P. DE CLERCK, J. GÉLINEAU, P.-M. GY, E. MAZZA, A. NOCENT E AA. VV., Vincolo di carità, la celebrazione eucaristica rinnovata dal Vaticano II, éditions Qiqajon, Communauté de Bose, I 13050 Magnano, 1995, 216 p.

Ce volume réunit les conférences d'un colloque international organisé par la communauté de Bose, du 18 au 23 avril 1994, pour célébrer le trentième anniversaire de la Constitution sur la liturgie. Comme l'explique Enzo Bianchi, prieur de Bose, dans sa présentation, les organisateurs avaient invité des artisans de la réforme liturgique et des liturgistes de la génération suivante, pour recueillir leurs témoignages sur la façon dont s'étaient déroulés les travaux préparatoires et les sessions du concile, des appréciations sur la mise en œuvre de cette réforme et des orientations pour l'avenir. Les contributions sont rédigées les unes en italien, les autres en français. Elles informent sur la mise au point de l'Ordo Missae de 1970 par les experts, sur les principes auxquels ceux-ci devaient se référer (J.-B. Molin), la révision des oraisons (B. Neunheuser), la réforme du lectionnaire (A. Rose, A. Nocent), l'apport des dons (P. de Clerck), les prières eucharistiques (P.-M. Gy, C. Giraudo, E. Mazza), en suggérant des améliorations et des remaniements, en engageant des réflexions pastorales, entre autres sur les problèmes linguistiques (C. Valenziono) et la participation de toute l'assemblée (J. Gélineau), et en insérant une proposition d'Ordo ferialis missae (F. Dell'Oro). La liturgie apparaît, dans l'ensemble de ce volume très suggestif, comme une institution vivante et, à ce titre, comme un chemin à aménager constamment, parce qu'elle est pastorale.

Marcel METZGER

Roland DELMAIRE, Les Institutions du Bas-Empire romain de Constantin à Justinien, tome I, Les Institutions palatines, Paris, Éd. du Cerf-CNRS, 1995, 202 p.

Dans ce tome l'auteur étudie trois institutions. D'abord le consistoire ou conseil impérial et les corps qui l'assistent ou sont à son service (admissionales ou huissiers, silentiaires, notaires, référendaires, secrétaires du consistoire) ; en deuxième lieu, les quatre "ministres palatins" que sont le questeur du palais (porte-parole de l'empereur), le maître des offices et ses services (bureaux palatins, milices civiles du palais, agentes in rebus ou agents de missions), le comte des Largesses sacrées et le comte des biens privés (res privata ) qui dirigent les services financiers du trésor impérial avec l'aide d'employés appelés palatins ; en troisième lieu, les services techniques et domestiques du palais, les premiers sous les ordres de l'intendant général du palais ou castrensis, les seconds constituant le cubiculum sous les ordres de son préposé. Les différents aspects du fonctionnement de ces institutions ont été pris en considération, dont l'organisation en collège, ou scholae, le recrutement, les bureaux, les insignes, les promotions et les carrières, sans oublier le contre-pouvoir qui s'exerce dans les appartements (p. 45, 174-175). L'A. fait découvrir de l'intérieur le fonctionnement et la complexité de cette énorme machine administrative, très efficace. Il procure une importante bibliographie sur chaque institution ainsi qu'un glossaire, un index et des organigrammes. Ces pratiques administratives et la culture qu'elles impliquent se sont également imposées aux royaumes barbares. Elles étaient bien connues des auteurs chrétiens, en particulier des évêques, et l'A. signale au passage l'intégration d'éléments chrétiens (par ex. p. 34), les incidences sur les institutions ecclésiastiques et leur terminologie ainsi que les allusions dans des récits chrétiens (par ex. p. 35, 41, 116). Cet ouvrage très documenté intéresse la recherche en histoire du droit canonique. Il fournit des orientations méthodologiques valables également pour l'étude des institutions chrétiennes, en particulier l'attention au caractère évolutif de telles institutions et de leur terminologie. L'étude du mot scrinium, par exemple (p. 66), révèle comment des termes techniques se sont formés à partir de réalités souvent bien modestes, et non pas à partir d'étymologies ou de notions abstraites. Cela vaut aussi pour bien des institutions chrétiennes. À ce propos, les informations données par l'A. me suggèrent une hypothèse pour un terme liturgique romain dont l'origine est des plus obscures, secreta, désignation de l'oraison concluant le rite de préparation des dons (sacramentaire gélasien ancien, super oblata dans le grégorien). Il s'agit en effet des silentiaires et des a secretis (p. 39-45), le terme secreta désignant des séances du consistoire. Or des agents étaient chargés de faire régner le silence. Dans ce sens, secreta ne signifierait pas prière silencieuse, mais prière exigeant le silence de l'assemblée, ce silence devant être rétabli après les déplacements nécessités par la préparation des dons.

Marcel METZGER

Heinrich DENZINGER, Symboles et définitions de la foi catholique, sous la direction de Peter HÜNERMANN pour l'édition originale et de Joseph HOFFMANN pour l'édition française, Paris, Éd. du Cerf, 1996, LII-1290 p., 22 x 17,5 cm.

Le "Denzinger" fait figure d'institution. Longtemps édité en un in-8° très maniable, ce petit volume dense s'est fait connaître bien au-delà des frontières de l'Église romaine ; pour les membres d'autres confessions ou pour les historiens, par exemple, il représente rien moins que la quintessence de l'orthodoxie catholique. On sait le rôle déterminant qu'il a joué dans la formation et le travail quotidien de générations de clercs et de théologiens, au moins jusqu'à Vatican II. Ce rôle et cette importance justifient-ils, trente ans après le Concile, qu'on donne au public une version française du "Denzinger" ?
Depuis la fin 1996, la question ne se pose plus. Nous disposons en effet, par les soins des éditions du Cerf, de Peter Hünermann pour l'édition originale et, pour l'édition française, de Joseph Hoffmann, notre éminent collègue systématicien de la Faculté de Strasbourg, de l'Enchiridion en français : Symboles et définitions de la foi catholique. Cette traduction s'inscrit dans une reprise et une réorientation de ce petit manuel de textes du magistère que Heinrich Denzinger publia pour la première fois en 1854, et dont la continuation paraissait menacée après les derniers remaniements importants apportés par Schönmetzer (32e édition de 1963, et les suivantes jusqu'à la 36e). Or à partir de 1981 l'éditeur Herder décide de mettre en chantier des éditions avec traduction (le " Denzinger " présentait les textes dans leur langue originale, grecque et latine), et envisage la mise en place de comités d'experts internationaux. C'est ainsi que paraissent la 37e édition, trilingue : grec-latin-allemand, en 1991, et, anticipant sur la 38e, notre édition française.
On peut s'en rendre compte : le temps d'hésitation qu'a représenté l'après-concile pour l'entreprise correspond à des interrogations diverses. Sur la langue véhiculaire d'abord. Neuner et Roos avaient édité Der Glaube der Kirche, recueil en allemand de textes du magistère revu ultérieurement par K. Rahner (par ailleurs responsable de la 28e à la 31e édition du "Denzinger") ; le P. Dumeige, pour sa part, procurait dès 1968 son recueil en français, La Foi catholique - les deux ouvrages ayant en commun un plan thématique et une préoccupation plus "religieuse" qu'institutionnelle. Un "Denzinger" trilingue représente bien sûr un avantage énorme ; mais comment éviter la surcharge en nombre de pages ? Le parti a été pris de ne plus donner le texte latin après Vatican I (l'utilisateur regrettera, quant à lui, qu'on ne soit pas allé jusqu'à Léon XIII, voire Pie X...).
Interrogations sur l'esprit de l'entreprise ensuite. Le manuel de H. Denzinger, avec sa centaine de textes émanant a conciliis œcumenicis et summis pontificibus, avait une destination scolaire et portait, en ce milieu du XIXe siècle, l'idée d'un retour aux symboles et définitions doctrinaux, pour faire pièce aux tendances contemporaines d'une théologie estimée par trop rationaliste. Plus tard se marquera une tendance, souvent soulignée, à la majoration de l'autorité papale : elle est le fait surtout de Clemens Bannwart (10e édition, 1908) ; c'est lui aussi qui ajoutera l'indication du pontificat des papes. Celle-ci rythme encore le texte de l'édition actuelle, en sorte que, de Pierre, Lin, Anaclet et Clément Ier de Rome jusqu'à Jean Paul II, on donne la liste continue des évêques de Rome, quitte à couper un concile œcuménique par la mention du changement de pape intervenu alors.
Une autre tendance se précise au fil des éditions successives : c'est le souci de la précision historique (datation, notes) et de la critique textuelle. On imagine bien que cette exigence de qualité scientifique n'est pas abandonnée aujourd'hui. Yves Congar, qui la saluait dans un article de 1963, relevait aussi, en bon savant, quelques imprécisions ou certaines omissions présentes dans les textes de référence (de Vatican I en l'occurrence), "qui ne sont pas de Denzinger-Bannwart, mais que l'éditeur eût pu signaler". On constatera, au n° 3066 de l'édition actuelle, que Congar a été entendu : crochets ajoutés dans le texte, note signalant l'omission et renvoyant au texte d'Hormisdas que la constitution Pastor aeternus avait ainsi "abrégé".
Aux deux caractéristiques soulignées - l'insistance sur les papes comme énonciateurs privilégiés et le souci de rigueur historique -, il faut sans doute en ajouter une troisième, que Heinrich Denzinger ne pouvait pas prévoir, mais dont l'ampleur déporte l'entreprise en quelque sorte au-delà d'elle-même : de l'intense production des papes récents, largement citée, on peut dire en effet qu'elle déséquilibre l'Enchiridion. Congar signalait déjà le phénomène : "les cinq ou six derniers papes occupent presque autant de place que tous leurs prédécesseurs". Dans l'édition actuelle, la partie non bilingue (après Vatican I) court de la p. 694 à la p. 1033, soit près de la moitié de l'ensemble du texte français. En compte par numéros (mais tous ne sont pas attribués, en raison d'un système mnémotechnique mis au point par Schönmetzer : voir l'introduction, p. XLI-XLII), on obtient, selon la même division, respectivement : 1-76 (symboles de foi) + 101-3075 / 3100-5041.
On le voit : "l'hésitation" qui a suivi les éditions de Schönmetzer avait une portée radicale. Il s'agissait ou bien de mettre un terme à l'entreprise, de la suspendre (on avait alors un objet historique dont il était envisageable d'équilibrer les instances - avec mention du magistère ordinaire non papal, de conciles locaux... - et de mettre en relief les perspectives, les valeurs critériologiques), ou bien de la continuer dans le sens plein du terme, c'est-à-dire en assumant complètement ses caractéristiques. La 37e édition et notre édition française représentent le choix de continuer Denzinger, ou plutôt ce que "Denzinger" est devenu.
Comment contourner ainsi le fait que la part prise par le magistère romain dans le dernier siècle tend à écarter tout autre lieu "déclaratif" légitime ? À considérer - exemple rapide - les vingt-neuf textes produits sous le pontificat de Jean Paul II que cite notre édition, deux seulement ne sont pas romains : ils proviennent de l'épiscopat latino-américain (Puebla, 1979 et Saint-Domingue, 1992 - après l'assemblée de Medellin en 1968, également citée, sous Paul VI). On peut, on doit y voir une ouverture, et la trouver néanmoins timide...
Comment ajuster le volume massif des productions récentes avec la sécheresse précise de la découpe doctrinale fournie par le premier millénaire chrétien ? Le sens profond de l'entreprise "Denzinger" (plus encore, sans doute, que de son édition princeps) est la continuité dans le développement, l'identité à soi de la Tradition qui, à travers les âges, exprime la foi catholique ; la chronologie pure selon laquelle les textes sont donnés ne prétend rien faire voir d'autre (encore Congar faisait-il remarquer que le magistère de l'Église ne s'exerce pas seulement dans le temps, mais aussi dans l'espace...). Ce degré zéro de l'herméneutique sera compensé par un impressionnant index thématique de près de deux cents feuillets pleine page en petits caractères, véritable traité de théologie en forme de sommaire. Qu'on se rappelle l'effet de mimétisme qui conduisit au début du siècle nombre de cours et de manuels à s'aligner sur le plan de cet index tel qu'il se présentait alors - ce qu'on a nommé la Denzinger Theologie... (à titre d'exemple, voici le début du plan de l'index Umberg, à partir de 1922 : la Révélation, l'Église, le Pontife romain, Dieu un, Dieu trine, la Création, etc.) L'index actuel ne paraît pas devoir se prêter à de telles dérives ; l'ampleur de vue théologique qui s'y manifeste l'en protège, et les incessants renvois de paragraphe à paragraphe n'imposent pas de parcours fléché.
Toujours à propos de l'index thématique, un bref sondage à propos de la place faite à la morale ne manque pas d'être instructif. H. Denzinger avait placé son recueil de textes doctrinaux à l'enseigne de rebus fidei et morum, mais, dans ce couple traditionnel de termes, les "mœurs" doivent s'entendre des coutumes et des formes de vie de l'Église, comme tel en fut le sens jusqu'à l'époque du concile de Trente ; il ne s'est restreint à celui de doctrine morale qu'à l'époque moderne, avec l'enseignement spécialisé dispensé dans les séminaires à l'intention des futurs confesseurs : il s'agissait d'aider à un jugement différencié sur les péchés, évalués selon leur gravité objective et selon l'intention subjective. La discipline marquait en même temps sa prise d'autonomie en s'intitulant fièrement theologia moralis, tout en comportant nombre d'éléments typiquement canoniques, mais aussi liturgiques, pastoraux, etc. La ratio studiorum de cette instruction de type casuistique présentait deux sections : le décalogue et les sacrements, plan qui est resté en vigueur du XVIIe siècle à Vatican II.
Par là s'explique le fait que la morale ait pu, au fil des éditions successives du "Denzinger", entrer et sortir de l'index systématique : de 1908 à 1920, C. Bannwart en a fondu les thèmes dans l'ensemble du corps doctrinal. Perception toute relative, donc, de l'autonomie de cette discipline, non moins que de sa consistance : H. Denzinger l'articulait selon les trois champs d'obligations (envers Dieu, soi-même et autrui), B. Umberg revenant pour sa part (en 1922) à l'ordonnancement du décalogue, avant que A. Schönmetzer (1963) ne reprenne les trois erga pour leur en adjoindre, de façon timide mais significative, un quatrième - erga societates supremas, où il détaille les biens de la famille, de la société et de l'Église.
L'index Hünermann - celui de notre édition actuelle - s'appuie sur le plan donné par Schönmetzer, mais le quatrième champ d'obligations s'y voit développé de manière tout à fait spectaculaire : sur les 14 points de la section L consacrée à la vie morale, 9 se rapportent à la vie morale sociale. L'ampleur prise par ces questions, de la famille à la culture et des droits de l'homme à l'économie, représente la prise en compte de cent ans de "doctrine sociale de l'Église", tels que Gaudium et spes en a entériné le dessein. Du même coup, il devient plus difficile d'imaginer une absorption de la morale sous d'autres têtes de chapitre, malgré le jeu de renvois que l'index propose. C'est que la morale sociale, comme doctrine catholique ou plus modestement comme discours social de l'Église, apparaît directement exposée aux mutations de notre monde et se présente ainsi comme le lieu d'un débat ou d'un dialogue possibles.
Sous quelles formes, ce débat ? La morale aujourd'hui n'est plus la "morale de confessionnal" de l'âge classique, largement occupée à sous-traiter des questions soulevées par le droit canon. N'aurait-elle pas pour tâche, en revanche, et par l'effet d'un renversement qui n'a rien de mécanique, de baliser les voies pour un droit de l'Église qui se situerait décidément à l'interface des institutions et des principes, des droits et des responsabilités, dans la confrontation des légitimités et des champs d'activité ? Soulever une telle question n'est pas entièrement déplacé si l'on considère par contraste ce qu'il faut bien nommer une carence du "Denzinger-Hünermann", la quasi invisibilité du droit canonique. Hormis quelques éléments sur le pouvoir de juridiction du pape et des évêques et la mention d'un certain nombre de dispositions canoniques au sujet du mariage (groupées dans l'index en K 9f), il n'y a à peu près rien. Absence manifestement délibérée, quand on se souvient que B. Umberg, par exemple, avait introduit dans son édition des références au Code de droit canonique de 1917. De semblables options, qui engagent peu ou prou la vision qu'on se fait des mores, il serait souhaitable que soit donnée une explicitation motivée.
On le constate : il est difficile de s'intéresser à l'entreprise "Denzinger" sans se laisser prendre au jeu non seulement du pari qu'elle entend tenir, mais aussi des défis qu'elle lance. C'est sans doute dû au fait que ce guide de textes doctrinaux, en sus de l'instrument de travail qu'il fut et demeure, est devenu lui-même un impressionnant chantier.

René HEYER

Giuseppe Dossetti, La Violenza nel Matrimonio in Diritto Canonico. Ristampa anastatica della prima edizione (1943), Milano, Vita e Pensiero, Largo A. Gemelli, 1998, in-8°, XXXIV-586 p.

Le présent volume est une simple réimpression, sans nulle addi­tion ni correction, d’un ouvrage qui a été publié un demi siècle plus tôt, en 1943 exactement, durant la Seconde Guerre mondiale. À l’époque de sa publication, l’auteur se proposait d’étudier l’influence que pouvaient exercer la violence et la crainte qui en résulte sur le consentement matrimonial et, en fonction des dispositions du Code de 1917, rendre invalide le mariage. Il s’agissait d’une étude très approfondie, un véri­table modèle de monographie sur un sujet pré­cis et très limité de droit canonique. Tout en s’intéressant directement à l’étude du droit canonique en vigueur, l’auteur avait estimé non seulement utile, mais indis­pensable d’envisager tous les aspects de la violence et de ses effets sur les actes de nature juridique. Le thème avait fait l’objet d’études dans le droit romain et surtout dans le droit canonique médiéval et moderne. Il importait pour l’auteur, à partir de toutes les données du passé, souvent discordan­ces, de réaliser un travail de synthèse qui devait permettre de fournir une explication raisonnée des conclusions que les rédacteurs du Code de 1917 avaient adoptées en élaborant le canon 1087, § 1 et de laisser entrevoir les améliorations que l’avenir pourrait apporter en ce domaine.

Tout cela est bien, mais avec ce travail, dira-t-on, nous nous trouvons dans le contexte du Code de 1917. Vatican II et, avec lui, le Code latin de 1983 nous ont introduits dans un autre contexte, dif­férent de celui qu’ont connu nos prédécesseurs. Quel pouvait être l’intérêt de réimpri­mer de manière anastatique une telle étude ? La réponse, nous la trou­vons dans la Présentation qu’a faite du volume le Recteur de l’Université catholique de Milan, Adriano Bausola, et surtout dans l’Introduction qu’ a ajoutée le professeur Giorgio Feli­ciani, de la même Université, bien connu des canonistes.

La réimpression avait été décidée en 1994, bien sûr, avec le consentement de l’auteur et surtout avec la promesse faite par Giu­seppe Dossetti d’ajouter au volume une Postface, dans laquelle il mettrait au point les nouvelles dispositions prises sur ce sujet par le Code de 1983; les nouvelles dipsositions ne faisaient, à son avis, que mettre en valeur les propositions qu’il avait suggérées quarante années plus tôt. Les circonstances n’ont malheureusement pas per­mis à l’auteur d’écrire la Postface promise : l’état de sa santé s’était aggravée au point de l’em­pêcher de fournir la mise au point tant attendue; il mourra en 1996 avant même l’achèvement de la réim­pression.

Malgré l’absence de la Postface, l’Université catholique de Milan n’a pas à regretter la réimpression de la Violenza nel matrimonio in diritto canonico. Le recteur Bausola et le professeur Feliciani ont bien souligné la signification que prenait à leurs yeux la décision de réimprimer l’ouvrage. Ce faisant, l’Université catholique de Milan a voulu honorer la mémoire de l’éminent canoniste et humaniste que fut Giuseppe Dossetti.

Après l’achèvement de ses études juridiques, le jeune Dossetti assura un enseignement à l’Université catholique de Milan et l’Université de Modena lui confia la chaire de droit civil ecclésiastique. La politique l’attira également: il fut député à la Chambre et de Gasperi le fit nommer Vice-Secrétaire de la Démocratie chrétienne. Mais dès 1952, à 39 ans - il est né en 1913 - G. Dossetti abandonna la carrière politique et quelques années plus tard, en 1957, la carrière universitaire. Il s’adonna dès lors à la recherche historico-théologique et se consacra à la communauté monastique de l’Annunziata de Monteveglio. En 1959, il reçut la prêtrise des mains du cardinal Lercaro, dont il devint le collaborateur direct au concile Vatican II.

Il convient de noter que dans l’introduction du professeur Feli­ciani on trouve d’intéressants renseignements sur les années d’étude du jeune Dossetti, notamment sur la préparation de son travail sur la violence dans le droit matrimonial et aussi sur le rôle joué par Dossetti dans les discussions concernant la « scuola italiana » du droit canonique relatives à l’autonomie du droit canonique par rap­port à la théologie. Dans quelques pages d’Appendice, le volume reproduit aussi le texte de la correspondance échangée de 1937 à 1942 entre le jeune Dossetti et le recteur de l’Université catholique de Milan, le père Agostino Gemelli.

René Metz

 

Georges DOLE, La Liberté d'opinion et de conscience en droit comparé du travail. Union européenne, 1. Droit européen et droit français ; Bibliothèque de droit social, t. 25, LGDJ, Paris, 1997, 256 p. [295 F].

Depuis plus de vingt ans, M. l'abbé Dole s'intéresse à la condition sociale du clergé, c'est-à-dire à son "intégration dans la cité". Il y rencontre des questions fort débattues, comme celle, dans les années 70, de l'adhésion à un régime de sécurité sociale, ou celle, sociologique autant que juridique ou ecclésiologique, de "la profession ecclésiastique".
C'est encore l'actualité qui stimule aujourd'hui sa réflexion, qu'il s'agisse du contrat de travail, de la liberté de conscience, de respect de la personne humaine, de la vie et du corps, de la liberté de l'enseignement, d'opinion et d'expression. Et, autre signe de son attention au monde contemporain, ses recherches dépassent le cadre français pour gagner celui du "droit européen".
À cheminer dans cette vaste enquête, à suivre les analyses que l'auteur fait d'une jurisprudence foisonnante, mais qui parfois "cherche ses marques", on est tenté de conclure, comme le fait notre collègue J.-Cl. Javillier dans la Préface de ce livre, que "c'en est fait de nos conforts de pensée et de nos réflexes normatifs". L'auteur de cette Préface dit, avec une compétence que nous n'avons pas, les mérites de ce livre, qui fait, avec précision, le point sur des questions difficiles et cependant quotidiennes.
L'historien notera avec plaisir que M. Dole fait remonter à un lointain passé les bases fondamentales de sa défense de l'homme et de ses libertés... Le Montesquieu de L'Esprit des Lois (L. XII, ch. 2) ou le Voltaire de 1765 - ces "philosophes" encore si suspectés -, la Déclaration des droits du 26 août 1789, garantissant la liberté "des opinions, même religieuses" (art. 10), la Constitution du 3 septembre 1791 et la reprise qu'en fit celle de 1946, s'inscrivant dans la même ligne, mais allant plus loin ; la "Déclaration universelle des droits de l'homme" du 10 décembre 1948, la "Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales" du 4 novembre 1950 viennent compléter ce legs du passé.
C'est dire sur quelles bases et dans quel esprit est menée cette enquête sur des questions actuelles, dont certaines sont encore ouvertes. Il en est ainsi de celles que rencontre le citoyen dans son cadre de travail (p. 63-86), de celles qui se présentent aux moments cruciaux de l'embauchage, de l'absence, du licenciement (p. 86-124), de celles des régimes particuliers, du régime local d'Alsace-Moselle, des "entreprises de tendance", des institutions confessionnelles (p. 125-152). On retrouve l'IVG et le don d'organes, les maîtres de l'enseignement catholique et leur situation matrimoniale.
La "conclusion" ouvre des perspectives, souligne "les avances et les carences". Richesse de l'information, précision et prudence dans sa mise en œuvre, ampleur des perspectives, autant de qualités d'un livre qui sert la recherche des solutions de détail et la réflexion sur des questions majeures.

Jean GAUDEMET

Jean-Benoît D'ONORIO, Le Pape et le Gouvernement de l'Église. Préface du cardinal Joseph Ratzinger. Paris, Éditions Fleurus-Tardy, 1992, in-8°, 616 p.

Il est difficile de trouver un ouvrage aussi complet sur le pape et le gouvernement central de l'Église en cette fin du XXe siècle que celui que nos devons à Monsieur Jean-Benoît d'Onorio. Le lecteur y trouve, dans un langage limpide et facile à comprendre, tout ce qu'il peut souhaiter connaître sur la manière dont à partir de Rome est dirigée à travers le monde l'Église catholique. Qu'on ne se méprenne pas ; il ne s'agit pas d'un ouvrage de vulgarisation, mais d'une étude fort bien documentée, avec le renvoi aux sources les plus récentes, jusqu'au nouveau Règlement général ad quinquennium (pour un essai de cinq ans) du 4 février 1992.
Il n'est pas possible d'indiquer, même de manière très sommaire, le contenu de ce grand ouvrage. Nous devons nous contenter de signaler quelques-uns des titres des matières traitées, en laissant de côté bien des éléments qui mériteraient d'être mentionnés. L'auteur commence par soulever et exposer de manière minutieuse les problèmes fondamentaux sur la nature de l'Église et le bien-fondé d'un droit dans l'Église. Non moins importants et sujets à controverse sont les rapports entre la primauté pontificale et la collégialité épiscopale, l'autorité romaine et les compétences des Églises locales, le gouvernement pontifical et les conférences des évêques ; toutes ces questions sont examinées dans les détails, avec les indications utiles concernant, par exemple, les attributions des conférences des évêques, leur fonctionnement et la valeur de leurs décisions.
La plus grande partie du volume est consacrée, comme on l'imagine, aux institutions pontificales elles-mêmes, en fait à l'organisation actuelle de la curie romaine, avec un rappel de son évolution, surtout depuis la constitution Sapienti consilio de 1908 (Pie X) et le Code de 1917, les modifications apportées par Pie XI et Pie XII et surtout par Paul VI (constitution Regimini Ecclesiae universae, 1967) et Jean-Paul II (constitution Pastor bonus, 1988). L'auteur décrit, avec minutie, tout à tour l'organisme central de gouvernement : la Secrétairerie d'État avec ses 2 sections (Affaires générales et Relations avec les États), les 9 congrégations, les 3 tribunaux (Pénitencerie, Signature et Rote), les 12 conseils pontificaux, les 3 offices (Chambre apostolique, Administration du patrimoine du Saint-Siège, Préfecture des affaires économiques). Il fournit aussi tous les renseignements utiles sur les 12 autres organismes (Préfecture de la Maison pontificale, Commission de la révision de la Vulgate, Office du travail du Siège apostolique...) et sur les 9 institutions rattachés directement au Saint-Siège (Archives secrètes, Académie pontificale des sciences, Radio Vatican, Télévision, Fabrique de Saint-Pierre...). Dans le cadre du gouvernement central deux assemblées consultatives tiennent une place importante : l'une de fondation récente, le Synode des évêques, et l'autre de vieille date, le Collège des cardinaux ; les deux assemblées font l'objet d'instructifs développements sur leur compétence et leur composition. Finalement, l'auteur réserve une centaine de pages au fonctionnement des dicastères de la curie et à leur méthode de travail. Le lecteur y trouve une foule d'indications qui lui est difficile de se procurer ailleurs : catégories dans le personnel des congrégations et des autres organismes, limite d'âge, carriérisme, syndicat (Office du travail), effectifs (avec d'intéressants tableaux sur le nombre d'ecclésiastiques et de religieuses, de laïcs, hommes et femmes, dans les différents dicastères), cumul des fonctions, secret professionnel et secret pontifical, internationalisation dans la direction des dicastères... En guise de bilan, l'auteur estime que les dernières réformes du gouvernement central de l'Église laissent apparaître entre autres, avec quelques inconvénients, une rationalisation plus accentuée des compétences, une modernisation des moyens, l'admission de laïcs (hommes et femmes), une plus grande transparence, un caractère plus pastoral.
Un lexique des termes utilisés, une bibliographie générale, un index des principaux noms et des principaux thèmes facilitent l'utilisation de l'ouvrage, qui a été couronné par l'Académie des Sciences morales et politiques du Prix Henri Teixier.

René Metz

Joseph DORÉ (sous la direction de), Les Cent Ans de la faculté de théologie [de Paris], Paris, Beauchesne, 1992, 391 p.

Pour la Faculté de théologie établie dans l'Institut catholique de Paris, le 10 décembre 1889 représente une date décisive, car ce jour-là elle obtenait du Pape Léon XIII l'institution canonique. Le centième anniversaire a été célébré en son temps par diverses manifestations, en particulier par un colloque qui eut lieu les 17, 18 et 19 décembre 1990 et dont les actes ont été publiés dans le volume présenté ici. Cette publication propose des études historiques et des réflexions actuelles sur l'enseignement et la recherche dans le domaine des sciences religieuses et de la théologie. L'histoire de cette Faculté (par l'actuel doyen C. Bressolette) rend compte de la situation de l'Église de France à la fin du XIXe siècle et au cours du XXe en ce qui concerne l'enseignement de la théologie et décrit l'évolution des institutions mises en place à Paris, depuis l'École de théologie, fondée en 1878, avec sa trentaine d'étudiants clercs, jusqu'à l'UER actuelle (le titre de Faculté a été repris récemment), avec ses nombreux instituts spécialisés et ses quelque mille cinq cents étudiants, en grande majorité laïcs. Ce dossier historique réunit quantité d'informations sur l'enseignement théologique dans l'Église catholique et sur les relations Église-État dans le domaine de l'enseignement supérieur en France. Il fournit aussi le texte ou le résumé de divers documents officiels concernant ces sujets ainsi que des témoignages de plusieurs acteurs des évolutions décrites. Il est complété par la présentation de deux figures prestigieuses, Louis Duchesne et Alfred Loisy, dont la carrière a été liée initialement et brièvement à l'École ou à la Faculté de Théologie de Paris, pages éclairantes (B. Sesboüé) qui reconstituent l'ambiance annonciatrice de la crise du modernisme. À ce dossier historique on peut encore joindre le chapitre sur l'enseignement des jésuites à l'Institut catholique (R. Marlé). Les autres dossiers décrivent les principales évolutions de l'enseignement théologique au cours des dernières décennies à Paris et témoignent d'une ouverture croissante au monde actuel et à ses cultures, ce qui est une dimension de la pastorale : progrès de l'exégèse biblique (J. Briend), entrée de l'herméneutique en théologie (C. Geffré), théologie et société (J. Audinet et J. Doré). La transcription des débats organisés pendant le colloque complète cet ensemble de dossiers et apporte une touche œcuménique à cette importante "mine de renseignements et de réflexions" (p. 385).

Marcel METZGER

Alfred DUFOUR, Mariage et société moderne. Les idéologies du droit matrimonial moderne, Fribourg (Suisse), Presses universitaires, 1997, 83 p. [ISBN 2-8271-0758-9 ; 20,00 FS].

Le sous-titre résume l'ouvrage. L'auteur estime que le monde moderne est fou. De la "remise en cause de la matrice patriarcale de la société conjugale" au mariage des homosexuels, de l'essor "désordonné" des droits de l'homme à la crise du divorce, de l'oubli de la finalité de la procréation à l'"égalitarisme partenarial", il n'a pas de mots assez forts pour fustiger les mœurs contemporaines (la moitié des phrases est en italiques pour mieux les asséner au lecteur). Il dénonce comme sources des idéologies actuelles la scolastique tardive des franciscains (Guillaume d'Occam), le jusnaturalisme protestant (Puffendorf) et les doctrines canoniques modernes des XVIIe et XVIIIe siècles. Ce tout petit livre (une cinquantaine de pages suivies d'annexes) relève du genre pamphlet ; on se demande s'il a sa place dans une collection universitaire comme les Freiburger Veröffentlichungen aus dem Gebiete von Kirche und Staat, dont il forme le volume 48.

Jean WERCKMEISTER

Jean-Paul Durand , La Liberté des congrégations en France , Paris, Éditions du Cerf, 1999. T. 1, Une situation métamor­phosée ? Évolutions : droit français des congrégations religieuses et droit canonique de l'état de vie consacré , 497 p. ; t. 2, Régimes français des congrégations religieuses , 843 p. ; t. 3, L'Hypothèse de la congrégation simplement déclarée : du droit de déclarer une spécia­lité congréganiste , 709 p.

La thèse de doctorat qui fait du doyen Jean-Paul Durand l'un des meilleurs spécialistes du dossier congréganiste en France com­prend trois volumes extrêmement documentés (plus de 175 p. de bibliographie) sur l'histoire du droit français des congréga­tions (vol. 1), ses différents régimes aujourd'hui en vigueur (vol. 2) et enfin l'examen de ce que l'A. appelle « l'hypothèse de la congré­ga­tion simplement déclarée » (par opposition à la « procédure néo-régalienne » de la congrégation légalement reconnue) (vol. 3).

L'univers des religieux est foisonnant en France comme le ré­vèlent les statistiques disponibles de la Révolution à nos jours. L'histoire du phénomène congréganiste croise le droit français et le droit canonique que le doyen Durand traite successivement dans les deux grandes parties de son premier volume. Cette his­toire appelle des précisions terminologiques et démographiques qui illustrent la complexité et le caractère mouvant du dossier : on retiendra ainsi que le Code latin de 1983 n'a pas retenu la catégorie canonique de congrégation, lui préférant celle d'institut religieux défini au c. 607 § 2. L'enquête souligne le paradoxe d'une notion civile de congrégation religieuse dans le cadre de la loi de 1905 qui ne reconnaît aucun culte (art. 2), mais qui organise la reconnais­sance légale des congrégations de ces cultes non reconnus (art. 38). L'élargissement du régime civil français de la reconnaissance légale à des communautés non catholiques a été une préoccupa­tion constante des chefs successifs du bureau des cultes, Michel Audibert et Jean Vacherot, jusqu'à la première reconnaissance d'une congrégation non catholique, la « communauté monastique bouddhiste Karmé Dharma Chakra », le 8 janvier 1988, suivie par d'autres congrégations orthodoxes à commencer par celle du mo­na­stère de Notre-Dame-de-Toute-Protection à Busy-en-Othe le 16 février 1989. Cet élargissement pose rapidement certaines questions qui ne sont pas seulement sémantiques comme cela ap­paraît dans le cas des « Œuvres et institutions des diaconesses de Reuilly », association protestante reconnue d'utilité publique en vieille France et établissement d'utilité publique par décret du 1er février 1860 à Strasbourg, ou plus largement encore dans les cultes israélite et musulman.

De l'histoire du droit des congrégations se dégagent quelques thèmes récurrents comme la mainmorte ou le gallicanisme, et quelques grands noms de conseillers d'État, Louis Canet, François Méjean, André Lavagne. Du droit romain au droit gallican de l'Ancien Régime, les relectures, qu'elles soient anticongréganistes ou plus rigoureusement historiennes, intéressent autant que les faits bruts dont l'A. émaille abondamment son texte. L'histoire ju­diciaire, administrative et fiscale des mesures anticongréganistes de la Révolution à 1914 sont mises en perspective avec minutie. À la crainte du danger de la mainmorte, les lois anticongréganistes du 1 er juillet 1901, du 4 décembre 1902, du 17 juillet 1903, du 17 juillet 1904 et du 29 mars 1910 ajoutent « la négation des droits de la personne par les vœux ». Émile Combes peut se vanter en sep­tembre 1904 d'avoir fermé 13 904 établissements d'enseigne­ment congréganiste, la fermeture complète de toutes les écoles congré­ganistes étant prévue pour septembre 1914. La guerre qui éclate au même moment entre la France et l'Allemagne imprime un cours nouveau à ces évolutions, les pouvoirs publics inaugurant alors une politique de tolérance à l'égard des congrégations qui se­ront particulièrement flattées par le pouvoir de Vichy entre 1940 et 1944.

Après la prorogation par le général de Gaulle, à la Libération , de certaines de ces mesures prises sous Vichy, les évolutions sont minimes jusqu'à la reprise des reconnaissances légales de congré­gations en 1970 : dans le domaine social, la loi Viatte du 19 février 1950 exempte les ministres du culte catholique, et les congré­ga­nistes par analogie, de l'application de la loi du 17 janvier 1948 instituant une allocation de vieillesse pour les personnes non sala­riées ; dans le domaine de l'enseignement, la loi Marie du 21 sep­tembre 1951 institue les bourses scolaires et la loi Barangé du 28 septembre 1951, le bénéfice d'une allocation scolaire au chef de famille, tandis que la loi Debré du 31 décembre 1959 « instaure des rapports nouveaux entre l'État et chacun des établissements d'enseignement privé confessionnel ou non, par la création de contrats ». Après avoir analysé successivement les décisions exé­cutives en 1970 du président Georges Pompidou d'ouvrir à nou­veau l'accès à la reconnaissance légale aux congrégations qui en feront la demande, l'entrée des membres des congrégations reli­gieuses catholiques à la Sécurité sociale en vertu de la loi du 2 janvier 1978 créant CAMAC et CAMAVIC, Jean-Paul Durand re­constitue le climat historique généralement positif des nouvelles pratiques administratives en matière congréganiste de 1987 à 1991. Les réformes fiscales et la loi anti-secte de 1998 laissent pourtant présager un durcissement de la tutelle qui continue de ré­gir les rapports entre l'État et les congrégations. Les spécialistes de droit local trouveront en outre un récit circonstancié des aléas his­toriques marquant l'évolution du droit des congrégations en Alsace-Moselle de 1871 à 1918, puis de 1918 à 1944, et enfin de 1944 à nos jours. D'autres aléas géographiques ont entraîné l'exis­tence d'un troisième régime juridique de ce droit des congréga­tions dans les territoires d'Outre-mer.

Le développement du droit de la vie consacrée pose deux questions essentielles que J.-P. Durand traite de manière circons­tanciée : d'abord celle de l'appartenance nationale d'un établisse­ment congréganiste qui se définit avant tout par une parenté spiri­tuelle, ensuite celle de l'évolution des formes que prend la vie con­sacrée dans l'histoire de l'Église. C'est sur cette toile de fond qu'il tire les « leçons doctrinales d'une histoire religieuse » qui com­mence en christianisme pendant les deux dernières décennies du III e siècle et dont il offre un résumé magistral jusqu'aux nouvelles fondations les plus récentes. Trois textes majeurs éclairent le par­cours pour la partie la plus récente : le décret du concile Vatican II Perfectae caritatis , les canons – spécialement le c. 605 – du Code de droit canonique de 1983, et l'Exhortation apostolique post­-syno­dale de Jean Paul II Vita consecrata de 1996, dont l'A propose un commentaire approfondi. On ne confondra pas ainsi les commu­nautés nouvelles avec les formes nouvelles de la vie consacrée lato sensu . Le canoniste révisera au passage les notions de personnalité juridique canonique et l'accès des communautés et des ordres à la personnalité morale.

Après ces mises en perspectives essentielles, le deuxième vo­lume de cette thèse impressionnante présente de manière plus précise le droit français en vigueur concernant les congrégations, un droit affronté selon l'A. à une crise inédite du régime de la re­connaissance légale lui-même. Entre autres raisons, l'A. cite les initiatives épiscopales catholiques proposant à l'État, après 1993, de reconnaître comme congrégations françaises des entités catho­liques qui n'appartenaient pas au dossier congréganiste tradition­nel (une association canonique de fidèle, un foyer de charité, un institut séculier). Jean-Paul Durand distingue fondamentalement trois régimes distincts conditionnant l'accès des congrégations à la personnalité morale en France : le droit local des congrégations religieuses en Alsace-Moselle, le régime du Titre III modifié de la loi du 1er juillet 1901 ou régime de la Séparation , et les régimes spéciaux en Outre-mer. Chacun de ces régimes décline à sa manière la naissance de la congrégation religieuse qui est le lieu de l'analyse de l'A. et le révélateur de ses libertés. Un quatrième cha­pitre traite des autres aspects de la vie des congréga­tions reli­gieuses sous le régime de la loi du 1er juillet 1901 (capa­cité civile, fiscalité, problèmes de fonctionnement).

Chacun des trois régimes en vigueur en France assigne un sens particulier à l'autorisation de la congrégation, ménageant en même temps un statut à la congrégation non autorisée. En droit local al­sacien-mosellan, par exemple, l'admission administrative, qui n'est pas une autorisation, permet à une communauté congréganiste qui aurait son siège ailleurs qu'en Alsace-Moselle d'avoir une assise plus locale. Elle signifie aussi une plus grande surveillance des ser­vices de l'État qui peuvent refuser cette admission. La procé­dure la plus générale demeure l'autorisation « par décret du Premier Ministre sur avis conforme du Conseil d'État et après une appro­bation des statuts de la congrégation demanderesse par l'évêque de son culte d'appartenance » pour les communautés congré­ga­nistes féminines, procédure étendue aux congrégations masculines depuis l'avis du Conseil d'État du 16 novembre 1993. La difficulté de trouver une terminologie adéquate est évidente. À ces comple­xités s'ajoutent celles qu'apporte le recours à l'associa­tion de droit local pour nombre d'entités religieuses. Très fouillé en ce qui con­cerne les discussions doctrinales sur ces notions d'admission, d'au­ torisation ou d'inscription, l'A. est moins disert sur les imp­li­ca­tions juridiques et pratiques de l'acquisition de la personnalité civile.

Le gros de ce deuxième volume est consacré à la naissance des congrégations religieuses reconnues ou non reconnues selon le ré­gime du Titre III modifié en 1942 de la loi du 1 er juillet 1901. En ce qui concerne les conditions d'accès d'une congrégation reli­gieuse à la personnalité morale, une procédure spécifique est en vigueur, la reconnaissance légale, dont l'A. discute si elle repré­sente « un héritage du régalisme » ou « plutôt (d')une mesure qui peut prétendre se justifier seulement par des motifs d'ordre pu­blic ». L'A. opère ici encore nombre de distinctions dont le sens n'apparaît qu'au regard de l'histoire. Se précisent ainsi les notions de congrégation et de congréganiste dont l'A. rappelle les critères de définition civile, non sans répondre à toute une série de ques­tions pratiques relatives, par exemple, aux formes civiles à adopter pour la propriété immobilière monastique ou pour les activités luc­ra­tives monastiques, ou encore à propos du risque d'interposi­tion de personnes (Article 17 modifié de la loi de 1901). Un der­nier chapitre très consistant s'appuie sur la jurisprudence des tri­bunaux et du Conseil d'État pour traiter de la vie des congréga­tions, con­grégations non reconnues dont l'A. explore les multiples inca­pa­ci­tés et congrégations reconnues dont il mesure la tutelle adminis­trative. Là se pose à nouveau la question de leur réelle liberté et celle de leur responsabilité.

Dans un troisième volume intitulé «  L'hypothèse de la congrégation simplement déclarée. Du droit de déclarer une spécialité congréganiste » , Jean-Paul Durand réactualise tous les éléments du dossier rassemblés jusqu'en 1991, en montrant les difficultés rencontrées par l'État français à accepter cette hypothèse depuis plus d'un siècle. Le pro­pos est ambitieux et difficile. Il conduit l'A. à évaluer le rapport entre les deux notions civiles de congrégation religieuse et d'asso­ciation religieuse. Occasion de revisiter l'ensemble du droit asso­ciatif français tout en constatant la rémanence de la notion de congrégation déclarée. L'A. s'efforce de « fonder la revendication en faveur de la libre déclaration civile de groupements qui, avec l'appui de leur Culte d'appartenance, prétendent être des congré­gations religieuses et qui veulent à ce titre se déclarer civilement librement ». Il entend faire reconnaître ainsi le « droit inné de libre établissement » que revendique l'Église catholique. A cette pre­mière hypothèse qualifiée d'historique, il ajoute « l'hypothèse en doctrine de l'association congréganiste civile de spécialité » qu'il a déjà eu l'occasion d'exposer dans la deuxième édition du Précis Dalloz de Droit canonique de 1999.

Jean-Luc Hiebel

 

Jean-Paul Durand, Les Institutions religieuses, Paris, PUF, 1999, 124 p., coll. « Que Sais-je ? » n° 454.

Dans la collection « Que Sais-je ? », vient de paraître cet ouvrage du doyen de la Faculté de droit canonique de l’Institut catholique de Paris. Il entend apporter sa contribution au dialogue œcuménique et interreligieux, en présentant les institutions religieuses du judaïsme, de l’Église catholique, de l’islam ainsi que des Églises issues de la Réforme, y compris l’Église anglicane.

La densité de cette présentation diffère selon les chapitres. Le chapitre premier consacré au judaïsme commence avec son histoire et débouche sur un aperçu de l’organisation des commu­nautés juives en France. La situation en Israël est aussi présentée brièvement. Le chapitre 2, consacré à l’Église catholique, informe en détail sur les institutions catholiques, depuis le pape jusqu’aux évêques en passant par le concile œcuménique et les synodes. À la fin, on parle des institutions catholiques qui promeuvent l’œcuménisme avec quelques aperçus sur le droit canonique et les questions œcuméniques (mariages mixtes, orientations catho­liques pour l’unité des Églises). Le chapitre 3 décrit l’islam. Outre la doctrine, c’est surtout le droit musulman qui est examiné. L’islam lui-même est d’ailleurs dans une certaine mesure à assi­miler à la loi (le Coran, la Sunna). L’auteur présente séparément les institutions sunnites et chiites, sans oublier d’autres courants islamiques minoritaires. Viennent enfin quelques informations sur la présence de l’islam en France. Le chapitre 4 commence par l’histoire des Églises réformées. Puis viennent les principes des Églises issues de la Réforme, aussi bien les Églises épiscopales luthériennes (par exemple Danemark, Norvège ou Allemagne), les Églises synodales ou presbytériennes (auxquelles appartient l’Église réformée de France), que les congrégationalistes, avec comme sous-groupes les congréga­tio­na­listes et les baptistes. Une autre section est consacrée aux anglicans et aux méthodistes. En annexe, on trouve une section sur l’épiscopat et le protestantisme, qui traite des questions œcumé­niques. À la fin, comme pour l’Église catholique, on trouve une présentation des relations entre protestantisme et œcumé­nisme (protestantisme et mouvement œcuménique, Conseil œcuménique des Églises).

Le livre est destiné à un vaste public, auquel il réussira certainement à montrer les caractéristiques institutionnelles des trois religions abrahamiques monothéistes.

Richard Puza

 

Patricia M. Dugan (ed.), The Penal Process and the Protection of Rights in Canon Law, Montréal, Wilson & Lafleur, 2005, 303 p. [isbn 2-89127-664-7].


Cet ouvrage rassemble les actes d’un colloque organisé en 2004 à l’Université pontificale de la Sainte-Croix à Rome, sur « Le pro­cès pénal et la protection des droits subjectifs en droit cano­nique ». Son but est, selon l’avant-propos, de faire avancer la jus­tice dans l’Église. Tou­jours selon cet avant-propos, un tel pro­gramme a deman­dé du courage aux auteurs, pour oser dire ce qu’ils ont dit et écrire ce qu’ils ont écrit. La protection des droits sub­­jectifs reste, semble-t-il, un sujet délicat dans l’Église catho­lique.
Douze articles abordent divers aspects du droit canonique pénal, certains philosophiques (les fins de la peine), d’autres histo­riques (l’origine du principe de la présomption d’innocence), d’au­tres enfin techniques (la prescription pénale, les normes spé­ciales des États-Unis, les graviora delicta, les recours auprès de la Signa­ture apostolique, etc.). Ils sont tous publiés en anglais.
On peut aisément discerner deux tendances dans ces articles. Les uns insistent surtout sur la défense du bien commun (les der­niers mots du livre sont une citation de Jean Paul II sur « le besoin prédominant de protéger le Peuple de Dieu dans son ensemble »). Les autres traitent plutôt, conformément au titre du colloque, de la protection des droits subjectifs. Nous présen­tons trois de ces douze articles, en nous excusant auprès des autres auteurs de ne pouvoir tout citer ici.
1. Dans le domaine de la philosophie du droit, M. Gaetano Lo Castro rappelle les principes anthropologiques sur lesquels re­pose, selon lui, le droit canonique pénal. C’est s. Au­gus­tin qui aurait, le pre­mier, fondé la peine sur la notion de responsabilité : il n’y a pas de crime ou de péché sans libre volonté (liberum arbi­trium) ou, comme le dit le droit actuel, sans imputabilité. La peine n’est pas destinée principalement à protéger la société ni à punir ou guérir le cou­pable, elle est tout simplement la reconnaissance de la respon­sa­bi­lité personnelle de l’homme. Renoncer à punir serait enlever à l’homme cette responsabilité, c’est-à-dire en fin de compte nier sa liberté. Cette conception chrétienne de la peine, toujours selon G. Lo Castro, a eu une grande influence sur le droit occidental. Mais les développements modernes du positi­visme juridique, qui fonde la peine sur le droit de la société à se défendre, ont fait oublier le lien entre punition et responsabilité. Principal accusé : Kant. Pauvre Kant, qu’on accable volontiers de tous les péchés de la modernité, parfois sans même l’avoir lu ! N’est-ce pas lui en effet qui attribue la bonté d’un acte non pas à l’acte lui-même, mais à l’intention de celui qui l’accomplit, c’est-à-dire à l’intention de se conformer à la loi, « par devoir » ? L’au­to­no­mie kantienne n’est pas si éloignée du libre-arbitre augus­tinien. Quant au positivisme juridique, qui est dénoncé, non sans raisons, par M. Lo Castro, on peut ajouter que le droit canonique actuel n’en est pas exempt, bien au con­traire : le Code de 1983 est sans doute, même comparé aux codes étatiques, un des plus positi­vistes qui soient.
2. L’éminent historien Kenneth Pennington cherche l’origine de la formule « Toute personne est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie » (Innocent until proven guilty). On attribue généralement cette formule au 18e siècle. Elle se trouve en effet dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui l’a reprise de l’Italien Cesare Beccaria (Dei delitti et delle pene, 1764). Les Anglais en revendiquent également, à tort, la paternité. K. Pennington montre qu’en réalité il faut chercher plus haut dans l’histoire européenne. Un nouvel ordo iudiciarius, inspiré du droit romain, a vu le jour au 12e siècle. Remplaçant les ordalies bar­bares, il donne des garanties précises à l’accusé. Or – c’est le tournant – les canonistes qui commentent cet ordo (Paucapalea vers 1150, plus tard Johannes Monachus vers 1300…) affirment qu’il vient non du droit romain, mais de la Bible : Dieu n’a-t-il pas convoqué Adam et Ève pour qu’ils puissent se défendre avant leur condam­nation (Gn 3,9-12) ? Les droits de la défense relèvent donc non du droit positif humain, mais du droit divin. Dès lors, tout juge, fût-il prince ou pape, doit respecter les principes aux­quels Dieu lui-même s’est soumis, tels que la convocation de l’accusé, son droit de s’expliquer, une sentence en bonne et due forme, etc. Même le diable, disent les juristes, a droit à la pré­somption d’in­no­­­­cence ! Ces principes eurent beaucoup de mal à trouver appli­ca­tion, mais aboutirent, entre autres, à la suppression de la torture dans la procédure criminelle, à la fin du 18e siècle.
3. M. Frans Daneels, promoteur de justice au tribunal de la Signa­ture apostolique, traite d’un sujet technique : les recours contre les sanctions administratives. Il insiste sur la distinction entre sanc­tions pénales et mesures disciplinaires : de nombreux re­cours adressés à la Signature apostolique confondent ces deux no­tions. Par exemple, la privation d’un office est une sanction pénale (can. 196), alors que la révocation d’un office n’est qu’une mesure disciplinaire (can. 192-195). Dans ce dernier cas (mesure dis­ci­pli­naire), les droits de la défense sont bien moindres que dans les pro­cédures pénales. En fait, dit F. Daneels, le Code de 1983 n’accorde quasi­ment aucun droit à la défense contre une mesure discipli­naire, sauf celui d’avoir un avocat en cas de recours hié­rar­chique (can. 1738). Au contraire, les procédures pénales garan­tis­sent effi­ca­ce­ment les droits de la défense, que ces procédures soient judi­ciaires ou admi­nistratives ; c’est pourquoi il est illusoire de croire, du côté de l’autorité ecclésiastique, que la voie adminis­trative serait plus simple ou plus rapide que la voie judiciaire pour obtenir une sanc­tion. L’article de F. Daneels est illustré de nom­breux exemples tirés de la jurisprudence de la Signature aposto­lique, jurisprudence difficile à connaître du fait qu’elle est rare­ment publiée. On lui sait gré de nous éclairer sur ces questions quelque peu mystérieuses et pourtant essentielles pour assurer les droits des personnes dans l’Église.
Depuis Vatican II, les libertés (les rights) de­vraient être non seule­ment pro­mues ad extra par la doc­trine sociale de l’Église catho­lique, mais aussi proté­gées ad intra dans son droit et sa pra­tique propres. Pourtant, le Code de 1983 a « oublié » les tribu­naux administratifs (voir ici même l’article de K. Martens). Et la ques­tion reste – étrangement – discutée : de nombreux canonistes soutiennent encore qu’il n’existe pas de droits fondamentaux des baptisés. Cet ouvrage apporte une con­tri­­bu­tion utile au débat.

Jean Werckmeister