Bernhard HÄRING, Plaidoyer pour les divorcés remariés. Existe-t-il une porte de sortie ?, traduit de l'allemand par Henri M. Le Boursicaud, préface de Michel Legrain, Paris-Montréal, Les Éditions du Cerf- Médiaspaul, 1995, VIII-115 p.

Bernhard Häring est un des grands moralistes de notre temps. Les trois volumes de sa Loi du Christ, parus il y a quarante ans, ont formé des générations de théologiens. Voici qu'approche pour lui l'heure ultime - il le dit lui-même : il a quatre-vingt-trois ans et est atteint d'un cancer -, et ce petit livre, paru en allemand chez Herder en 1990, aurait pu être son testament. Ce n'est pas le cas (d'autres publications en français sont annoncées), mais le ton y est : témoignages, rencontres personnelles, évocation de souvenirs proches et lointains émaillent les pages. Le propos est grave, le ton souvent passionné.
Le fond est vigoureusement martelé : le vrai visage de l'Église est fait de miséricorde et de compassion ; toute attitude rigide de condamnation ou d'exclusion est contraire à l'amour de Dieu qui sauve et qui libère. Dans le Prologue qu'il a ajouté à l'édition française, l'auteur s'en prend à la Congrégation pour la doctrine de la foi, qui a déclaré récemment que l'interdiction pour les divorcés remariés de communier est "sans exception". Ces mots, "sans exception", sont aux yeux de B. Häring contraires à l'Évangile : "Pouvez-vous penser", demande-t-il au cardinal Ratzinger, "que le Christ lui-même aurait donné la réponse : sans exception ? N'a-t-il pas dit que la loi est pour l'homme, et non l'homme pour la loi ?" (p. 12).
L'attitude de l'Église catholique vis à vis des divorcés remariés devient ainsi la pierre de touche, le paradigme de ce qu'il faut modifier d'urgence dans l'Église catholique. "Malheureusement, le nouveau Code de droit canonique a fait un retour en arrière" sur cette question. "L'Église doit sérieusement imaginer d'autres chemins, avec une mentalité différente et d'autres institutions, pour qu'elle soit réellement perçue aux yeux du monde comme sacrement de salut, sacrement de l'amour du Christ qui guérit et réconcilie" (p. 22-23). Considérant la position catholique actuelle comme "rigoriste", il en appelle aux autres traditions chrétiennes, en particulier orthodoxes, pour ouvrir de nouveaux chemins : épikie, oikonomia, en cas de "mort morale" du mariage (c'est-à-dire constat qu'il n'y a plus aucun espoir de voir renaître une union disloquée), "mort sociale" ou "mort psychologique" (par exemple si un des conjoints est atteint d'une maladie mentale qui rend impossible des relations matrimoniales authentiques), "mort civile" (par ex. emprisonnement à vie d'un conjoint). Le remariage devrait, comme en Orient, être célébré d'une façon pénitentielle.
Autre piste : appliquer beaucoup plus largement le privilège paulin (1 Co 7, 15), qui pourrait concerner non seulement les "païens", mais tout conjoint qui ne veut pas vivre son mariage comme un sacrement de salut et de paix. Notons à ce propos que B. Häring parle très souvent du "conjoint innocent", qu'il faudrait autoriser à se remarier : on peut se demander s'il est fréquent qu'un mariage se brise par la faute d'un seul conjoint.
Alphonse de Liguori a combattu le tutiorisme moral. Il s'agit maintenant pour B. H. de renoncer au tutiorisme juridique qui guide encore le droit matrimonial et la jurisprudence des officialités : le bien ne coïncide pas toujours avec la stricte application de la loi. Autrement dit, il faudrait inverser la présomption qui joue actuellement en faveur de la validité d'un mariage qui a échoué.
On le voit, Bernhard Häring, comme beaucoup de sa génération qui ont "fait" le concile Vatican II, reste profondément un agitateur d'idées, on allait dire un contestataire. Il crie tout haut ce que beaucoup pensent tout bas : le droit matrimonial du Code de 1983 a été mal conçu, il n'est plus adapté aux problèmes d'aujourd'hui, il doit être révisé d'urgence. Voici donc un petit livre tonique, qui méritait d'être traduit en français.

Jean WERCKMEISTER