Jean MOLANUS, Traité des saintes images, Introduction, traduction, notes, index et iconographie par François BOESPFLUG, Olivier CHRISTIN et Benoît TASSEL, Paris, Éditions du Cerf, 1996, 2 vol., 669 et 465 p.

Faut-il avoir peur des images ? Cette question traverse toute l'histoire du christianisme. À la fois théologique, canonique et esthétique, elle déchaîne les passions. Iconoclasme et iconolâtrie se livrent, depuis les origines, un combat sans fin. La tradition catholique post-tridentine n'a pas peur des images. Bien au contraire. Elle s'en fait des alliées dans la mise en place d'une pastorale de la contre-Réforme. Parmi les chauds partisans de l'usage des images se trouve Jean Vermeulen de Louvain (1533-1585), alias Molanus, chanoine et censeur des livres de Philippe II. Ce n'est pas un froid censeur ; c'est un théologien passionné. Justifiant son propos consistant à introduire des normes dans l'iconographie chrétienne alors que l'iconophobie de certains Réformateurs avait semé le trouble dans les esprits, il pose un principe herméneutique fondé sur l'analogie : "Que ce qui est interdit pour les livres l'est aussi pour les images, qui sont les livres des illettrés" (I, p. 125). Tout, ainsi, n'est-il pas dit ? Que Molanus n'est pas iconophobe et qu'il croise le fer avec, notamment, Erasme, pour justifier l'usage des images. Que l'image peut, toujours selon le principe de l'analogie, par le recours à l'allégorie et à la métaphore, permettre de pallier l'illettrisme des petites gens (I, p. 181). Que l'on doit non pas corriger ce qu'une peinture représente, mais sa signification (I, p. 207)…
Ce faisant, Molanus définit le type même d'une attitude catholique d'autant plus équilibrée et ouverte que sa démarche n'est guère théorique et encore moins idéologique. Molanus part de ce qu'il voit. Tantôt apologue de l'image, tantôt combattant de l'orthodoxie, mais tout aussi soucieux de réforme que de compréhension, ce personnage écrit un traité à visée normative certes, mais dans lequel il dit "je" et dialogue avec artistes et théologiens. Le titre de "traité" ne doit donc pas rebuter le lecteur. Il n'est pas étonnant alors qu'un personnage tel que Molanus, qui cherche, tente et, finalement, trouve un genre littéraire propre, puisse attirer l'intérêt de chercheurs de la fin de ce XXe siècle qui aura été celui de l'hégémonie de l'image.
Pour se lancer dans pareille entreprise critique et éditoriale, il est à supposer que les auteurs de cette remarquable édition ont dû éprouver autre chose que simplement de l'intérêt à l'œuvre de Molanus. L'actualité de cet ouvrage tombe sous le sens pour qui n'a pas oublié les querelles les plus récentes autour d'affiches de films (Larry Flint), de publicités pour des automobiles (Golf IV de Volkswagen) ou qui a suivi les polémiques outre-Manche et outre-Rhin autour des Crucifixions (1949) ou des Papes (1950) de Francis Bacon.
Dans leur introduction - des plus apéritives ! - les auteurs de cette remarquable édition critique montrent bien la subtilité du propos théologique de Jean Vermeulen (I, 60). Le beau deuxième volume, fac-similé de l'édition latine d'Anvers de 1617, reprenant celle de 1594, c'est-à-dire une dizaine d'années après la mort de Molanus, permet d'apprécier l'excellent travail de traduction réalisé par une équipe interdisciplinaire composée d'un historien des religions et iconographe, F. Boesfplug, de la Faculté de théologie catholique de Strasbourg, d'un historien, O. Christin, , maître de conférences en histoire moderne à l'université de Nancy et d'un agrégé de philosophie, B. Tassel, enseignant à Belfort. Sympathique et compétente congrégation qui devrait inviter le théologien autant que le canoniste, le philosophe autant que l'historien ou l'ecclésiologue, l'iconographe comme le conservateur de musée à ouvrir ce Traité des images.
Boespflug, Christin et Tassel invitent à entrer dans un lieu en lequel Molanus, fils de l'Église totalement acquis aux idées iconologiques de Trente, fait la démonstration qu'il n'en demeure pas moins un homme libre. À la fin de son traité, Molanus se fait militant : "Pour finir par une courte admonition, je vais exhorter les autres et moi-même à user des images pour notre instruction et notre édification" (I, p. 659). Que les auteurs de cette première édition critique en français soient remerciés pour avoir redonné ainsi vie au plaidoyer d'un chanoine généreux et ouvert pour la défense de l'image. Le propos du Traité des saintes images illustre à merveille le caractère indissociable de la pratique canonique et de la théologie.

Michel DENEKEN

Antoinette MOLINIÉ (sous la direction de), Le Corps de Dieu en Fêtes, Paris, Éd. du Cerf, 1996, 255 p.

Ce livre relève du genre colloque. Pour la confrontation, on peut opposer ces deux appréciations, d'une part : "À mesure que la théorie de la transsubstantiation se précise, la forme du corps de Dieu devient de plus en plus élémentaire. L'hostie oscille remarquablement entre les tendances d'immanence et de transcendance par sa forme, mais aussi grâce à un puissant appareil théologique…" (A. Molinié, p. 24). D'autre part : "En somme, la Fête-Dieu est née, pour une large part, de ce que la symbolique charnelle et vitale du pain avait cessé de faire partie de l'Eucharistie. Tandis que les fidèles la maintenaient dans un rite annexe, celui du pain bénit, les clercs mettaient une théorie à la place… Ce que l'Église propose à l'adoration des fidèles dans la Fête-Dieu, c'est la puissance du verbe des clercs qui ont produit la théorie, et le pouvoir de ceux qui en assurent la suprématie, par la force s'il le faut" (C. Macherel, p. 61). En ce qui concerne les convergences, les contributions de cet ouvrage collectif s'accordent dans la description de rites pratiqués en des lieux pourtant si distants les uns des autres : Belgique, Fribourg (Suisse), Tarascon, Séville, Mexico, Andes, etc. L'intérêt de ce volume tient surtout à l'importance de la documentation recueillie sur la célébration de la Fête-Dieu, avec un heureux lot d'illustrations, et aux analyses proposées : origine, institution et expansion de cette fête (M. Rubin), manifestations d'identité sociale en temps de chrétienté, traditions pré-chrétiennes annexées à la fête (tarasque, coups de feu, fête du "toro" et mort sacrificielle, représentations théâtrales, fête de l'Inca, etc.). Cet inventaire montre que cette fête est si périphériquement chrétienne (c'est un comble pour l'eucharistie) qu'elle a attiré à elle jusqu'aux pratiques les moins chrétiennes, dont celle-ci, atroce : dans les processions de Cuzco (Pérou) le chef indigène défilait devant le Saint-Sacrement en tenant en main, comme trophée, la tête de son ennemi (p. 16). Fait significatif, ces études ne portent que sur la procession, la messe de la Fête-Dieu se trouvant réduite à n'être que le moyen de produire l'hostie nécessaire (encore pouvait-elle provenir jadis d'une célébration antérieure !). Dans les récits étudiés aucune mention ne semble faite des éléments essentiels de la célébration eucharistique (assemblée, liturgie de la Parole, réconciliation), même la communion paraît passée sous silence, il vrai qu'il s'agit d'époques où elle n'était pas fréquente. Cette réduction subsiste même dans certaines pages du commentaire, lorsque des considérations philosophiques et psychanalytiques enfilent une suite de propos sur la rondeur de la blanche hostie, le corps nourricier, le sein maternel, les "vierges ouvrantes" et la tarasque aux attributs féminins (p. 25-27). Ces théories sont ingénieuses, mais elles n'expliquent pas la genèse de ces pratiques rituelles, issues pour partie des hasards de calendriers locaux. Dans un recueil d'études historiques, on aurait aimé trouver au moins quelques témoignages justifiant une telle compréhension, le rapprochement avec quelques œuvres picturales n'est qu'allusif, rien n'est dit sur les intentions, explicites ou implicites, des réalisateurs ou de leurs commanditaires. Cette réserve ne diminue en rien l'immense intérêt de ce volume, car, outre sa substantielle contribution à l'histoire et à la sociologie des pratiques religieuses, il démontre aussi à quel point la religiosité développée à l'occasion de la Fête-Dieu paraît une excroissance du christianisme, la fête elle-même n'a rien d'indispensable, étant ignorée de l'Orient et des Églises réformées (et pour cause !). Ces faits posent une question de droit liturgique et cela de façon paradoxale. En effet ce droit a pour fondement l'ordre de réitération : "Faites ceci en mémoire de moi" (Luc 22,19). Certes, les processions décrites faisaient mémoire du Christ et avec éclat : ostension, bien sûr, mais aussi port d'images de la Passion, représentations théâtrales, etc. Cependant l'ordre du Christ porte sur le "faire ceci", à savoir bénir, rompre et manger, c'est-à-dire célébrer le "Repas du Seigneur" (I Cor. 11, 20). Une plus grande fidélité à cet ordre du Christ, mise en œuvre depuis la réforme liturgique de Vatican II, ne place pas la Fête-Dieu "au centre du monde catholique et de ses symboles" (p. 7), mais la Résurrection, célébrée chaque dimanche et, d'une manière plus extensive, à Pâques.

Marcel METZGER

Charles MUNIER, L'Apologie de saint Justin, philosophe et martyr, Fribourg (Suisse), Éditions universitaires, 1994, collection Paradosis 38, XXV et 174 p. ; Saint Justin, Apologie pour les chrétiens, édition et traduction, Fribourg (Suisse), Éditions universitaires, 1995, collection Paradosis 39, VII et 151 p.

Dans le premier de ces deux volumes, l'A. présente saint Justin, le plus important des apologistes chrétiens du IIe siècle. Il dresse un bilan des études consacrées à l'Apologie, avec la bibliographie correspondante (p. IX-XXV), et établit le status quaestionis des problèmes posés par cet écrit. Il rappelle les circonstances dans lesquelles saint Justin a été incité à rédiger cette défense des chrétiens et définit le genre littéraire qu'il fallait adopter pour être entendu. À cette occasion, l'A. expose de façon éclairante la situation des chrétiens dans l'Empire romain au temps d'Hadrien (138-161) et d'Antonin (161-180), l'attitude du pouvoir, de l'administration et de la population envers cette nouvelle religion, les réalités juridiques et l'application des lois prévoyant des poursuites à son endroit (p. 14-28). Plusieurs chapitres sont consacrés aux aspects littéraires, philosophiques, historiques et théologiques de l'œuvre de Justin. Comme d'autres documents de cette époque antique, où la littérature chrétienne était loin d'être spécialisée en fonction de disciplines définies, l'Apologie intéresse incidemment l'histoire des institutions. En l'occurrence, le témoignage de Justin est très précieux, à cause de sa rareté, tant à propos de l'institution baptismale et des assemblées dominicales, qu'à propos de la configuration d'une Église romaine à peine formée. L'A. exploite de façon très éclairante les indications suggérant une structure pastorale collégiale et la multiplicité des assemblées (p.†128), selon les possibilités de réunion dans cette gigantesque mégapole et la variété des groupes ethniques dont étaient issus les chrétiens. La prise en compte de ces réalités a également guidé le travail de traduction, dans le second volume. Ainsi on constate avec satisfaction qu'au début de l'évocation des assemblées eucharistiques (Apologie [I],67,3) le traducteur a évité l'interprétation restrictive, hélas habituelle, "tous… se réunissent en un même lieu". En effet, la locution epi to auto a été privilégiée dans le Nouveau Testament pour qualifier les réunions des chrétiens (voir I Cor. 11,20 ; 14,23 ; Act. 1,15 ; 2,1.44). L'accent n'est pas mis sur l'unicité du lieu de réunion, mais sur sa dimension communautaire : se réunir ensemble. De la sorte, la traduction de M. Munier reflète plus fidèlement la situation particulière de Rome, dont on ne peut imaginer que tous les chrétiens se seraient regroupés en une assemblée unique, alors qu'ils ne pouvaient même pas disposer de grandes salles. Ce détail suffit déjà à manifester tout l'intérêt de cette nouvelle traduction, plus conforme à la langue des Pères. Mais la thèse la plus stimulante est certainement la démonstration en faveur de l'unité de l'Apologie de Justin et le rétablissement, dans ce qu'on considérait comme la seconde Apologie, de l'ordre des chapitres, que des éditeurs précédents avaient bousculé (premier volume, p. 152-154). Conséquence logique, l'A. a mis en place une numérotation continue, surmontant l'habituelle distinction en deux Apologies, tout en continuant à indiquer en sus l'ancienne numérotation, pour des raisons pratiques évidentes.

Marcel METZGER

Charles MUNIER, Petite vie de Tertullien, Paris, Desclée de Brouwer, 1996, 136 p.

Écrire une vie de Tertullien (160-220 env.) est une entreprise délicate. Le personnage n'est guère connu que par ses écrits, dont la chronologie est de surcroît difficile à établir. Mais M. Munier s'est fort bien tiré d'affaire, ce qui ne saurait étonner, vu la longue familiarité qu'il a acquise avec l'œuvre de Tertullien, par ses éditions et traductions. Il propose d'abord quelques éléments de biographie. Il présente ensuite et résume chacun des trente et un ouvrages qui nous sont parvenus, en les replaçant dans leur contexte. Ces écrits résultent des différents engagements de Tertullien, que M. Munier présente successivement comme apologiste, polémiste, didascale, moraliste et enfin montaniste. Ces présentations fournissent un éclairage fort instructif sur le cadre de vie des chrétiens d'Afrique à cette époque, les mœurs et les pratiques des cités romaines, les métiers et les spectacles, mais aussi sur les épreuves et les difficultés des communautés chrétiennes. On découvre ainsi quelques-unes des institutions chrétiennes et la doctrine de Tertullien à leur propos, dont le catéchuménat et le baptême, la pénitence, le mariage (p. 71-75), ainsi que des traditions de l'époque, comme le voile des femmes (p. 92-94) et les gestes de la prière. Même si son œuvre a subi les effets d'une longue conspiration du silence, Tertullien a puissamment contribué à fixer pour des siècles les cadres et le vocabulaire nécessaires à la prédication, à la controverse, à l'exégèse et à la spéculation théologique. Il fut le premier parmi les docteurs de l'Occident à exposer dans son ensemble la doctrine de l'Église, théologique et morale. On saura gré à M. Munier de le faire savoir à un large public par cette Petite vie de Tertullien qu'il a rédigée dans un style digne de l'auteur présenté, avec précision, finesse et élégance.

Marcel METZGER

Charles MUNIER, L'Évasion d'un prisonnier. Ecbasis cuiusdam captivi, Introduction, traduction, commentaire et tables, CNRS Éditions et Brepols, Paris et Turnhout, 1998, 231 p.

"Il ne convient pas que notre roi rédige un décret, intimant que soit condamné un prévenu absent, qui n'aurait pas été cité d'abord en bonne et due forme" (vers 523-524). Qui tient ce discours ? Quelque canoniste célèbre ? Non, c'est un renard. Et un autre animal déclare : "Déjà j'ai quasiment achevé de chanter le saint psautier… À la fin de chaque psaume, je me suis incliné, le genou raide" (vers 769-772). Notre collègue émérite, M. le Pr. Charles Munier, vient de publier et de traduire pour la première fois en français un poème latin médiéval, auquel il a porté un grand intérêt depuis des années, l'Ecbasis cuiusdam captivi. Il s'agit de la plus ancienne épopée animalière médiévale, soit un ancêtre du Roman de Renart. Le récit raconte l'escapade d'un veau, sa captivité dans la tanière du loup, le siège de la tanière par les amis du veau, etc. (nous tairons la fin, pour ménager la curiosité du lecteur). Mais le récit contient encore une longue fable interne, racontant l'histoire du loup daubé par le renard à la cour du lion, cette fable qui inspira Ésope, les poètes du Moyen Âge et La Fontaine. Un récit aussi énigmatique n'a pas manqué d'attiser la curiosité des chercheurs : quels personnages et quelles situations se cachent derrière ces mises en scène ? Faisant le point sur les travaux antérieurs, M. Munier a repris l'examen du dossier. Il est parvenu à un ensemble de conclusions importantes. Il a mis en œuvre sa vaste érudition pour identifier tous les détails du texte latin, animaux, topographie, objets usuels, conventuels, militaires et autres. Ainsi, il a pu identifier les lieux à partir des noms des poissons et des cours d'eau évoqués dans les discours des animaux. Cette identification l'a conduit vers un canton des Vosges, probablement le site de Moyenmoutier, qui ne lui est nullement inconnu. Il y a trois ans, par deux articles publiés dans la Revue des Sciences religieuses (avril et octobre 1995, p. 202-215, 463-480), M. Munier avait annoncé ses conclusions et surtout, par une étude très documentée, signalé les correspondances entre le poème et de nombreux aspects de la Querelle des investitures. Par cette remarquable édition du texte, il facilite l'accès à cet étrange document, il en donne une traduction agréable à lire et, dans l'introduction et le commentaire, il fournit au lecteur de nombreuses clés pour tirer le meilleur parti de cette aventure imaginaire, mais tellement révélatrice de situations historiques : style, genres littéraires, sources, etc. Étudiants, canonistes et historiens trouveront dans cette édition une initiation plaisante à l'histoire ecclésiastique médiévale, à la Règle bénédictine, aux traditions liturgiques des monastères, à la faune et à la flore d'un pays charmant, aux coutumes agricoles et alimentaires de nos ancêtres, etc. Ils pourront y découvrir un univers proche de celui de Gratien.

Marcel METZGER

Charles Munier , Le Pape Léon IX et la Réforme de l'Église. 1002-1054 , Strasbourg, Éditions du Signe, 2002, 374 p.

L'étude du professeur Charles Munier parue pour le millénaire de la naissance du pape Léon IX situe la personnalité de ce personnage extraordinaire dans la crise que traverse l'Église et la société mé­diévale européenne. L'œuvre étonnamment audacieuse et nova­trice de saint Léon IX anticipe et prépare la réforme grégorienne. La nouvelle biographie que réalise Charles Munier en dessine les ressorts et les enjeux.

Quant au lieu de naissance controversé de Brunon, l'A. formule d'emblée l'hypothèse que Léon IX serait né au vieux château du Dabo sur le Léonsberg actuel (près de Walscheid dans l'évêché de Toul) et non à Eguisheim comme le pensent Monique Goullet en 1997 et, plus récemment encore, Philippe Fleck en 2002. En tout état de cause, ce pape est un homme du pays du Rhin, de la Mo ­selle et de la Meuse , « d'une noble lignée » pour reprendre l'un de ses premiers biographes, un prétendu Wibert, archidiacre de Toul. On en a la confirmation dans sa généalogie que l'A. reconstitue avant le récit d'une enfance pittoresque et très tôt studieuse auprès de l'évêque de Toul qui l'envoie régulièrement en vacances chez ses parents à Eguisheim. De cette première étape, on retiendra le rendu minutieux du Pr. Munier des multiples intrications institu­tionnelles, territoriales, sociales, culturelles et religieuses, qui or­chestrent la vie des cours ducales et épiscopales de cette époque féodale au début du deuxième millénaire.

La manière dont Brunon devient lui-même évêque de Toul puis exerce ce ministère est révélateur des pratiques canoniques d'une Église à la recherche de son autonomie. Princes et rois sont alors fortement impliqués dans les nominations des évêques et du pape. Sans négliger le contexte général de cet épiscopat, marqué entre autre par ce que l'A. appelle l'imbroglio romain, le Pr. Munier nous introduit à la vie concrète de l'ensemble cathédral de la petite cité de Toul que l'évêque a pris sous sa protection. On accompagne ensuite Brunon dans son accession au trône pontifi­cal en 1049, l'A. étant particulièrement soucieux ici de reconstituer l'entourage du nouveau pape, son théologien attitré et l'inspirateur de sa politique générale Humbert de Moyenmoutier, par exemple. Léon IX est immédiatement confronté à de multiples problèmes à résoudre pour la survie matérielle et morale de l'Église : conciles et synodes locaux luttent ainsi avec le pape contre la simonie ou contre le mariage des clercs encore très répandu à cette époque et qui avait pour conséquence la dispersion des biens de l'Église.

Le gros du travail de l'A. est consacré à l'analyse du pontificat de Léon IX : ses nombreux voyages, au Mont Cassin, à Cologne et Aix la Chapelle , à Trêves, à Toul et à Reims, puis à Mayence pour un premier périple (d'autres suivront jalonnés de péripéties intéressantes : l'incident de Worms par exemple, en décembre 1052) ; la restructuration et l'activité de sa chancellerie et de ses services financiers ; la réglementation du cardinalat ; la réforme monastique selon le modèle lorrain ; etc. Dans toutes ces tâches, Léon IX se révèle un organisateur prudent, attentif aux besoins des communautés et respectueux des droits locaux.

Deux engagements plus larges marqueront la fin de son ponti­ficat qui aura duré à peine plus de cinq ans : son échec militaire face aux Normands et son échec dans les tractations polémiques avec les Byzantins, ce dernier échec conduisant au schisme avec les Patriarcats d'Orient en 1054. Là encore l'A. ne fait pas l'écono­mie d'une lecture attentive et directe des textes dont dispose aujourd'hui l'historien. La trame complexe du drame qui se noue alors dans l'histoire de l'Église et dont les marques sont toujours profondes prend vie et s'éclaire des mille détails qui ont fait cette histoire malheureuse : la personnalité de Michel Cérulaire, alors patriarche de Constantinople, la politique byzantine en Italie méri­dionale, la question des azymes, les difficultés de se comprendre à travers des interprètes souvent trop raides, les polémiques jus­qu'aux sentences d'excommunication du cardinal Humbert alors que « le bon pape Léon » est déjà mort, l'édit synodal condamnant les agissements des légats romains enfin.

Un tel destin pouvait-il susciter la piété populaire de l'Occident médiéval qui rend hommage au pape défunt en en faisant un saint en 1087, mais sans lui consacrer un culte particulier ? Charles Munier poursuit l'enquête en montrant comment cette sainteté a été une préoccupation constante de l'évêque Brunon puis du pape Léon IX : sainteté de l'Église et sainteté de ses membres. On est au cœur du sujet de ce livre. La réforme de l'Église n'attend pas Grégoire VII comme le proclamait à tout vent le célèbre Fliche. Mais Léon IX est bien trop prudent et pragmatique pour bous­culer les hiérarchies du pouvoir de l'époque. N'est-ce pas la fragi­lité des États pontificaux et le peu de soutien de ses protégés qui le conduit à sa fin cruelle, après une défaite militaire humiliante aux portes de Bénévent ?

Avec méthode et rigueur, le Pr. Munier livre ici ses propres inter­prétations dans un texte alerte, passionné et passionnant, véritable mine pour le canoniste friand de connaissances pratiques sur les structures et les fonctionnements ecclésiaux de ce début du deuxième millénaire.

Jean-Luc Hiebel

 

Luciano MUSSELLI, Manuale di diritto canonico e matrimoniale, Bologna, Monduzzi editore, 1995, 413 p.

Ce livre est, d'après son auteur, une somme du droit matrimonial de l'Église catholique. L'exposé du droit matrimonial - qui va de la page 145 à la page 413 -, est précédé, - de la page 3 à 143 -, en guise d'introduction, d'une présentation juridique de l'Église catholique.
Cette introduction commence par la présentation des problèmes méthodologiques du droit canonique et des diverses écoles canoniques. Dans ce contexte, l'importance de l'école canonique de Strasbourg (René Metz, Jean Bernhard) est mise en valeur. L'auteur insiste particulièrement sur la théorie de la consommation existentielle du mariage élaborée par J. Bernhard. Il décrit la souplesse et la juridicité du droit canonique. En même temps que la théorie des sources, il aborde leur hiérarchie. Dans le chapitre "pouvoir exécutif et droits des croyants", l'auteur aborde le ministère ecclésiastique, la direction de l'Église universelle et des Églises particulières, et le statut juridique des croyants, des laïcs, des clercs et des religieux. On trouve de nombreux détails juridiques extraits des Normae generales.
Un chapitre entier est consacré à l'administration des biens de l'Église. Ici apparaît une première particularité italienne, à savoir un sous-chapitre sur les biens culturels (monuments historiques et leur protection) dans le droit canonique. L'auteur renvoie à cet endroit à la législation de la conférence des évêques italiens.
Le droit matrimonial est subdivisé en deux grands chapitres : le mariage et le procès matrimonial. La présentation suit ainsi en gros le Code de droit canonique. L'auteur aborde d'abord la description du mariage (c. 1055), avec ses buts et ses caractéristiques. Remarquons qu'il retient, dans son titre, le terme de fins du mariage, qui n'apparaît plus guère dans le nouveau code. D'autres chapitres sur le droit matrimonial positif sont consacrés à l'incapacité d'assumer les obligations du mariage, à l'incapacité de contracter mariage, au consentement et au défaut de consentement dans le mariage, à la forme canonique du mariage, à la validation du mariage, aux droits et devoirs des mariés entre eux et envers les enfants, ainsi qu'à la séparation de corps. Ce chapitre se termine par un renvoi au droit des familles dans le CCEO. Le chapitre sur la législation des procès commence par l'organisation des tribunaux, continue par les procès en nullité ordinaire pour aboutir aux procès particuliers et à la dissolution du mariage.
Comme nous l'avons déjà souligné, ce livre contient un certain nombre de questions typiquement italiennes. Revenons-y une fois de plus. Il y a la question du rapport entre le diritto canonico et le diritto della Chiesa, comparable au droit de l'Église (Kirchenrecht) allemand (p. 24), ou encore le rapide aperçu sur le Ius publicum ecclesiasticum. La première annexe concerne les effets civils du mariage canonique et les déclarations de nullité prononcées par les tribunaux ecclésiastiques italiens. Il faut se rappeler qu'en Italie le mariage civil est facultatif. Aujourd'hui encore, en Italie, la forme la plus répandue du mariage est le mariage religieux avec inscription sur les registres d'état civil (p. 373). Il existe en Italie, à coté du mariage civil, au moins sept formes de mariage religieux : devant l'Église catholique, la communauté israélite, L'Église vaudoise, etc. Contrairement à la France ou à l'Allemagne, il n'est pas nécessaire de se marier deux fois. Cela entraîne bien entendu toute une série de problèmes, telle la question de l'effet civil de la déclaration de nullité canonique. Il ne faut pas qu'il y ait trouble de "l'ordre public" de l'État italien.
La deuxième annexe concerne la confrontation du mariage civil et du mariage religieux en Italie. L'auteur s'attache avant tout à faire une présentation du droit civil. Il montre ainsi clairement qu'en Italie encore plus qu'ailleurs, le droit civil est influencé par le droit canonique. Ainsi le droit italien a maintenu le mariage par procuration. De même, il retient la nullité du mariage pour cause de défaut de consentement (obligation ou erreur), mais aussi pour cause de simulation. Bien que ce dernier chef de nullité soit plus théorique que pratique, il est important de souligner que le droit civil italien n'admet pas les cas de simulation, totale ou partielle, sous la forme d'une réserve mentale de la part d'une des deux parties, sans que l'autre en ait connaissance, comme cause de nullité. La cour de cassation italienne a ainsi annulé une déclaration de nullité canonique, car incompatible avec l'ordre public italien. Depuis 1970 le droit matrimonial italien reconnaît le divorce ou la dissolution des effets civils d'un mariage religieux.
Ce livre, loin d'être une simple introduction, est donc une description approfondie du droit matrimonial de l'Église et des problèmes qui en résultent. Cela vaut également pour la première partie introductive.
Il ne s'agit assurément pas d'une "piccola 'summa'" comme l'affirme, avec modestie, l'auteur dans sa préface, mais d'un livre qui, à l'avenir, ne devrait manquer dans aucune bibliothèque canonique.

Richard PUZA

 

Francis Messner, Pierre-Henri Prélot, Jean-Marie Woehrling (éd.), Traité de droit français des religions, Paris, Litec, Édi­tions du Juris-Classeur, 2003, 1317 p. [isbn 2-7111-3514-4 ; prix : 99 €].

Fruit d’une étroite collaboration entre de nombreux spécialis­tes, venus d’horizons divers, le monumental Traité de droit français des religions, élaboré sous l’égide du Centre « Société droit et reli­gion en Europe » (CNRS-Université Ro­bert Schuman), dirigé par Fran­­cis Messner, vient heureusement combler un vide consi­déra­ble dans un domaine de plus en plus sollicité au sein de nos so­cié­­tés actuelles, à savoir le droit des religions.
Le champ couvert par les nombreuses contributions est excep­tion­nellement vaste. On mesure à quel point droit et reli­gion inter­­agissent et combien multiples sont leurs implications, per­cep­tibles dans les différentes branches du droit (droit public, droit privé, droit administratif, droit du travail, droit pénal).
La tâche, comme le souligne d’entrée de jeu l’introduction géné­­rale (p. 1), ne fut pas aisée. Il a fallu rassembler, analyser, faire la synthèse d’une masse de sources, constituée d’articles de doc­trine, d’arrêts de jurisprudence, de travaux divers, qui s’étalent sur plus d’un siècle, et qui se trouvaient dans un état de grande dis­per­­sion.
Il en résulte un vaste panorama dont il n’est possible de pré­senter ici le contenu, particulièrement dense, qu’à grands traits.
L’ouvrage consacre plusieurs dizaines de pages à une copieuse et indispensable « introduction générale » (p. 1-76), qui, en cinq cha­pitres, retrace l’évolution qui a conduit à l’émergence de cette nouvelle discipline qu’est le droit français des religions (p. 3-39), en énonce les principes fondamentaux : liberté, neutralité, égalité (p. 40-57), et propose enfin une précieuse typologie des relations État/religion au sein de l’Union européenne (p. 58-79). Huit par­ties, de longueur inégale, forment ensuite la trame générale de l’ouvrage.
La première partie est réservée à la présentation des « grandes religions » en France (p. 81-283), qui ne pouvait évidement pas se concevoir sans un retour sur les évolutions historiques qui, depuis la fin du Moyen Âge, ont façonné le paysage religieux français. Au monisme catholique succède, dès le début du 19e s., un pluralisme con­fes­sionnel au profit des religions protestante et juive. Le « régime des cultes reconnus », instauré par Napoléon à travers les Articles organiques, prend fin avec la Loi de séparation de 1905, sauf en Alsace-Moselle et dans l’un ou l’autre Territoire d’Outre-mer, où il demeure en vigueur. Le siècle dernier a vu de plus émerger, à la faveur d’un mouvement massif d’immi­gra­tion, d’autres croyances religieuses, en particulier l’orthodoxie, l’islam et le bouddhisme.
Le droit des religions ne dépend plus, depuis quelques décen­nies déjà, de la seule loi votée souverainement par le législateur au plan national. En effet, le rôle décisif joué, à partir des années 1970, par le Conseil constitutionnel, en particulier en ma­tière d’interprétation des principes touchant directement au droit ap­pliqué aux religions (liberté de conscience, égalité des croyan­ces, etc.), a pour effet de lier le législateur, dès lors qu’il a à légi­fé­rer en la matière. Celui-ci se trouve par ailleurs de plus en plus sou­mis aux contraintes imposées par la suprématie que les droits eu­ro­péen et international exercent sur le droit interne. La deuxième partie du Traité s’intéresse ainsi à cette « transformation structurelle » et propose une analyse de son impact sur le droit interne des religions (p. 285-416).
L’un des principes fondamentaux du droit des religions est la « liberté de religion », concept plus large que la « liberté reli­gieuse », en ce qu’il inclut explicitement le droit d’exprimer ses con­victions religieuses, ainsi que celui de changer de religion. Cette liberté de religion est garantie en France (troisième partie, p. 417-584).
Le socle en est le principe de « neutralité religieuse de l’État ». Toutefois, le droit positif intervient également dans l’amé­na­ge­ment de la liberté de religion. Cet « aménagement juri­dique », bien que limité par certains impératifs comme par exem­ple l’ordre public, est fondé, voire prescrit, aussi bien en droit interne (article 1er de la loi de 1905) qu’en droit européen (article 9 de la Conven­tion européenne des droits de l’homme). Il se mani­feste dans divers domaines : l’organisation de l’aumônerie des services pu­blics (article 2 de la loi de 1905), l’objection de cons­cience (en matière d’atteinte corporelle résultant de l’avortement, de prélè­ve­ment d’organes, de transfusion sanguine, dans le domaine de la jus­tice, tel le refus d’être juré, de prêter serment, etc.) ; ou encore au niveau de certains aménagements spécifiques, concédés à titre déro­gatoire, au profit de l’un ou l’autre culte en particulier (en ma­tière de prescriptions alimentaires, de funérailles, d’inhu­ma­tions).
La protection des convictions religieuses participe aussi de la garan­tie active de la liberté de religion. A une époque où les moyens de collecte et de conservation de données personnelles sont de plus en plus perfectionnés, législation nationale (loi du 6 jan­vier 1978) et européenne (convention du 28 janvier 1981 et directive du 24 octobre 1995) s’emploient, depuis quelques décen­nies, à lutter contre tout usage abusif de ce genre informa­tions, à des fins de discrimination ou d’atteinte à la vie privée. De telles atteintes sont, invariablement, sévèrement sanctionnées.
Un autre type de garantie, celui se rapportant au pluralisme reli­gieux, s’est imposé avec le développement des moyens de com­­munication audiovisuelle. Il s’agit d’une part de permettre aux diffé­rentes religions de s’exprimer et d’autre part d’exiger des médias, sous peine de sanctions, le respect de l’ensemble de ces religions.
Cette liberté de religion n’est cependant pas absolue. En effet, les activités religieuses, bien que bénéficiant en France d’un régime de liberté reconnu par l’article 1er de la loi de 1905, connaissent néanmoins quelques restrictions, réunies sous le titre V de cette même loi, intitulé « Police des Cultes ». Toutefois, la seule res­triction en la matière qui subsiste encore aujourd’hui découle en réalité de l’ordre public. Concrètement, « la police des cultes c’est pour l’essentiel, depuis 1905, la police de l’ordre public appli­qué aux cultes ».
L’exercice d’activités religieuses peut donc susciter des con­duites pénalement répréhensibles. Celles-ci découlent soit du com­portement même de leur auteur, dans l’expression de ses pro­pres convictions religieuses, soit d’actes dont ce dernier est au con­traire la victime.
D’autres infractions, relatives aux cultes, ont également per­sisté après la promulgation, en 1905, de la loi de séparation. Elles peuvent être commises par le ministre du culte lui-même ou par toute autre personne.
Mais il est un domaine où le droit pénal se montre, depuis quel­ques années, particulièrement rigoureux. Il s’agit des « mou­vements sectaires », dès lors qu’ils portent atteinte à l’ordre pu­blic. C’est dans ce cadre que la loi du 12 juin 2001 est venue ren­for­cer la lutte contre les dérives sectaires portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales. Outre l’amé­na­ge­ment d’infractions existantes, élargies désormais aux dérives sec­taires, le législateur a instauré deux nouvelles infrac­tions : la pu­­blicité en faveur de mouvements sectaires à destina­tion des jeunes, et le maintien ou la reconstitution d’un mouve­ment sec­taire, dissout par le juge en application de l’article 1er de la loi de 2001. Celle-ci sanctionne sévèrement de telles dérives, en par­ti­cu­lier par la dissolution du mouvement sectaire.
La quatrième partie du Traité est consacrée à la liberté de reli­gion dans ses rapports avec le droit privé (p. 585-755). Car ce der­nier n’ignore pas la religion ; bien au contraire, ses différentes bran­ches sont concernées, plus ou moins directement, par le fait religieux. La religion surgit surtout dans des domaines tels le droit de la famille, au niveau national et international (mariage, disso­lution du lien matrimonial, autorité parentale), les droits de la per­son­nalité (entre autres la protection de la vie privée), le droit du travail (principe de liberté de religion du salarié d’une entre­prise durant toute la durée du contrat de travail) et celui des contrats (capacité d’un contractant appartenant à une secte, inca­pacité de recevoir à titre gratuit des ministres du culte, vices du con­sen­te­ment tels l’erreur – sur la « qualité religieuse » du con­trac­tant ou de la chose objet du contrat – ou aussi la violence exercée sur un adepte d’un quelconque mouvement religieux).
L’identification des modes d’organisation des cultes en France fait l’objet de la cinquième partie du Traité (p. 757-852). Aux côtés du droit général des cultes, qui découle principalement de la loi de 1905, et qui s’applique sur la plus grande partie du territoire fran­çais, sont judicieusement examinés le droit local des cultes d’Alsace-Moselle et celui en vigueur dans les dom-tom. L’orga­ni­sation et le financement des cultes y constituent une importante exception, qui justifie pleinement leur étude de manière séparée.
« Le droit fiscal et patrimonial constitue une partie essentielle du droit des activités religieuses. C’est lui qui organise les modali­tés de l’existence matérielle des religions ». C’est à ce titre que le Traité lui consacre une sixième partie (p. 853-960). Les trois prin­cipaux aspects qui le caractérisent en ont dicté la structure.
L’interdiction des subventions aux cultes, question d’une criante actualité, en est le premier. Or, dans les faits, cette inter­diction n’a jamais été absolue et diverses dérogations successives ont presque vidé de son sens la prohibition, telle qu’elle fut for­mulée dans l’article 2 de la loi de 1905. À tel point qu’on en arrive à se demander si l’on ne s’achemine pas, lentement mais sûre­ment, vers un régime légal de financement public des cultes.
Le deuxième aspect concerne la fiscalité des activités religieu­ses. Celle-ci, bien qu’empruntant largement au droit fiscal com­mun, présente quelques particularités liées à la nature même de ces activités. Elles concernent aussi bien les personnes physiques (salaires, impositions des ministres du culte) que les personnes morales (exonérations fiscales). Les biens et les services liés à l’exer­­­cice du culte bénéficient aussi, quant à l’imposition, d’un régime spécial (taxes diverses, droit d’enregistrement des ventes d’im­­meubles). C’est également le cas des dons et legs, con­sentis par les fidèles, ainsi que du mécénat.
Le troisième aspect a trait au patrimoine religieux. La loi de 1905 avait organisé l’affectation légale au culte des édifices pu­blics. Cette loi n’ayant jamais été introduite en Alsace-Moselle, cette organisation connaît quelques dissimilitudes dans les trois dé­par­tements de l’Est (appartenance des édifices au domaine pu­blics, travaux sur les édifices cultuels). Des dissemblances peu­vent être également relevées concernant les édifices cultuels non léga­lement affectés et ceux à construire, tout comme en matière de logement des ministres du culte (droit supprimé par la loi de 1905). Il y a lieu de noter que le mobilier cultuel suit, grosso modo, le régime appliqué aux édifices cultuels.
L’avant-dernière partie du Traité étudie la situation juridique des « agents des institutions religieuses » (p. 961-1116). Il s’agit des ministres du culte, notion dont ni le droit écrit, ni la jurispru­dence, ni la doctrine ne donnent de définition précise.
Leur nomination, tout comme la cessation de leur activité, intéresse pourtant de près le droit et l’ordre publics, en raison de l’influence considérable qui peut s’attacher à l’exercice de leurs responsabilités religieuses. Ces questions se posent différemment tou­te­fois en régime de séparation et en droit local (Alsace-Mo­selle). Dans le premier cas, le principe est la libre nomination des ministres du culte, à l’exception d’une catégorie en particulier, représentée par les évêques diocésains (et coadjuteurs) de l’Église ca­tholique, dont la nomination est soumise, depuis 1921 (cf. l’« aide-mémoire » du cardinal Gasparri), à une consultation pré­a­lable des autorités de l’État. En droit local alsacien-mosellan, le pouvoir de contrôle de l’État revêt une toute autre nature. En effet, si la nomination des ministres du culte catholique est faite librement par les autorités religieuses, avec simple agrément du gouvernement, les évêques des diocèses de Strasbourg et de Metz, ainsi que leurs coadjuteurs, sont nommés directement par les au­to­rités publiques, en application des articles 4 et 5 du Concor­dat de 1801, qui demeure en vigueur dans ces deux diocèses de l’Est de la France. Cette nomination directe concerne aussi les au­to­­rités religieuses supérieures de l’Église de la Confession d’Augs­­bourg d’Al­sace-Lorraine (ECAAL).
Le Traité consacre sa dernière partie à l’enseignement et la reli­gion (p. 1117-1239). Pour ce qui est du principe de la laïcité de l’école publique, affirmé déjà au 19e siècle, il a été ces dernières années au centre d’âpres débats, suscités par le port de signes d’ap­partenance religieuse. L’enseignement religieux est exclu à l’école primaire alors que la souplesse caractérise en la matière l’en­seignement religieux dans le secondaire (régime des aumône­ries). Mais le droit local d’Alsace-Moselle offre encore une fois des solutions différentes. L’enseignement religieux y est en effet or­ganisé dans les établissements publics, et à tous les niveaux, de manière systématique.
Ces quelques lignes ne rendent que très sommairement compte de la richesse de cette véritable somme et n’épuisent évi­dem­ment pas l’immense intérêt du Traité. Cet ouvrage s’adresse aux chercheurs, aux praticiens, aux responsables administratifs, aux décideurs politiques ; il fournit des informations sûres et riche­­ment documentées sur l’ensemble des questions relevant du domaine du droit des religions. Par l’abondance des sources mises à contribution et la prise en compte systématique de la jurispru­dence, ancienne comme récente, il constitue désormais un outil in­contournable pour quiconque s’intéresse au droit, dans ses multiples interactions avec la religion.

Marc Aoun