en tout cas dans ce sens.
Jean Werckmeister