Ce volume contient également une documentation fournie. Il recense, outre les cinq prescriptions majeures (les cinq piliers de la sagesse) que sont la profession de foi, la prière, l'aumône, le pèlerinage et le jeûne au mois de Ramadan, certains actes recommandés ou répréhensibles. Les différentes phases de la prière, les étapes du pèlerinage sont détaillées, ce qui permet de comprendre des événements qui, pour être souvent médiatisés, demeurent cependant mal connus. On découvre les diverses cérémonies et qui accompagnent naissances, mariage et décès.
L'Islam est à la fois une religion et un mode de vie, un culte et une culture. De ce fait, s'il y a conformité, dans le pays d'origine, entre le style de vie et les prescriptions de l'islam (séparation des sexes, abattage des animaux de boucherie...), le déracinement amène une difficile confrontation avec le milieu majoritaire.
Mais le mérite essentiel de l'auteur est de faire comprendre et presque partager les difficultés de cette population. Difficultés individuelles : pour les pères qui voient se modifier les conditions d'exercice de leur autorité ; mais surtout pour les filles qui se trouvent à l'interface de milieux où le modèle féminin est très différent. Difficultés collectives également, car, après s'être considérés comme sujets "de passage", les musulmans ont revendiqué leur intégration et le respect de leur identité cultuelle et culturelle ; cela au moment où la crise économique les reléguait dans la précarité et la marginalité et où le contexte international (Iran, Irak, Algérie) réveillait des fantasmes et favorisait dans les mentalités la liaison Islam-banlieue-intégrisme-terrorisme.
Tiraillés entre tentation de durcissement ou de réislamisation (port du voile par exemple), pour affirmer leur identité et retrouver un référent culturel, et volonté de s'intégrer en acceptant un compromis, les musulmans de France ne parviennent pas à se structurer et à se faire représenter auprès des autorités françaises. De son côté, la France, habituée à cantonner le culte hors de la sphère publique, peine à insérer l'islam, deuxième religion du pays, dans un cadre laïc républicain. Le fait de "reconnaître", sous une forme ou une autre, la confession islamique pourrait aider à la prise en compte de la dimension sociale des religions, de toutes les religions.Cl. Lhuissier Noël
Le code des canons des Églises orientales a été promulgué le 18 octobre 1990. Il aura fallu sept ans pour que paraisse la traduction française, qui était attendue non seulement dans les pays francophones, mais aussi dans les nombreux pays orientaux où la langue française est bien implantée. Entre-temps ont été publiées des traductions anglaise, arabe et italienne.
Le principal artisan en est M. René Metz (nous pouvons témoigner qu'il n'est pas responsable du retard de la publication : sa traduction était prête depuis longtemps). M. Metz publie par ailleurs une remarquable introduction au droit oriental catholique (voir le compte rendu suivant).
Comme le souligne Mgr Eid dans sa présentation, la traduction se veut particulièrement rigoureuse ; par exemple, elle distingue soigneusement officium (office) et munus (charge), le second désignant une fonction moins stable que le premier. On notera cependant que, pour les canons identiques à ceux du code latin, c'est la traduction de ce dernier qui a été reprise, ce qui conduit à quelques imprécisions. Ainsi, pour la pénitence, le can. 720 § 1 (= can. 960 CIC) traduit confessio integra par "confession intégrale" : n'a-t-on pas confondu intégrité et intégralité ? Mais il valait mieux sans doute reprendre la traduction déjà existante, même si elle est souvent discutable.
Le volume contient, outre les 1546 canons du code oriental, la constitution Sacri canones de 1990, la préface officielle, la constitution Pastor bonus de 1988, les discours de présentation de Jean Paul II et de Mgr Eid, les tables de concordance CIC-CCEO et CCEO-CIC (tables qu'il conviendra de mettre aussi dans le CIC lorsque paraîtra une nouvelle édition francophone, ne serait-ce que pour mettre les deux codes sur un pied d'égalité). En revanche, on n'y trouve malheureusement pas de table de correspondance entre le CCEO et les parties de code oriental publiées antérieurement. Enfin, le volume se termine par une table analytique très complète et bien mieux présentée que celle du CIC.
On peut se réjouir de disposer d'un bel instrument de travail, qui contribuera non seulement à une meilleure connaissance du droit oriental catholique, mais aussi au maintien de la langue française dans les communautés orientales dispersées à travers le monde.Jean WERCKMEISTER
Lorsque des évêques sont en prison pendant une persécution, un évêque voisin peut-il procéder à des ordinations dans leurs villes, à leur insu, comme l'avait fait Mélèce de Lycopolis ? Partant de conflits et de difficultés de cet ordre, l'A. examine comment ont été déterminées les compétences territoriales des évêques, dans ces deux domaines sensibles qu'évoquent les verbes ordinare et judicare. Il passe en revue les premiers témoignages sur l'émergence de l'épiscopat monarchique, puis les conciles orientaux. Il fait apparaître les modèles d'évêques sous-jacents aux anciens règlements ecclésiastiques et met en évidence les évolutions perceptibles. Ainsi, dans la Didascalie, l'évêque est traité comme le personnage central des Églises, il est considéré isolément, ne devant rendre compte qu'à Dieu, mais dans les Canons apostoliques l'attention se tourne vers l'épiscopat local, devant lequel chacun des évêques peut être amené à rendre des comptes. On assiste à l'émergence de l'institution synodale comme instance de contrôle et de justice, d'autant plus nécessaire que des plaintes s'élèvent contre les évêques, car certains se comportent en tyrans au lieu d'être des pasteurs (p. 68 s., à propos des Constitutions apostoliques ). L'A. poursuit ses investigations dans les écrits occidentaux et examine en particulier les témoignages de Grégoire le Grand et les recueils pseudo-isidoriens, qu'il sait appréhender et interpréter de façon pertinente (voir p. 144-145). Cette excellente étude aurait encore gagné en intérêt si l'A. avait mis en évidence le vocabulaire utilisé à l'époque, au lieu du vocabulaire théologique moderne (p. 12 : "il potere di compiere l'atto sacramentale" ; p. 45 : "conferire il sacramento dell'ordine" ; p. 58 : "la concelebrazione del sacramento eucaristico" à propos de Didascalie II, 58, 2-3). À employer le vocabulaire moderne, on court le risque de fausser la compréhension des institutions antiques. Ce vocabulaire est lui-même fluctuant, comme la théologie qu'il recouvre. Faut-il rappeler que les définitions sacramentelles relatives aux ordinations ont beaucoup changé dans l'Église latine depuis le Moyen Âge ? Cependant, l'A. n'est pas insensible à ces difficultés et, à l'occasion, il procède à des recherches sur ce vocabulaire technique et signale la présence ou l'absence de tel ou tel terme, ainsi pour iurisdictio, p. 113, n. 18. De toute façon, les canonistes ne pourront que tirer profit de cette excellente contribution à l'étude des institutions ecclésiastiques antiques.
Marcel METZGER
Congrégation pour la doctrine de la foi, La Pastorale des divorcés remariés. Introduction du Cardinal Joseph Ratzinger, Centurion-Cerf-Mame, Paris, 1999, 133 p.
Il s’agit de l’édition française d’un livre paru d’abord en italien à la Libreria Editrice Vaticana en 1998 : Sulla pastorale dei divorziati risposati. L’ouvrage commence par un préambule de Tarcisio Bertone, secrétaire de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Le noyau du livre est formé de trois documents du Magistère qui font le point de la situation récente des divorcés remariés : la lettre de la Congrégation pour la doctrine de la foi du 14 septembre 1994 au sujet de l’accès des divorcés remariés à la communion eucharistique, le n° 84 de l’exhortation apostolique Familiaris consortio de 1981 et le discours de Jean Paul II sur les divorcés remariés lors de la treizième assemblée générale du Conseil pontifical de la famille. Le tout est précédé d’une introduction du cardinal Joseph Ratzinger et est suivi de commentaires et d’études de Dionigi Tettamanzi sur la fidélité dans la vérité, de l’ancien doyen de la Rote Mario F. Pompedda sur la problématique canonique, d’Angel Rodriguez Luno sur l’épikie dans la pastorale des divorcés remariés, de Pietro Giorgio Marcuzzi sur l’application de l’épikie et de l’équité dans la lettre de la Congrégation pour la doctrine de la foi déjà citée, et de Gil Pelland sur la pratique de l’Église ancienne concernant les divorcés remariés.
L’intérêt propre du livre se trouve cependant dans l’introduction du cardinal Ratzinger, qui d’une part expose, avec sa clarté habituelle, la doctrine de l’Église quant à la situation juridique des divorcés remariés et la question de leur admission aux sacrements, d’autre part examine les opinions divergentes sur la question.
Le contenu de la doctrine catholique est présentée en huit thèses : 1. Les divorcés remariés « croyants » se trouvent dans une situation objectivement contraire à l’indissolubilité du mariage. 2. Les divorcés remariés restent membres du Peuple de Dieu et participent à l’expérience de l’amour du Christ et de la sollicitude maternelle de l’Église. 3. En tant que baptisés, les divorcés remariés sont appelés à participer activement à la vie de l’Église, et cela d’une manière qui corresponde à leur situation objective. 4. En raison de leur situation objective, les divorcés remariés ne peuvent être admis à la sainte communion. Ils ne peuvent approcher de leur propre initiative de la Table du Seigneur. 5. En raison de leur situation objective, les divorcés remariés ne peuvent assumer « certaines fonctions ecclésiales ». 6. Si les divorcés remariés se séparent ou si du moins ils vivent ensemble comme frère et sœur, ils peuvent être admis aux sacrements. 7. Les divorcés remariés qui ont la conviction subjective que leur première union est invalide doivent régler leur situation au for externe, c’est-à-dire canoniquement. 8. Les divorcés remariés ne doivent en aucun cas perdre l’espérance en leur salut.
Cette partie de l’introduction du cardinal Ratzinger se présente comme un mélange de citations des documents officiels et de commentaires personnels. Je voudrais relever seulement deux éléments de la liste ci-dessus. D’abord, l’accès aux sacrements sur la base d’une décision prise en conscience est explicitement exclu, et cela en considération du fait que le mariage n’est pas une affaire purement personnelle. Ensuite, parmi les fonctions que les divorcés remariés ne peuvent exercer, le cardinal cite celle de témoin de mariage, alors que cette exclusion n’est pas prévue par le droit canonique. De même, si l’on estime que les divorcés remariés n’ont pas le droit d’être parrains de baptême, se pose la question non résolue jusqu’ici de savoir comment ils peuvent assurer l’éducation religieuse de leur enfants en tant que parents.
Dans la seconde partie de l’introduction, consacrée à la présentation de thèses opposées à la doctrine de l’Église, le cardinal rassemble en même temps des éléments de réponse à ces thèses. Dès le départ, il pose la question de savoir s’il y a eu des exceptions dans la mise en pratique de l’affirmation radicale, par Jésus, de l’indissolubilité du mariage. La position de Paul dans la 1ère épître aux Corinthiens (appelée plus tard privilège paulin) concerne les mariages de non baptisés dont l’un est baptisé par la suite. L’exception matthéenne de la fornication est plus difficile à interpréter. Le cardinal Ratzinger indique qu’il pourrait s’agir plutôt d’un cas d’invalidité du mariage que d’une exception à l’indissolubilité. Doit-on y voir l’origine de l’actuelle procédure de déclaration de nullité des mariages ? Une autre question est la suivante : la tradition patristique a-t-elle admis une pratique plus adaptée aux cas particuliers ? Les développements de la pratique orthodoxe, dans leurs effets, sont en tout cas présentés par le cardinal comme une déviation. Quant à la possibilité d’admettre des exceptions au nom de l’épikie ou de l’équité canonique, c’est bien sûr principalement la lettre des trois évêques allemands qui est visée, lettre à laquelle la lettre de la Congrégation pour la doctrine de la foi déjà citée a clairement répondu. C’est le rôle des autres articles du livre, que j’ai indiqués plus haut, que de venir appuyer ces interprétations.
L’introduction combat ensuite énergiquement l’affirmation selon laquelle la doctrine actuelle concernant le mariage ne serait plus conforme à l’enseignement du concile, mais défendrait plutôt une conception pré-conciliaire du mariage. Puis sont abordées diverses propositions. Les possibilités de dissolution des mariages, en particulier par le pape, doivent rester limitées à ce qui est traditionnellement reconnu : le mariage sacramentel et consommé est indissoluble et ne peut être dissous par personne. Au moment de la célébration du mariage, les époux se promettent fidélité jusqu’à la mort. Des études seraient néanmoins nécessaires sur la question du mariage des baptisés incroyants. Les baptisés qui ne croient pas ou plus en Dieu peuvent-ils vraiment s’engager dans un mariage sacramentel ? En d’autres termes, le cardinal Ratzinger souligne qu’il faut clarifier la question suivante : tout mariage entre baptisés est-il véritablement, ipso facto, sacramentel ? Le Code lui-même admet que seuls sont sacramentels les contrats « valides » entre baptisés. Il faudra poursuivre la réflexion sur ce que signifient exactement les mots « valide » ou « invalide ». Ou encore : « Quelle sorte d’incroyance a comme effet l’absence du sacrement ? »
Une réadmission aux sacrements ou un nouveau mariage religieux ne peuvent avoir lieu que sur la base d’un procès en nullité mené véritablement à son terme. C’est ici que s’ouvrent de nouvelles perspectives, dans la mesure où le can. 1536 § 2 considère les dépositions des parties (sous forme d’aveu ou de déclaration) comme des preuves centrales. Il n’est pas encore clair, dans la pratique de l’Église, si, grâce à cela, on atteint réellement davantage de justice ou une plus juste recherche de la vérité dans le cadre actuel des procès de nullité de mariage.
Richard Puza
Il est admis qu'en vertu du respect de la liberté individuelle tout citoyen doit avoir la possibilité de satisfaire à ses obligations religieuses, s'il se trouve dans des conditions telles qu'il ne lui est pas possible de se rendre dans le lieu de culte, où il a l'habitude d'accomplir ses devoirs religieux. Si cet empêchement est dû à une situation créée par le pouvoir civil, l'État s'estime tenu de prendre les mesures qui s'imposent pour faciliter aux intéressés les obligations que leur dicte la foi. C'est une règle que respectent les États qui vivent sous le régime de la séparation avec l'Église. Ils assurent à leurs sujets l'assistance religieuse ou, pour employer une expression plus large qui correspond mieux à la réalité, l'assistance spirituelle ; en français, on emploie couramment l'expression : aumônerie.
Il est intéressant de pouvoir comparer les dispositions qu'ont prises les États pour offrir à leurs sujets cette assistance spirituelle. Deux auteurs nous permettent de le faire pour l'Italie. Il ont rassemblé en un volume toutes les mesures législatives qui répondent à cet objectif ; leur recueil peut être considéré comme le "Code" de l'assistance spirituelle pour l'Italie. Il s'agit de Perluigi Consorti, à qui nous devons déjà un travail sur les synodes diocésains d'Italie (cf. RDC, t. 43, 1993, p. 142-143) et de Mauro Morelli, tous les deux docteurs en droit. Dans une courte introduction, P. Consorti donne un aperçu sur l'histoire de l'assistance spirituelle en Italie depuis 1866. Les textes du "Code" sont classés dans l'ordre chronologique selon les divers secteurs dans lesquels l'aumônerie a le droit de s'exercer ; à noter que dans les dernières décennies le gouvernement italien s'est préoccupé d'assurer, dans la mesure du possible, l'assistance spirituelle aux sujets des diverses familles religieuses chrétiennes et non chrétiennes (juifs, musulmans...). Aux textes législatifs de l'État les auteurs ajoutent les dispositions émanant de l'autorité romaine pour les membres de l'Église catholique. Voici les neuf catégories d'institutions ou d'organismes pour lesquels est prévue une aumônerie avec la reproduction des textes législatifs civils et les dispositions canoniques correspondantes : 1. aumônerie militaire ; 2. aumônerie des prisons ; 3. aumônerie des hôpitaux ; 4. aumônerie des internats et des pensionnats de jeunes filles ; 5. aumônerie du tourisme et de la migration ; 6. aumônerie des communes ; 7. aumônerie de la famille royale (1939) ; 8. aumônerie de la police d'État ; 9. aumônerie du Corps national des pompiers. Faut-il ajouter qu'il serait souhaitable et utile que l'on puisse disposer d'un "Code" semblable pour d'autres pays.René Metz
Une édition italienne de ce Lexique est parue en 2003. Voici l’édition française, augmentée d’une douzaine d’articles signés par MM. Tony Anatrella, Jean-Louis Bruguès, Xavier Lacroix, André Vingt-Trois, etc.
L’objectif affiché par le cardinal Lopez Trujillo, président du Conseil pontifical pour la famille, est le suivant : « [informer] sur le vrai contenu des mots, sur la réalité vraie qui doit servir de guide à leur bon usage » (p. 7). Il y a donc un « vrai contenu » des mots, une « réalité vraie » cachée ou dénaturée par un mauvais usage du langage. Le premier exemple donné par le cardinal est bien sûr celui d’interruption volontaire de grossesse, « habile formulation » pour avortement.
L’adjectif « habile » revient à plusieurs reprises : les mots ne sont pas détournés par hasard, mais sciemment, afin de « manipuler l’opinion publique ». Qui cherche ainsi à tromper son monde « par froid calcul » ? Sont dénoncées principalement des instances internationales telles l’ONU, mais aussi des personnes nommément visées, comme le démographe français Louis Roussel, décrit comme « un idéologue actif » (p. 12). La Conférence du Caire de 1994 sur la famille, ainsi que la Conférence de Pékin de 1995 sur les femmes, furent les moments forts du complot. Un exemple des habiles moyens utilisés par cet « ensemble idéologique concentré, dynamique et fonctionnellement organisé » ? L’utilisation du mot familles au pluriel, « afin d’opposer un veto douloureux au modèle voulu par Dieu ». On voit la subtilité des comploteurs… et l’exceptionnelle acuité de l’analyse des dénonciateurs !
Le volume rassemble environ quatre-vingts articles. Parmi ceux qui peuvent intéresser les canonistes, citons Avortement et le droit, Famille et droits des mineurs, Égalité des droits entre hommes et femmes, Euthanasie, Homosexualité et homophobie, Mariage indissoluble, Unions de fait, etc.
Genre, par exemple,fait l’objet de deux articles. Ce mot, dont l’acception actuelle est d’origine anglo-saxonne (gender), a été défini lors de la Conférence de Pékin : « Le genre se réfère aux relations entre hommes et femmes basées sur des rôles socialement définis que l’on assigne à l’un ou l’autre sexe ». Cela semble relever du bon sens : les relations entre hommes et femmes ne sont pas limitées au sexe (la nature biologique), mais sont influencées par la société, qui assigne à chacun un rôle. Ainsi, ces relations peuvent varier d’une époque à l’autre, d’une culture à l’autre, comme l’illustre le débat actuel sur le voile. En réalité, selon les auteurs, une idéologie particulièrement perverse se cache derrière le mot genre : celle du féminisme radical. L’objectif de cette idéologie « néo-marxiste » est d’« éliminer l’idée que les êtres humains se divisent en deux sexes ». Il existe en effet, dit l’Allemande Jutta Burggraf, trois genres linguistiques : le masculin, le féminin et le neutre, alors qu’il n’y a que deux sexes. Notons au passage que ce qui est vrai en allemand (der, die, das) ne l’est pas nécessairement dans d’autres langues : le français n’a que deux genres (le, la), l’anglais n’en a qu’un (the). Mme Burggraf signale d’ailleurs qu’en allemand, le débat lui-même est de peu de portée, puisque l’allemand n’a qu’un mot (Geschlecht) pour désigner le genre et le sexe. En tout cas, dans les instances internationales où l’on parle essentiellement l’anglais, l’utilisation du mot gender serait promue par ceux et celles qui cherchent à brouiller les cartes du tendre et à justifier l’existence d’un troisième genre : celui des homosexuels. Les perspectives dessinées par les deux articles sont apocalyptiques : parler de genre au lieu de sexe revient à « déclarer la guerre à la nature » : « la réalité de la nature incommode, gène et par conséquent doit disparaître ». Accepter le vocabulaire du genre aboutira à la destruction du mariage, de la famille et in fine de la société elle-même.
La guerre des mots est donc déclarée. Le Lexique entend opposer la vérité catholique à la dégradation linguistique des mœurs. La vérité catholique ? On observera que les sources premières de l’interprétation chrétienne – la Bible, les Pères, les conciles… – sont totalement absentes de l’argumentation des auteurs. Ainsi, la célèbre affirmation de s. Paul : « dans le Christ Jésus, il n’y a plus […] ni homme ni femme » (Gal 3,28), n’est pas citée ni même évoquée. La position catholique, à en croire ces deux articles, est entièrement fondée sur l’idée de nature, elle-même identifiée à la biologie, c’est-à-dire, en l’occurrence, au sexe génital. L’anthropologie chrétienne se réduit-elle vraiment à cela ?
L’histoire – que les auteurs des deux articles sur le genre ignorent aussi – montre d’ailleurs que la question ne date pas de la conférence de Pékin. Dans un texte embarrassant, mais qui fait partie de la tradition canonique, saint Ambroise (ou un pseudo-Ambroise appelé Ambrosiaster) affirmait qu’après un divorce pour cause de fornication, le mari peut se remarier, mais pas la femme. Le canoniste Gratien veut rétablir l’égalité entre les deux sexes. Voici comment il interprète le texte litigieux : « Lorsque Ambroise parle d’homme (vir), il désigne non le sexe, mais la force d’âme ; de même, lorsqu’il parle de femme (mulier), il ne désigne pas le sexe du corps, mais la faiblesse de l’ esprit […]. Le mot femme désigne donc aussi bien le fornicateur que la fornicatrice, en raison de la corruption de la luxure » (dictum post C. 32.7.18). Autrement dit, les mots vir et mulier n’indiquent pas toujours le sexe biologique, mais peuvent désigner un trait de caractère, une qualité morale ou une position sociale. C’est ce qu’aujourd’hui on appelle le genre. Gratien mériterait d’être condamné, pour s’être éloigné il y a huit siècles du « vrai contenu » des mots.Jean Werckmeister
À l’occasion du dixième anniversaire de l’entrée en vigueur (le 1er octobre 1991) du Code des canons des Églises orientales (CCEO), la Congrégation pour les Églises orientales et l’Institut pontifical oriental ont organisé, entre le 19 et le 23 novembre 2001, un Symposium internationalqui a réuni au Vatican de nombreux spécialistes du droit canonique oriental. Faisant écho aux paroles du pape Jean Paul II, prononcées à l’occasion de la promulgation dudit Code en 1990, qualifiant celui-ci d’« instrument de charité », le Symposium eut pour thème Ius Ecclesiarum, vehiculum Caritatis.
Le très bel ouvrage, paru trois ans plus tard, rassemble, non seulement les textes des communications faites au congrès, mais aussi de nombreuses études, envoyées par la suite aux fins de publication. Il en a résulté plus d’une cinquantaine de contributions, d’inégale longueur, rédigées dans différentes langues (italien, français, allemand, anglais, espagnol), et portant exclusivement sur les Églises orientales et leur droit.
Les contributions ne sont pas classées par ordre thématique, les éditeurs ayant préféré reproduire, d’abord les communications faites au Symposium, selon l’ordre chronologique fixé dans le programme initial des Journées, ensuite les autres contributions, reçues à l’occasion du Symposium, classées selon l’ordre alphabétique des noms de leurs auteurs. Ce choix présente inévitablement l’inconvénient de provoquer une grande dispersion des études se rapportant à la même thématique. Aussi, par commodité, avons-nous, pour les besoins de la présente recension, regroupé par thèmes les différentes contributions.
Plusieurs grands axes peuvent être dégagés. Si l’œcuménisme, ou plutôt la communion des Églises, occupe une place de choix dans les travaux des conférenciers, en raison justement du rôle d’« instrument de charité » assigné à la codification orientale (les travaux de toute une journée lui ont été exclusivement consacrés), diverses autres questions telles que la liturgie, le droit canonique comparé, l’administration de la justice aux sein des Églises orientales, le droit pénal, les rites ou aussi le droit particulier des Églises orientales sui iuris ont également fait l’objet d’amples développements. Les travaux adressés ultérieurement (p. 603-987) traitent quant à eux, en plus des thèmes précités, d’autres aspects en particulier du CCEO, tels que le « ius publicum ecclesiasticum », la juridiction du patriarche extra fines territorii, la « communio ecclesiastica » du patriarche avec le Pontife romain, la formation des candidats au ministère, l’évangélisation...
Les réflexions émises à l’occasion de cette importante manifestation scientifique vont bien au-delà d’une simple exégèse des canons du Codex canonum ecclesiarum orientalium. La décennie qui s’est écoulée entre l’entrée en vigueur du Code et la tenue du Symposium a permis de procéder à une sorte d’inventaire des questions qui nécessiteraient un nouvel approfondissement. C’est finalement le propre de toute codification que de faire face à ses propres limites.
Parmi ces questions, fort nombreuses, citons à titre d’exemple celles ayant trait au degré d’autonomie, toute relative, dont jouissent les Églises patriarcales et leurs chefs vis-à-vis du Siège apostolique (D. Salachas, p. 154 et s. ; L. Kovalenko, p. 783-790, au sujet de la « communio ecclesiastica » des canons 76-77 du CCEO). C’est dans le même ordre d’idée que s’inscrit la problématique, toujours actuelle, de l’extension de la juridiction du patriarche (« potestas regiminis ») sur tous les fidèles de l’Eglise sui iuris, y compris ceux qui se trouvent hors des limites du territoire du patriarcat (H. Legrand, p. 139 ; L. Lorusso, p. 299-300, J. El-Khoury, p. 753 et s. ; D. Le Tourneau, p.825 et s.). Cette solution, qui n’a pas été retenue par le Législateur, malgré sa soumission au Saint-Père à la veille de la promulgation du Code des canons des Églises orientales en 1990 (cf. Nuntia, 29 (1989) 27), reste d’une grande actualité en raison de l’installation constante d’un nombre de plus en plus important de fidèles orientaux hors des territoires de leurs Églises sui iuris respectives. Il en est de même du principe ex ministerio enim talis cleri uxorati inter latinos timetur scandalum et cum eo non minus detrimentum religionis et disciplinae ecclesiasticae qui, bien qu’il ne s’applique plus dans les faits dans toute sa rigueur, n’est toujours pas abrogé expressément (L. Lorusso, p. 315-316). En vertu de ce principe, les prêtres catholiques orientaux mariés ne peuvent être en charge de paroisses situées en dehors du territoire de leur patriarcat, notamment en Occident.
Les débats autour de l’articulation des deux notions de « rites » et d’« Églises de droit propre » dans la prise en compte des réalités ecclésiologiques et canoniques des Églises méritaient également d’être relevés (A. Kaptijn, p. 405 et s.). Fut-il vraiment heureux d’écarter, dans la dernière codification du droit canonique oriental, la notion théologique de « rite » (cf. Décret Orientalium ecclesiarum du 21 novembre 1964 qui parlait d’« Églises particulières ou rites ») au profit de celle, purement juridico-canonique, d’« Églises sui iuris » ou « Églises de droit propre » ?
À propos de ces dernières, l’importante place que le CCEO accorde aux « droits particuliers » (cf. Constitution Apostolique « Sacri Canones » ; CCEO, c. 1493, § 2) de chacune d’elles (le CCEO compte quelque 180 renvois au « iure particulari ») a permis la publication, ces dernières années, au sein d’un certain nombre d’Églises patriarcales, archiépiscopales majeures et métropolitaines sui iuris, de documents réunissant les divers éléments du droit propre de chacune d’elles (A. A. Mina, p. 535 et s.). Cette démarche, en ce qu’elle permet aux Églises orientales de consigner et de préserver les traditions et les spécificités de leur patrimoine presque deux fois millénaire, doit se poursuivre au sein des autres Églises sui iuris (cf. Andrijisyn, p. 643 et s., pour l’Église grecque catholique ukrainienne).
Le Symposium, qui avait pour ambition initiale de faire le point après une décennie d’application de la toute première codification d’ensemble, commune à toutes les Églises orientales catholiques, a largement atteint ses objectifs. La publication qui en est issue, enrichie d’un grand nombre de travaux novateurs, constitue une référence sûre pour les canonistes, spécialistes du droit canonique oriental, mais aussi pour leurs collègues, versés dans le droit canonique latin, qui désirent faire œuvre de comparatistes. Gageons qu’une prochaine réunion, nourrie des mêmes ambitions, révélera dans quelques années d’autres évolutions, dans un domaine en constante mutation.Marc Aoun