Louis PANIER, Le Péché originel. Naissance de l'homme sauvé, Paris, Éd. du Cerf, Collection "Théologies", 1996, 150 p.

Le livre de Louis Panier scande heureusement la série d'ouvrages qui consacrent le renouveau théologique français. Se démarquant d'une théologie réduite à répéter l'histoire de son histoire, celle de ses significations, de ses traditions, de ses récolements de sens, cette nouvelle théologie trouve, ou retrouve, le chemin qu'elle n'aurait jamais dû abandonner et qui consiste à écrire les conditions mêmes de son élaboration.
Louis Panier, comme Paul Beauchamp, François Martin, Jean Ansaldi, Jacques Joubert, René Heyer, et j'en passe, prend acte de ce qu'il nomme le défi de la "philosophie moderne" marquée par le retour du sujet. Cette théologie, qu'on pourrait appeler " théologie du bord", résulte d'un rigoureux travail de lecture, qui sait respecter les textes conciliaires, pontificaux, patristiques ou bibliques et les analyser à partir des catégories développées par la sémiotique littéraire ou la psychanalyse.
Après Jean Delorme ou Jean Calloud, Panier honore la tradition du Cadir, tradition vivante qui refuse de se laisser enfermer dans des procédures figées et ne réduit pas sa lecture à l'application de schèmes définitifs.
Soucieux de rendre au concept du péché originel une signifiance qu'un "traditionalisme dépassé" avait étouffée, Panier nous fait découvrir, à travers sa lecture de textes choisis (Profession de foi de Paul VI, Gaudium et spes de Vatican II, Enchiridion de s. Augustin, chapitres 2 et 3 de la Genèse et chapitre 5 de l'Épître aux Romains) ce qu'il nomme "la structure profonde du sujet". Le terme de structure (de l'humain, de l'humanité, du sujet) ponctue l'itinéraire de l'auteur, amené en fin de parcours à poser la "question du sujet" (nous soulignons).
Le travail de Panier ne vise pas, bien sûr, à restaurer quelque substantialisme du sujet, mais à pointer dans l'écriture de chacun des textes étudiés les conditions de l'avènement de celui-là. Le péché originel apparaît ainsi comme l'écriture après coup, après l'événement christique, d'un commencement où la figure d'Adam représente les effets du nouement de la chair et de la parole. La saisie de ce nouement pourtant échappe en tant que telle, et c'est pourquoi le péché originel garde une dimension impossible, renvoyant finalement à l'acte du dire qui ne cesse de décompléter tout énoncé en même temps qu'il en offre les conditions de possibilité.
Panier, heureusement, ne conclut pas. Il trace, en fin de parcours, des "perspectives" qui laissent penser que le péché originel, comme le salut christique, relève d'une écriture après coup de l'événement en tant que tel, événement qui détermine le procès de "vérification" en quoi consiste la théologie.

Roland SUBLON

Vittorio PERI, Orientalis Varietas. Roma e le Chiese d'Oriente - Storia e Diritto canonico, Roma, Pontificio Istituto Orientale, 1994, in-8°, 500 p. (Kanonika, 4).

La séparation des Églises, notamment de l'Église latine et des Églises orthodoxes, encore en cette fin du XXe siècle reste un signe de scandale. Certes, surtout depuis Vatican II, des efforts sont faits pour une meilleure compréhension réciproque, destinée à aplanir les difficultés qui empêchent le rapprochement. À cette fin, le dialogue, inauguré en 1980, entre l'Église romaine et les Églises orthodoxes, constitue une initiative prometteuse, à laquelle il convient d'ajouter, entre autres, l'institution par le motu proprio Europae Orientalis, du 15 janvier 1993, de la Commission interdicastériale "pour l'Église de l'Europe orientale". Celle-ci remplace, en fait, l'ancienne Commission Pro Russia, qui avait été établie en 1925 par Pie XI, unie d'abord à l'ancienne Congrégation pour l'Église orientale et qui est devenue autonome en 1930 ; il était difficile de la maintenir depuis l'effondrement de l'ex-Union soviétique et du bloc des pays communistes.
Un préalable à toute tentative de rapprochement des Églises est une connaissance exacte du passé, car très souvent ce sont des aspects tout à fait secondaires et sans réel fondement théologique qui sont à l'origine des dissensions. Mais cela demande de longues et patientes recherches d'ordre historique. C'est à des recherches de cette sorte que s'est livré, pendant plusieurs décennies, Vittorio Peri, qui exerce la fonction de "scrittore" grec à la bibliothèque vaticane ; il s'est particulièrement intéressé aux relations de l'Église latine et de l'Église byzantine de tradition slave. Dans le présent ouvrage, le lecteur ne trouvera pas une histoire complète des relations entre les Églises susdites. Comme le titre Varietas l'indique, l'auteur traite dans cinq essais quelques-unes des questions qui concernent les rapports entre ces Églises. Dans une première étude, il souligne les torts qui incombent à chacun des partenaires dans la séparation. Dans une deuxième étude, il donne un aperçu des tentatives d'union faites au cours de l'histoire et sur la manière dont cette union avait été conçue notamment à l'époque du droit classique et du concile de Trente. Les deux derniers essais sont consacrés l'un, à l'Institut pontifical oriental de Rome et l'autre à la Congrégation de l'Église ou des Églises orientales et tout particulièrement à l'action de l'Église catholique en Russie : deux études indispensables pour qui s'intéressent à l'histoire et au développement de ces deux institutions, mais tout spécialement pour se faire une idée des tentatives entreprises en Russie après 1919 pour y favoriser l'établissement d'une hiérarchie catholique latine.
À la fin du volume, sur près de 200 pages, le lecteur trouve reproduit le texte de nombreux documents (encycliques, motu proprio, brefs, constitutions, statuts...) concernant : - 1. La Congrégation pour la ou les Églises orientales. - 2. La Commission pro Russia. - 3. L'Institut pontifical oriental. C'est dire que l'ouvrage constitue un excellent instrument de travail pour tous ceux qui, d'une manière ou d'un autre, doivent s'occuper des relations entre Rome et les Églises orthodoxes.

René METZ

Luc PERRIN, Paris à l'heure de Vatican II, Paris, Éditions de l'Atelier, 1997, 320 p. (Églises/Sociétés).

Agrégé d'histoire et maître de conférences en histoire de l'Église à la Faculté de théologie catholique de Strasbourg, Luc Perrin s'est attaché à retracer en détail l'évolution des pratiques et des comportements des catholiques parisiens pendant les années décisives avant, pendant et après le Concile Vatican II. Les bulletins paroissiaux du diocèse de Paris des années 50 aux années 70 constituent un corpus imposant à travers lequel se laissent saisir des évolutions profondes. Il faut rendre grâce à l'auteur pour son travail minutieux de collecte, de lecture et d'interprétation de ces sources, souvent laissées en sommeil dans les rayons du Dépôt légal de notre Bibliothèque nationale. Du croisement de ces sources avec les témoignages recueillis directement auprès des acteurs de la vie paroissiale de ces années d'après guerre, résulte une approche rigoureuse d'une histoire sans doute plus difficile à appréhender que celle de certaines périodes antérieures.
Pourquoi Paris ? Luc Perrin inscrit son analyse dans un cadre qu'il connaît bien et où il bénéficie d'un certain enracinement. Paris constitue un foyer très important du renouveau pastoral et liturgique marquant l'ensemble de la pastorale en France. La centralisation administrative et politique générale en tout domaine est évidemment un autre facteur de la focalisation qui se laisse observer dans les activités de l'Eglise à cette époque. Mais ce Paris est finalement mal connu. Luc Perrin réinscrit les grands noms du renouveau pastoral et liturgique dans le contexte de la vie diocésaine de Paris et de sa banlieue qu'il convient d'appréhender de l'intérieur. C'est une véritable géographie des paroisses de cet archidiocèse trop vaste que reconstitue l'auteur, qui démontre l'importance des situations locales et des voisinages : St-Gervais, Notre-Dame, St-Séverin, St-Sulpice, au Centre ; Ste-Odile, St-François de Saales, Ste-Marie des Batignolles au Nord-Ouest, Notre-Dame des Otages, St-Gabriel, St-Jean-Bosco, Notre-Dame de Lourdes à l'Est, etc.
La première partie de l'ouvrage relate les évolutions majeures qu'a connues à l'époque la société paroissiale en région parisienne. On constate les mêmes problèmes et les mêmes évolutions en province, ce qui lui donne un intérêt bien plus large que celui de l'excellente monographie qu'il constitue à tous égards. Au cœur de ces changements, la figure du prêtre apparaît centrale. Après avoir noté le changement de modèle dans la formation au séminaire - assouplissement du règlement, ouverture au monde, orientation missionnaire, Luc Perrin décrit de manière incisive et colorée la vie quotidienne de "messieurs les Curés de Paris" et cela jusqu'aux détails vestimentaires et alimentaires. Le temps vient de nouveaux modes de vie et d'une réorganisation en "presbyterium" où les prêtres forgent ensemble les moyens de mettre en œuvre les nouvelles orientations conciliaires, en particulier dans le cadre du GERPAC (Groupe d'étude et de recherche pour l'application du Concile). Les canonistes trouveront ici matière à réexamen de certaines réformes que le Concile n'engageait alors que très prudemment, laissant souvent le champ libre aux conférences épiscopales nationales.
L'évolution du tissu paroissial traditionnel (la paroisse d'œuvres) est non seulement l'objet d'observations précisément chiffrées (jusqu'à l'excès parfois) mais d'analyses appuyées sur la recherche des spécialistes des différents domaines considérés (Adler et Vogeleisen pour la catéchèse, Cholvy, Fouilloux ou Ferroldi pour les patronages et l'Action catholique des enfants, Laneyrie et Chéroutre pour le scoutisme, etc.). Le diagnostic est formel : la paroisse d'œuvre formée à l'aube du XXe siècle vit ses derniers beaux jours ; d'autres modèles "prétendent à sa succession sans attendre l'acte de décès". Les faveurs de la politique épiscopale (Mgr Feltin, le Cardinal Veuillot) vont en effet vers la paroisse communautaire dont St-Séverin donne l'exemple dès 1947 avec le P. Connan comme mentor. Dans les discussions pastorales, on parle de "pastorale d'ensemble", de "paroisse station-service spirituelle" ou de "paroisse d'Action catholique". Réforme ou révolution ? Mai 68 laisse évidemment sa marque dans les changements qui s'opèrent, souvent de manière confuse et contradictoire.
La deuxième partie du livre est plus thématique. L'auteur passe en revue les grands points d'application des réformes conciliaires, faisant tout d'abord le point sur la réception de l'événement du Concile dans les paroisses. La réforme liturgique avec le passage "de l'assistance à la messe à la participation à l'eucharistie", la revalorisation du chant et la généralisation du français comme langue liturgique, la pastorale des sacrements avec, entre autres, la question financière mais aussi pastorale des classes d'enterrement ou de mariage, l'œcuménisme, une "découverte tardive" qui s'essouffle vite, l'évolution de la communion solennelle vers la profession de foi, autant de pistes par lesquelles on peut revivre les changements qui vont progressivement modifier le paysage religieux en France. On est introduit de manière extrêmement documentée dans les arcanes des débats suscités par ces renouvellements, la "pastorale du délai" par exemple en ce qui concerne le baptême.
Faut-il ajouter que l'ensemble très bien écrit se lit fort agréablement, les notes ayant été rejetées en fin de chapitre ? On regrettera peut-être l'amputation d'une troisième partie sur l'interprétation et l'expression des sensibilités réveillées par l'agitation conciliaire. Les expériences tentées ici et là traduisent-elles une sensibilité religieuse véritablement nouvelle ? Pour les clercs eux-mêmes, la question se pose : "clergé néo-moderniste ou néotridentin ? En l'occurrence, Luc Perrin reste fidèle aux conceptions dégagées par Émile Poulat quant à la résurgence d'un christianisme intégral à l'occasion du renouveau conciliaire en France. On se gardera cependant de surévaluer l'influence du Concile lui-même. La relativisation de la piété mariale, les nouvelles pratiques concernant le maigre, le réaménagement de l'espace sacré, etc. tous ces détails d'une vie religieuse en mutation profonde montrent la nécessité d'un droit canonique plus vivant et plus évolutif. Émile Poulat, dans la préface qui introduit l'ouvrage, note la curiosité de l'auteur, sa rigueur méthodologique et cette faculté rare d'opérer les bons prélèvements avant d'écrire une histoire contemporaine de l'Église en France. On pourrait ajouter : une histoire où pastorale et droit canonique continuent de jouer une partie très serrée.

Jean-Luc HIEBEL

Vlassios I. Phidas, Droit canon. Une perspective orthodoxe, Genève, Centre orthodoxe de Chambésy, 1998, 228 p.

M. Vlassios Phidas est professeur d’histoire de l’Église et de droit canonique à l’Université d’Athènes et à l’Institut de théologie orthodoxe du Patriarcat œcuménique à Chambésy, en Suisse. Auteur de nombreux ouvrages en grec, en anglais et en français, il est particulièrement compétent pour présenter le droit canonique dans une perspective orthodoxe.

Un premier chapitre introductif présente les sources et l’esprit du droit canonique. Les ch. 2 et 3 sont classiquement consacrés à un résumé des canons des sept conciles œcuméniques (Nicée, Constantinople, Éphèse, Chalcédoine, Quinisexte – recouvrant les 5e et 6e conciles –, Nicée II), qui sont le fondement du droit canonique, et aux canons des conciles locaux. Les chapitres sui­vants présentent une réflexion  novatrice : principes de renouveau de la tradition canonique (ch. 4) ; application des canons (ch. 5) ; évolution des canons (ch. 6). Enfin, en annexe, on trouve une fort utile concordance des canons.

« L’Écriture Sainte est la source fondamentale du droit cano­nique », dit l’auteur. Le rapprochement peut surprendre : bien des chrétiens sont habitués à soigneusement distinguer, voire à oppo­ser Bible et Église, inspiration et institution, grâce et loi. Le luthé­rien Rudolph Sohm proclamait au début du siècle l’incompa­tibilité radicale entre droit canonique et véritable Église : « La nature spirituelle de l’Église exclut toute organisation juridique », disait-il. La critique souvent adressée, depuis Luther, au droit canonique catholique, est d’être devenu un instrument de pouvoir fort éloigné de l’Évangile. La conception orthodoxe nous offre des pistes essentielles pour une réconciliation entre le « spirituel » (l’Église est régie par l’Esprit saint et soumise à sa tête, le Christ) et le « juridique » (l’Église est régie par des lois et soumise à des institutions). Ces pistes passent par le mystère de l’incarnation : l’Église, comme Jésus-Christ, est « divino-humaine ». Les « saints canons » sont au service de la mis­sion de l’Église qui est d’annon­cer l’Évangile.

C’est à partir de ces prémisses, rappelle V. Phidas, qu’il faut interpréter les canons : il faut les référer « à la plénitude de l’expé­rience sacramentelle, pastorale et spirituelle de l’Église à laquelle se rapporte le contenu entier de la tradition canonique ». En même temps, il faut savoir distinguer le fond et la forme, le con­tenu spirituel et l’enveloppe historique, en utilisant toutes les res­sources herméneutiques modernes.

Les évolutions ne sauraient concerner le fond, l’esprit des canons. On ne peut améliorer le droit canon, puisque celui-ci exprime quelque chose de l’Évangile. Mais on doit, on peut l’adapter aux circonstances de temps et de lieu, par exemple sous forme de Charte constitutionnelle de l’Eglise telle qu’il en existe une en Grèce depuis 1977, charte à laquelle V. Phidas a contribué.

La voie normale d’évolution du droit canonique est la réunion du Concile œcuménique. L’auteur souligne que, selon la tradition orthodoxe, toute l’activité de l’Église est conciliaire ou synodale. Cependant, depuis le schisme de 1054 entre Rome et Constan­tinople, l’Église orthodoxe évite de réunir formellement des conciles qui n’auraient d’œcuménique que le nom, puisque l’Occi­dent n’y participerait pas pleinement. De toute façon, le « joug turc » sur le monde orthodoxe depuis la chute de Constantinople en 1453 empêchait toute initiative en ce sens. Les conditions sont-elles plus favorables aujourd’hui à la réunion d’un concile au moins panorthodoxe ? Les difficultés ne manquent pas. V. Phidas n’hésite pas à dénoncer les tendances « ethno­cra­tiques ou même ethnophylétiques » qui traversent certains pays de tradition ortho­doxe. Les Églises orthodoxes préparent cependant activement, grâce au secrétariat installé à Chambésy, ce « grand et saint concile », et considèrent qu’elles vivent déjà une véritable expé­rience conciliaire par le truchement des procédures préconci­liaires. La réunion du concile lui-même est prévue pour les pre­mières années du 3e millénaire.

On le voit, l’ouvrage de Vlassios Phidas est riche. Il offre au lecteur occidental un manuel de droit canonique orthodoxe à jour, ouvert, dont l’inspiration profondément théologique force le respect.

Jean Werckmeister

Capitula episcoporum, t. 2, hrsg. von Rudolf POKORNY und Martina STRATMANN, Hannovre, Hahn, 1995, XVI-241 p. ; t. 3, hrsg. von Rudolf POKORNY, Hannovre, Hahn, 1995, XVIII-379 p. (Monumenta Germaniae historica).

Le t. 1 des Capitula episcoporum, édités par la librairie Hahn dans la collection des MGH, était paru en 1984. Rudolf Pokorny présente aujourd'hui les t. 2 et 3 (avec la collaboration pour le t. 2 de Martina Stratmann). Un t. 4 est annoncé, qui contiendra les index et une introduction.
De quoi s'agit-il ? Les évêques de l'époque carolingienne rédigeaient des règlements diocésains, sous forme de "chapitres" (capitula), règlements qui sont en fait des statuts synodaux, en complément ou en application de la législation générale ou provinciale existante. Un certain nombre de ces règlements étaient accessibles aux chercheurs dans l'édition Sirmond (Paris, 1629), reprise par Mansi et par Migne. Les textes étaient donc connus (Charles de Clercq en avait signalé l'intérêt et les avait résumés dans sa Législation religieuse franque, in RDC 7, 1957, p. 341-368), mais les MGH nous en offrent la première édition scientifique, établie sur les manuscrits lorsque ceux-ci existent encore.
Le t. 2 contient, après une présentation et une bibliographie, les cinq capitulaires d'Hincmar de Reims, rédigés entre 852 et 874. Les deux premiers, les plus célèbres, avaient connu une vaste diffusion puisque quatorze manuscrits les ont conservés, répartis dans toute l'Europe. Le t. 2 présente aussi les capitulaires de Willebert de Châlons et de Riculf de Soissons, de la province de Reims, ainsi que d'Hérard de Tours et d'Isaac de Langres.
Le t. 3 publie de nombreux capitulaires de Francie occidentale, de Lotharingie, de Germanie (Corbie, Paris, Neustrie, Anvers, Saint-Gall, Munich, Troyes, Mayence, Salzbourg, Milan), d'Italie du Sud, ainsi que quelques faux (les faussaires de l'époque carolingienne ne se sont pas contentés d'imiter les capitulaires impériaux ou les décrétales pontificales, ils ont aussi rédigé de faux capitulaires épiscopaux). On notera en particulier l'édition des cent canons d'Atton de Verceil (vers 940-960), qui est en fait une collection canonique, mais d'un type particulier ("eine reine Kanonessammlung ist das Capitulare nun auch wieder nicht", dit R. Pokorny) : chaque canon est précédé d'un sommaire, mais il n'y a pas d'inscription (c'est-à-dire qu'Atton n'indique pas de quel concile ou de quelle décrétale est extrait le canon cité). R. Pokorny fait précéder l'édition de ces cent canons d'une importante introduction (p. 243-261).
La plus grande part de ces capitulaires est consacrée au clergé : il s'agissait, déjà, de réformer l'Église en formant mieux, en redressant, en corrigeant les clercs. Ainsi, Hincmar demande-t-il à tous les prêtres de son diocèse de connaître par cœur le Credo et le Notre Père, de comprendre la Préface et le canon de la messe, et de savoir lire à haute voix les épîtres et l'évangile du dimanche (c. 1 des capitula I). Il faut croire que tous n'en étaient pas capables. À l'inverse, les canons concernant les laïcs sont plus rares : sur les cent canons d'Atton, seuls deux sont consacrés au mariage, l'un pour demander aux jeunes époux de se faire bénir par le prêtre et de rester vierges la nuit des noces "par respect pour la bénédiction reçue" (c. 94), l'autre pour rappeler les empêchements en vigueur, tel le rapt ou la parenté charnelle ou spirituelle (c. 95). Dans le capitulaire d'Hérard de Tours, le mariage est un peu plus développé (une dizaine de canons). Le reste traite essentiellement de la discipline des sacrements, c'est-à-dire du baptême et de l'eucharistie. L'intérêt principal de ces textes est qu'ils sont, à la différence des canons conciliaires souvent abstraits, très proches du "terrain" : on y sent une préoccupation pastorale immédiate.
On doit féliciter R. Pokorny et sa collaboratrice pour cet excellent travail, qui rendra grand service aux historiens, aux liturgistes et aux canonistes. Les notes de bas de page sont particulièrement riches : elles ne se contentent pas d'offrir l'apparat critique habituel, mais elles donnent de nombreuses explications historiques sur la signification des canons publiés. On attend avec intérêt le t. 4 et ses index, indispensables, ainsi que l'introduction promise. L'auteur pourra en profiter pour compléter la bibliographie, déjà abondante, avec par exemple les travaux non encore cités, parce que trop récents, de Jean Imbert (Les Temps carolingiens, Paris, 1994, HDIEO 5-1 : bibliographie en note p. 131-132) ou d'Odette Pontal (Les Conciles de la France capétienne, Paris, 1995).

Jean WERCKMEISTER

Odette PONTAL, Les Conciles de la France capétienne jusqu'en 1215, Paris, IRHT-Les Éditions du Cerf, coll. "Histoire", 1995, 539 p. [ISBN 2-204-05208-6. - 240 FF].

Odette Pontal fait honneur à la recherche historiographique française en collaborant régulièrement à la collection allemande Konziliengeschichte, publiée à Augsbourg sous la direction de Walter Brandmüller, et destinée à remplacer la célèbre Histoire des conciles de C.-J. Hefele traduite en français au début du siècle par H. Leclercq.
Après avoir publié déjà dans la collection d'Augbourg une Histoire des conciles mérovingiens, dont la version française a été éditée en 1989 par l'Institut de recherche et d'histoire des textes (CNRS) et les Éditions du Cerf, voici donc que Madame Pontal propose une Histoire des conciles tenus sous les Capétiens. Précisons que cette version française n'est pas la traduction de l'ouvrage allemand, puisque ce dernier n'est pas encore paru.
À vrai dire, le volume commence à la mort de Charles le Gros en 888, soit un siècle avant l'avènement d'Hugues Capet sur le trône de France (987). Sous les coups des envahisseurs normands, la Francia occidentalis voit se désagréger définitivement l'empire carolingien, en même temps que l'Église et la société sombrent dans l'anarchie. Peu à peu se met en place la féodalité, à laquelle participent les évêques devenus seigneurs. Les conciles de cette époque sont de peu d'intérêt, les seigneurs-évêques étant surtout préoccupés de se partager ou de se disputer possessions et dîmes. Le seul élément qu'on puisse mettre à leur actif - il n'est pas mince - est l'instauration de la "paix de Dieu", à partir de la fin du Xe siècle (interdiction totale de la guerre : conciles de Charroux 983-989, de Narbonne 990, du Puy 990, de Reims 992, etc.), puis de la "trève de Dieu" (limitation de la guerre à certains jours ou certaines périodes : Bourges 1038, Clermont 1095, etc.).
La réforme grégorienne, issue des monastères et relayée par la papauté, cherchera à ébranler le système féodal, grâce à la présidence des conciles des XIe et XIIe siècles par les légats pontificaux, voire par le pape lui-même (par ex. Reims 1049, présidé par Léon IX). Les idées réformatrices se heurtèrent d'abord à l'opposition de l'épiscopat français, qui rejette les orientations du pape (concile de Paris de 1074), puis finit par s'y plier sous l'influence, en particulier, d'Yves de Chartres (1040-1115). La renaissance du XIIe siècle permit à l'Église de France de se redresser, et aux évêques français de jouer un rôle décisif lors des conciles du Latran en 1123, 1139, 1179 et 1215.
Chaque période est précédée d'une substantielle introduction, qui présente le contexte politique, social et ecclésial des conciles. Ceux-ci sont classés selon leur objet ou leur caractère propre : conciles législatifs, conciles judiciaires (concernant par ex. le remariage de Philippe Ier ou le divorce de Philippe-Auguste), ou anti-hérétiques (contre Abélard ou Gilbert de la Porrée), conciles pour la croisade (depuis Clermont 1095), conciles normands, etc. Classification qui est effectivement bien plus cohérente qu'une simple liste chronologique, car elle permet de suivre, à travers diverses assemblées, l'évolution d'une question. Deux personnalités marquantes sont particulièrement étudiées : Yves de Chartres (1040-1115) et Bernard de Clairvaux (1090-1153), qui participèrent l'un et l'autre à la plupart des conciles importants de leur temps.
On relèvera quelques oublis ou imprécisions : après avoir expliqué que les lettres d'Hildebert de Lavardin sont une source importante pour l'histoire des conciles du XIIe siècle (p. 24), Madame Pontal n'indique plus ces lettres dans la liste des sources qu'elle a utilisées (p. 30). Le concile d'Autun de 1077 a laissé des décrets, dont "un seul nous est connu par l'intermédiaire de deux collections canoniques dont le décret de Gratien" (p. 178) : on aurait aimé avoir le nom de la seconde collection canonique, et des références plus précises au Décret de Gratien. Ailleurs (p. 201), le Décret de Gratien est cité à l'ancienne manière (Gratien D 50 : Si lapsis), alors qu'il est plus pratique d'indiquer le n° du canon plutôt que ses premiers mots. On est parfois surpris par la façon de citer les textes anciens, moitié en français, moitié en latin (p. 201 : "saint Grégoire, ep. Mediolanensem" pour "lettre à l'archevêque de Milan"). Pourquoi écrire, dans tout l'ouvrage, "Héfèle-Leclercq" avec des accents grave et aigu qui n'existent pas en allemand ?
Mais ce ne sont là que broutilles. L'ensemble de l'ouvrage fourmille de tant de références, de tant d'indications parfois de détail - mais des détails toujours éclairants -, et la liste des synodes et des conciles étudiés est si longue - près de cinq cents - qu'on ne peut qu'admirer une telle érudition alliée à une si belle clarté dans l'exposé. Madame Pontal réussit à rendre vivante et parfois même passionnante une histoire qui risquait de paraître rébarbative.
Les sources manuscrites ou imprimées sont toujours clairement indiquées. L'ouvrage s'achève par une liste commentée des conciles douteux (pseudo-concile de Paris de 1092, etc.), par de substantielles conclusions sur l'évolution de la notion de concile pendant la période considérée, sur l'évolution des rapports entre papauté, monarchie et épiscopat, et sur le résultat de l'activité synodale. Une bibliographie et des tables et index terminent utilement le volume, qui trouvera une place de choix dans la bibliothèque de tous ceux qui ont à travailler sur cette longue période (888-1215) de l'histoire occidentale.

Jean WERCKMEISTER

Cristianità ed Europa. Miscellanea di studi in onore di Luigi PROSDOCIMI, a cura di Cesare ALZATI, vol. I, Rome-Fribourg-Vienne, Herder, 1994, 851 p. en 2 tomes.

Les imposants Mélanges publiés en l'honneur de M. Luigi Prosdocimi, professeur d'histoire de l'Église à l'Université catholique de Milan, offrent plus de cinquante contributions. Le plus grand nombre est consacré à la chrétienté médiévale. L'historien du droit canonique sera attentif aux articles de MM. Jean GAUDEMET (La Primauté pontificale dans les collections canoniques grégoriennes), John GILCHRIST (The Collectio canonum of Bishop Anselm II of Lucca), Juan FORNÉS (Notas sobre el Duo sunt genera christianorum del Decreto de Graciano), Rudolf WEIGAND (Die Dekkretabbreviatio 'Exceptiones ecclesiasticarum regularum' und ihre Glossen), ainsi que du regretté Gérard FRANSEN (Quaestiones Mediolanensis...), etc.
Peter LANDAU (Die Eheschliessung von Freien mit Unfreien bei Burchard von Worms und Gratian. Ein Beitrag zur Textkritik der Quellen des kanonischen Rechts und zur Geschichte chrislicher Umformung des Eherechts) élucide les problèmes posés par l'origine et la transmission de deux canons du Décret de Gratien. Il s'agit de la Cause 29 consacrée au mariage entre libres et affranchis, ou entre libres et esclaves. P. Landau rappelle les évolutions de la doctrine sur ces questions (le droit romain n'admettait pas le mariage des esclaves ; le Décret de Gratien affirme sa légitimité), et montre qu'un premier infléchissement doit être daté de la fin du Xe siècle, sans doute dans l'école canonique de Freising (Collection en 12 parties) : c'est là que le mariage entre libres et affranchis est équiparé au mariage des libres entre eux ; Burchard de Worms reprendra au début du XIe siècle les canons qui affirment cette doctrine nouvelle, en particulier un canon faussement attribué au pape Jules (Jaffé †200) et qui est en réalité une interpolation du Code de Justinien. P. Laudau montre que c'est Gratien lui-même qui a introduit dans ce canon la doctrine du droit au mariage pour tous, libres ou esclaves : Licet servis matrimonia contrahere (C. 29.2.1, rubrique). Pour faire passer cette idée neuve, Gratien découpe le canon qu'il trouve chez ses prédécesseurs (en l'occurrence dans la Panormie), le transforme, le complète, l'éclaire à sa façon grâce à la rubrique dont il le munit. Pour un autre canon (C. 29.2.2), au contraire, Gratien se contente de recopier mot pour mot la Tripartite A (attribuée à Yves de Chartres), sans rien y changer. Conclusion : ein Urteil über die Veränderung des kanonischen Rechts durch das gratianische Dekret ist nur auf der Basis mühsamer textkritischer Untersuchungen der jeweiligen Einzelregelung möglich (seul un examen attentif de chaque canon individuel permet de se prononcer sur les apports du Décret de Gratien). Bref, aucune théorie d'ensemble n'est possible, sinon pour constater que la doctrine canonique du mariage s'est formée lentement à partir de l'an mille, sur la base d'une réflexion proprement théologique ("Nous avons tous un seul Père dans les cieux"), et qu'elle s'est imposée à l'Occident parce qu'"à partir du XIe siècle, et pour une longue période, l'Église est seule à légiférer sur le mariage" (J. Gaudemet).
Les dernières parties des Mélanges sont consacrées à l'époque moderne et à l'histoire contemporaine. René METZ traite des Relations du Royaume du Maroc et de l'Église catholique ; Ombretta FUMAGALLI CARULLI de la Libertà religiosa in Europa ; dans le dernier article du volume, Hans DOMBOIS revient sur le thème du Recht der Gnade im Aspekt der Einheit.
Ce premier tome est fort riche, aussi bien pour l'historien que pour le canoniste, et fait honneur à son destinaire comme à celui qui en a assuré la direction. Nous attendons avec intérêt le tome second.

Jean WERCKMEISTER

Staatliches Religionsrecht im europäischen Vergleich, hrsg. von Richard PUZA und Abraham Peter KUSTERMANN, Fribourg (Suisse), Universitätsverlag Freiburg Schweiz, 1993, 196 p.

L'objet de ce tome 40 de la collection de l'Université de Fribourg, consacré aux relations Églises-États, est d'abord de comparer le droit des religions en Allemagne, France, Italie et Pays-Bas, aussi bien du point de vue de l'histoire que de la situation actuelle. Les articles sont rédigés en allemand (Richard Puza et Luciano Musseli traitent de l'Italie, Knut Walf des Pays-Bas, Heiner Marré de l'Allemagne), sauf celui que Francis Messner a consacré au "Droit français des religions". L'auteur y rappelle que, contrairement aux idées reçues, le droit français est en cette matière très diversifié et pluriforme. Sur la base de principes constitutionnels qui par définition s'appliquent partout (laïcité, liberté de religion, égalité en matière religieuse), deux grands systèmes coexistent : celui de la séparation, et celui de la reconnaissance par l'État (en Alsace-Moselle et en Guyane). L'ensemble de cette législation est exposée avec beaucoup de clarté.
Un des intérêts majeurs de l'ouvrage réside dans la mise en perspective "européenne" de ces droits nationaux. Peter Leisching parle des "nouvelles structures" des relations Églises-États en Europe, Gerhard Robbers des Églises et du droit communautaire, Roland Minnerath des Communautés européennes, etc. Dans leur introduction, les deux initiateurs du travail, R. Puza et A. P. Kustermann, soulignent que les Églises n'ont pris que très récemment conscience que la construction européenne les concerne aussi dans leurs droits internes (le droit canonique, par exemple, n'en tient pas encore compte) et dans leurs relations avec les divers États européens. Nous sommes au début d'importantes évolutions en ce domaine. Ce volume d'informations et de réflexion y contribuera utilement.

Jean WERCKMEISTER

Synodalrecht und Synodalstrukturen. Konkretionen und Entwicklungen der "Synodalität" in der katholischen Kirche, hrsg. von. Richard PUZA und Abraham Peter KUSTERMANN, Fribourg (Suisse), 1996, 103 p. (Freiburger Veröffentlichungen aus dem Gebiete von Kirche und Staat, t. 44).

Nous avons eu l'occasion de signaler les journées de travail organisées par R. Puza et A. Kustermann dans le cadre du diocèse de Rottenbourg-Stuttgart en Allemagne (RDC 45, 1995, p. 192-193). Les éditions universitaires de Fribourg en Suisse présentent les actes de la session de 1994, consacrée à la synodalité dans l'Église, ou plus précisément au droit synodal et aux structures synodales.

Jean WERCKMEISTER

Beginn und Ende der Ehe. Aktuelle Tendenzen in Kirchen- und Zivilrecht, hrsg. von Richard PUZA und Abraham P. KUSTERMANN, Heidelberg, C. F. Müller Juristischer Verlag, 1994, XIV-134 p.

L'Akademie du diocèse de Rottenburg-Stuttgart organise chaque année des journées d'études ouvertes à un public relativement vaste. Ce volume contient les actes des journées de décembre 1992, dont le titre peut être traduit par "Commencement et fin du mariage : tendances actuelles en droits canonique et étatique". Y ont participé J. BERNHARD ("les fondements du droit canonique matrimonial"), H. W. STRÄTZ ("les évolutions du droit matrimonial étatique en Allemagne de 1875 à 1976"), R. PUZA ("les problèmes juridiques posés par le caractère facultatif du mariage civil en Italie"), A. WEISS ("nullité et dissolution du mariage dans l'Église catholique"), W. RÜTTEN ("nullité, dissolution et divorce dans le droit allemand"), D. PIERSON ("l'écart entre les conceptions étatique et ecclésiastique du mariage") et K. WALF ("les suites canoniques d'un mariage rompu"). Un des problèmes soulevés est celui de l'obligation du mariage civil en Allemagne et du lien entre déclaration de nullité canonique et divorce civil, problème qui se pose aussi en d'autres pays.
Tous ces articles sont publiés en allemand. Un index des matières et des personnes rend plus aisée la consultation de l'ouvrage, qui témoigne de la vitalité et de l'ouverture de la recherche canonique et de la pastorale du mariage en Allemagne.

Jean WERCKMEISTER