Ce volume contient une abondante information. Les sacrements qui jalonnent la vie chrétienne sont décrits avec leur rituel et les usages sociaux qui s'y rattachent. Le sacrement de l'ordre est l'occasion de fournir des chiffres sur le nombre et l'âge des prêtres ; l'éventail des diverses institutions de vie consacrée est joint en annexe. Les divers temps de l'année liturgique sont expliqués, avec les solennités qui en marquent les temps forts. Des cérémonies plus rares, comme la dédicace d'une église, la bénédiction d'une cloche, ne sont pas oubliées, ainsi que divers aspects de la dévotion mariale. Sont également passées en revue les diverses manifestations de piété collective ou individuelle : célébration eucharistique sous toutes ses formes, prière, prescriptions alimentaires et vestimentaires, évangélisation. Ensuite sont abordées les institutions catholiques : tout d'abord les diverses instances du gouvernement central de l'Église à Rome, en citant leur composition et leur fonction, puis les instances nationales, diocésaines, paroissiales, sans oublier les écoles confessionnelles de tous niveaux, les mouvements d'action catholique éducatifs ou caritatifs, et enfin la presse catholique.
Après une rapide mention des problèmes que peut poser la coexistence d'un droit propre (le droit canonique) et du droit étatique, sont évoqués les rapports entre les catholiques et la "chose publique", sous l'angle de leur poids électoral, puis ceux de l'Église et de l'État. Sans omettre le particularisme concordataire de l'Alsace-Moselle.
Même si, après la séparation houleuse de 1905, la république et l'Église ont abouti à une laïcité consensuelle, des tensions demeurent, avivées par la récente encyclique Evangelium vitae dans laquelle Jean Paul II, qui semble nourrir un "rapport équivoque à la démocratie et à la modernité", relativise la "légitime autonomie des réalités terrestres" prévue par la constitution conciliaire Gaudium et Spes.
Ce survol du contenu du volume montre que la variété de l'information ne le cède en rien à l'abondance. Rien ne semble passé sous silence, pas même l'exorcisme déprécatoire, la procédure de béatification, le culte de dulie ou d'hyperdulie Il en résulte une certaine confusion, car les données sont insuffisamment hiérarchisées, l'essentiel ne ressort pas clairement. Par exemple : le pèlerinage de Chartres (et son chassé croisé entre intégristes et charismatiques) est cité comme les célébrations de la Pentecôte. De même, les représentations populaires (processions de reliques, défilés de confréries), les fêtes patronales, où la dimension folklorique, parfois même touristique, prend souvent le pas sur l'aspect religieux, sont mises au même plan que les solennités universelles.
Malheureusement, cet ouvrage sérieux cède parfois à la facilité et au sensationnel. L'importance du développement consacré aux positions du magistère de l'Église catholique quant à la morale sexuelle et à sa contestation par les fidèles (10 pages pleines), ne semble pas devoir s'expliquer autrement que par la médiatisation de ces questions. De même, les propos virulents d'un prêtre traditionaliste (p. 155), qui n'apportent rien au débat mais sont cités pour leur caractère spectaculaire. Ainsi peut s'expliquer aussi la place accordée aux tendances charismatiques et traditionalo-intégristes, qui sont plus visibles, plus remuantes et plus faciles à repérer. Cette tendance se manifeste également dans le tableau donné en annexe (p. 264) ; regroupant des "positions succinctes et sans nuances", il est à la limite de l'erreur et frôle la caricature.
Alors, à qui s'adresse ce livre ? Pour le simple curieux, les données sont trop denses, trop touffues. Le catholique trouve peu d'éléments pour lui rappeler l'essentiel de ses convictions. Même averti que ce livre ne traite pas de théologie, même conscient que religion et foi sont différentes, il peut regretter que le contenu du dogme soit réduit à une brève paraphrase du Credo. Certes, une religion ne se résume pas aux croyances, mais elle ne peut les évacuer. De ce fait, bien que les informations fournies soient justes, à peine limitées par quelques imprécisions, ce catholique ne reconnaît pas sa famille dans le portrait qui en est fait. L'adepte d'une autre religion ou le "sans religion" qui cherche à s'informer sur le catholicisme risque de ressentir des frustrations du même ordre. Ceux qui ont soif de divin, qui sont en quête de sens, ne trouveront dans ce manuel qu'une description des pratiques catholiques. C'est sans doute la loi du genre.Cl. Lhuissier Noël
Nous sommes en présence d'une thèse soutenue à la Faculté de droit de l'Université de Fribourg (Allemagne) et réalisée sous la direction du professeur A. Hollerbach. Il s'agit d'une étude, fort bien documentée, à la fois de droit canonique et de droit civil ecclésiastique ; elle traite du statut des religieux en ce qui concerne les biens patrimoniaux et la sécurité sociale dans le cadre du droit civil allemand ; car l'entrée dans la vie religieuse n'enlève pas au candidat la qualité de citoyen, avec tous les droits et aussi toutes les obligations qui en découlent.
L'auteur situe tout d'abord les religieux par rapport au droit concordataire : le concordat d'empire (1933) ainsi que divers concordats des Länder, à l'exception du concordat de Prusse, font effectivement une place aux membres des congrégations et des ordres religieux (conformément à l'ancienne terminologie). Puis il évoque les différents éléments que l'on trouve dans le droit étatique allemand concernant les religieux ; mais les points qui l'intéressent plus particulièrement sont, comme cela a déjà été dit, les biens temporels (acquisition, propriété, administration, jouissance) et la sécurité sociale, obligatoire en principe pour tous (loi de 1957, révisée en 1992).
La première question qu'il fallait mettre au point est celle de savoir qui entre dans la catégorie des religieux, quand le droit civil mentionne les religieux. Et à ce sujet le Code de droit canonique de 1983 apporte des modifications de terminologie par rapport à la législation de Code de droit canonique de 1917 ; ainsi il ne mentionne plus le postulat et il ne fait plus la distinction entre les ordres et les congrégations. D'autres instituts religieux sont mentionnés dans le nouveau Code de 1983 qu'ignorait le Code de droit canonique de 1917 : les instituts séculiers, les sociétés de vie apostolique, les ermites et les vierges consacrées. Il importe de préciser dans quelle mesure les membres de ces divers instituts entrent dans la catégorie des religieux pour le droit civil. Ce qui oblige l'auteur à réserver de longs développements au droit des religieux du nouveau Code, tout en n'ignorant pas les dispositions antérieures. Il s'adonne à un véritable commentaire du Code latin de 1983 concernant les différentes étapes d'entrée dans la vie religieuse ou dans une collectivité considérée comme permettant de conférer aux membres la qualité de religieux : étape qui correspond à l'ancien postulat, noviciat, profession temporaire, profession perpétuelle, avec les conséquences que ces étapes entraînent pour l'intéressé du point de vue canonique et du point de vue du droit civil relatif à son patrimoine, notamment le renoncement à l'acquisition de biens, à leur administration, à la propriété. Il mérite qu'on le note, selon l'auteur les vierges consacrées vivant dans le monde n'ont pas droit à la qualification de religieuses. Une question qui retient longuement l'attention et avec raison, est la situation des religieux qui, pour une raison ou une autre, cessent de faire partie d'un institut religieux et perdent donc leur statut de religieux. Il s'agit essentiellement des exigences qu'ils peuvent formuler, selon le droit civil, à l'égard de l'institut dont ils faisaient partie et de la manière dont ils peuvent régulariser leur situation à l'égard des diverses caisses qui assurent leur protection sociale.
Une grande partie du travail est consacrée aux différentes sections de la sécurité sociale auxquelles doivent ou peuvent adhérer les religieux : assurances de maladie, de pension de retraite, d'accidents, de chômage, de soins. L'adhésion à certaines d'entre elles sont obligatoires, d'autres facultatives. L'auteur indique tous les éléments qui permettent aux religieux de faire le choix, selon la condition particulière de leur vie, entre les assurances qui s'imposent obligatoirement et celles dont ils peuvent être dispensés d'adhérer.
Toutes ces questions sont examinées avec beaucoup de minutie et avec l'indication de la jurisprudence des tribunaux dans les cas où des conflits ont fait l'objet d'une instruction judiciaire. Bref, un travail exemplaire quant à la présentation canonique et à la documentation juridique et jurisprudentielle pour les deux points étudiés : patrimoine et sécurité sociale des religieux dans le droit civil allemand.René METZ
Le présent ouvrage fait suite à trois autres que le professeur Dimitrios Salachas a publiés au cours des dernières années : Les sacrements de l'initiation chrétienne (baptême, confirmation, eucharistie) dans le nouveau code de droit canonique de l'Église catholique romaine, Thessalonique, 1989 (traduction française de l'original grec, 1994). Cette fois, l'auteur s'intéresse plus particulièrement aux traditions et sources qui ont servi à l'élaboration du nouveau code oriental pour voir dans quelle mesure les consulteurs chargés du travail se sont bien conformés aux directives qui leur avaient été données à ce sujet. En effet, un des "principes directeurs pour la révision du droit canonique oriental" demandait notamment que "le code oriental devra s'inspirer de la discipline commune et l'exprimer telle qu'elle est contenue : a) dans la tradition apostolique ; b) dans les canons des conciles et des synodes orientaux ; c) dans les collections canoniques orientales et les coutumes communes aux Églises orientales et qui ne soient pas tombées en désuétude". Tout le travail du professeur Salachas consiste à montrer que ces directives ont été fort bien respectées et que dans le code actuel on retrouve les grandes lignes de la législation du premier millénaire. Ce n'est pas une histoire du droit canonique oriental du premier millénaire qui fait l'objet de ce travail, contrairement à ce que pourrait laisser entendre le titre, mais bien une confrontation des canons du code de 1990 avec les dispositions législatives en usage aux premiers siècles.
La matière est répartie sur cinq parties, divisées elles-mêmes en titres, conformément à la tradition orientale. Dans les grandes lignes, l'auteur suit les thèmes des trente titres du code actuel. La première partie traite de l'observance des lois, du magistère ecclésiastique, des saintes Écritures comme source de la législation canonique. La deuxième partie est consacrée au synode des évêques et à l'institution patriarcale. Dans la troisième partie, il est question des éparchies et des évêques, des clercs, de la vie monastique ; dans la quatrième partie du culte divin, des sacrements, des sacramentaux, des lieux de culte et dans la cinquième et dernière des sanctions pénales, de la procédure judiciaire et de l'administration des biens. Pour chaque question, l'auteur donne les textes du droit ancien qui ont servi de source. Le lecteur peut donc très bien comparer les textes anciens, qui sont reproduits, avec la teneur des canons du nouveau code et se rendre compte de la conformité des deux législations, celle du premier millénaire et les dispositions actuelles.
À titre d'information, nous avons relevé les sources auxquelles l'auteur a fait appel et dont il reproduit des extraits. Voici ces sources, avec l'indication du nombre d'extraits reproduits : Canons apostoliques ou Canons des Apôtres, cités 75 fois, et les Constitutions apostoliques, citées deux fois ; - les conciles oecuméniques : Nicée (325), cité 37 fois ; Constantinople (381), 13 fois ; Éphèse (431), 4 fois ; Chalcédoine (451), 29 fois ; Concile in Trullo (691), 47 fois ; Constantinople IV (869 - 870), 7 fois. - les synodes particuliers : Ancyre (314), 24 fois ; Néocésarée (314-319), 8 fois ; Gangres (340), 2 fois ; Antioche (341), 26 fois ; Laodicée (343-381), 22 fois ; Constantinople (394), 3 fois ; Carthage (419), 39 fois ; Constantinople (861), 10 fois. - les Pères : Pierre d'Alexandrie ( 311), une fois ; Athanase ( 373), 4 fois ; Basile ( 379), 21 fois ; Timothée d'Alexandrie ( 385), 20 fois ; Grégoire de Nysse ( 395), 4 fois ; Théophile d'Alexandrie ( 412), 20 fois ; Cyrille d'Alexandrie ( 444), 4 fois. Ces relevés donnent des indications sur l'intérêt que présente l'ouvrage du professeur Salachas pour ceux qui veulent faire un commentaire historique du nouveau code ; ils en facilitent grandement le travail.René METZ
Dimitrios Salachas, Teologia e disciplina dei sacramenti nei Codici latino e orientale. Studio teologico-giuridico comparativo. Prefazione di Velasio De Paolis, Bologna, Ed. Dehoniane, 1999, 526 p.
Le professeur Dimitrios Salachas poursuit la publication d’études sur le droit actuel des Églises orientales catholiques. Nous lui devons déjà quatre ouvrages dont deux traitent de l’ensemble des institutions ecclésiales orientales et de leur conformité avec la tradition, et deux autres de divers sacrements : les sacrements de l’initiation chrétienne (baptême, confirmation et eucharistie) et le sacrement du mariage. Le lecteur intéressé par ces travaux en trouvera les références dans la Revue de droit canonique : t. 42, 1992, p. 161-162 ; t. 45, 1995, p. 169 et 171-172 ; t. 47, 1997, p. 448-449.
Dans la présente étude, l’auteur se livre à une recherche comparative du Code de droit canonique de 1983 (CIC) et du Code des canons des Églises orientales de 1990 (CCEO). Le travail de comparaison ne concerne pas l’ensemble des dispositions des deux Codes, mais seulement une partie bien définie, à savoir les dispositions du livre IV du Code latin et du titre XVI du Code oriental. Il y est question dans chaque Code des sacrements - l’auteur laisse de côté le mariage -, des autres actes du culte divin, des lieux et des temps sacrés. Dans le Code latin, le livre IV porte le titre : la fonction de sanctification de l’Église (De Ecclesiae munere sanctificandi) et compte 420 canons (834-1253). Dans le Code oriental, le titre XVI est intitulé : le culte divin et particulièrement les sacrements (De cultu divino et praesertim de sacramentis) et compte 232 canons (664-895).
La différence du nombre des canons ne provient pas d’une manière différente d’envisager les institutions de la part des latins et des orientaux. Il n’y a pas d’opposition, ni de contradiction entre les deux législations, la latine et l’orientale, en ce qui concerne la nature, l’essence et les effets des sacrements ; il en est de même pour les autres questions traitées dans le livre IV et le titre XVI. La différence est due à des causes tout à fait secondaires. Voici quelques-unes de ces causes. Pour certaines questions, le Code oriental s’en remet au droit particulier. C’est le cas, par exemple, des sacramentaux : le Code latin leur consacre 7 canons (1166-1172) et le Code oriental se contente d’un seul canon (667), qui en donne la définition et renvoie pour le reste au droit particulier des diverses Églises orientales. Le Code oriental passe sous silence d’autres questions. Il en est ainsi, à propos du sacrement de pénitence, pour les indulgences, qui dans le Code latin font l’objet des canons 992-997 ; le Code oriental ne les mentionne pas pour la simple raison que les Églises orientales ne connaissent pas les indulgences. Il n’y a pas non plus de canons orientaux qui correspondent aux textes latins concernant les oratoires et les chapelles privées (CIC, can. 1223-1229), les sanctuaires (CIC, can. 1230-1234), les autels (CIC, can. 1235-1239). Le serment est traité dans le Code oriental en un seul canon (895) ; le Code latin est plus explicite : il lui consacre 6 canons (1199-12O4).
Il paraît inutile d’allonger la liste des exemples. Le lecteur trouvera toutes les indications à ce sujet dans l’ouvrage du professeur Salachas, qui est en fait plus qu’une simple étude comparative. Il s’agit d’un commentaire exhaustif des canons du livre IV du CIC et du titre XVI du CCEO. L’auteur a pris comme textes de base les canons latins et il en fait le commentaire canon par canon selon l’ordre du Code de droit canonique de 1983. Il introduit de nombreux sous-titres, bien plus qu’il n’y en a dans l’original latin, si bien qu’il est aisé d’en suivre l’exposé. Pour chaque canon, il reproduit le texte latin et le fait suivre du canon oriental correspondant, s’il y en a un, et se livre à une analyse fouillée des dispositions qui font l’objet du canon latin et du canon correspondant oriental. Bref, un véritable traité des sacrements (à l’exception du mariage) et des autres actes du culte (sacramentaux, liturgie des heures, funérailles ecclésiastiques, culte des saints, des saintes images, des reliques, du voeu et du serment), des lieux sacrés (églises, oratoires et chapelles privées, santuaires, autels, cimetières), des temps sacrés (jours de fête, jours de pénitence).
René Metz
Ludwig
Schmugge, Kirche, Kinder, Karrieren : päpstliche Dispense von der
unehelichen Geburt im Spätmittelalter, Zürich, Artemis und Winkler, 1995,
511 pages.
C’est pour deux raisons que le présent ouvrage est intéressant : d’abord parce qu’il étudie un ensemble de documents des archives du Vatican, à savoir ceux de la Pénitencerie entre 1449 et 1533, documents perdus pendant longtemps et restés en friche depuis leur redécouverte par Emil Göller ; ce n’est en effet qu’en 1986 que ces archives deviennent accessibles. Ensuite, parce qu’il ne s’agit pas d’une simple étude historique, mais aussi d’une contribution à l’étude d’un aspect particulier du statut légal et social des enfants illégitimes durant cette période. Le travail est divisé en huit parties : Introduction (1), Sortir de l’illégitimité : dispense et légitimation (2), Gestion de la conscience (3), L’Église en tant que refuge des illégitimes (4), Modèles de carrières : les fils de pape et les enfants abandonnés (5), l’Église et les enfants illégitimes dans l’empire germanique (6), Fin (7) et Postface (8). Suivent des annexes, des listes d’abréviations, un glossaire ainsi qu’une annexe statistique (nombre de dispenses pour illégitimité de naissance provenant des diocèses allemands ; nombre de dispenses par évêché allemand et par province] ; listes des évêchés allemands par nombre de dispenses ; registre de la Pénitencerie et chiffres de base ; dispense de l’illégitimité de naissance dans le manuscrit BAV Vat. Lat. 6290 f 78r-83r, les dispenses defectus dans les registres de la Pénitencerie ; les prénoms des enfants illégitimes ; dispenses d’illégitimité de naissance par diocèse dans la chancellerie et la Pénitencerie ; les taxes du pénitentiaire d’après le manuscrit ASV Instr. Misc. 7467). L’ouvrage se termine par une liste des tableaux et des illustrations et par un index.
Une brève recension ne peut pas aborder toutes les questions abordées. Nous allons donc nous contenter de quelques points fondamentaux. Par exemple, l’auteur décrit sa méthode avec précision. Il a trouvé, interprété et saisit statistiquement 37.916 dispenses d’illégitimité de naissance entre 1449 et 1533. Il a approfondi certains cas exemplaires. Il est intéressant de constater que la pratique des dispenses apparaît au moment même où le droit canonique se construit et devient de plus en plus sévère. Aux pages 41 et suiv. se trouvent des études des mandats de dispenses des instances ecclésiastiques. Le développement de la Pénitencerie est décrite de manière détaillée. Il est dirigé par le grand Pénitentier, un cardinal dont la charge est plus ancienne que l’administration car elle apparaît dès le xiie siècle. Il est également compétent en matière de dispenses pontificales. La Pénitencerie apparaît au xiiie siècle. Il ne semble pas exact, comme on le dit souvent, que ce tribunal se limitait au for intérieur ; il faut nuancer. Il ne s’agissait en effet pas exclusivement d’affaires de confession (forum internum sacramentale), mais également du for intérieur ordinaire (forum internum). C’est encore aujourd’hui un des problèmes de la recherche en matière de pénitence : à savoir qu’il semble y avoir risque d’enfreindre le secret de la confession. L’auteur souligne que les cas qu’il traite ne concernent pas le forum internum sacramantale (for de la confession). Cette conception semble actuellement prendre le dessus. Elle est certainement à l’origine du traitement prudent des archives.
L’accent est naturellement mis sur les dispenses pontificales des naissances illégitimes au Moyen Âge tardif. Les résultats sont parfois surprenants. Parmi les demandeurs auprès de « l’administration de grâce sociale » romaine, il y a aussi bien des enfants abandonnés que des filles bourgeoises ou des bâtards de la noblesse. Mais la majorité est constituée – et c’est surprenant dans l’état actuel des connaissances – par des enfants issus d’entorses au célibat. Les parents sont des curés, mais également des diacres, des moines, des chanoines, des abbés et des abbesses et même des évêques, souvent on peut même prouver que les pères ou mères fautifs ont vécu des années durant dans un concubinage quasiment marital, sans que cela ait dérangé quiconque. Il est peu probable que les résultats soient faussés par le fait qu’un tiers à peu près des archives de la Pénitencerie ait disparu lors de leur déménagement à Paris sous Napoléon et de leur retour.
À la page 323 on trouve des données qui concernent les diocèses français. De plus de 100 diocèses français, ont émané 6627 suppliques auprès de la Pénitencerie durant la période étudiée, dont 111 (1,7 %) seulement sont le fait de filles illégitimes. La répartition géographique est loin d’être régulière. 2418 (36,5 %) des suppliques proviennent de seulement 8 diocèses de la France du nord-ouest (Flandres, Picardie, Artois, Normandie). Cette concentration géographique confirme que « l’illégitimité a été un phénomène de masse dans les villes des Flandres à la fin du Moyen Âge ». D’autres sources confirment cette part accrue de naissances illégitimes dans le nord de la France. Dans les registres de l’officialité de Ceresy en Normandie on trouve de 10 à 20 % d’illégitimes au début du 14e siècle. À l’époque moderne, cette tendance se confirme : 3 % d’illégitimes vers 1700 contre 1 % en moyenne nationale. 12,3 % des illégitimes viennent des évêchés de Lyon, Clermont, Saint-Flour et Limoges. Pour une comparaison avec des chiffres issus d’autres sources, nous disposons de l’exemple du Forez, où le pourcentage des illégitimes est de 2,5 % (sur la base de 5125 enfants évoqués dans des testaments du 14e siècle) ; la répartitions des demandes françaises par pontificat (maximale sous Nicolas V et Innocent VIIII, avec plus de 50 % au-dessus de la moyenne) confirme également la tendance lisible dans d’autres sources. 489 suppliques ont été enregistrées pour la seule année sainte 1450, sommet plus jamais atteint (contre 200 enregistrements pour les années 1475 et 1500). Le net recul de l’illégitimité au cours du 16e siècle s’explique ainsi : réforme et puritanisme en France, en Suisse et en Angleterre font tendre vers zéro la courbe de l’illégitimité. « En Espagne et en Italie, comme le démontrent les suppliques auprès des pénitentiaires, ces raisons ne furent guère valables. Les chrétiens de ces régions restent fidèles à la source de grâce pontificale » (323 f).
À la page 324 s., une question intéressante est abordée. On est obligé de penser que la volonté compréhensible d’échapper à un statut socialement discriminatoire et d’utiliser le système des bénéfices ecclésiastiques, suppose une connaissance approfondie du droit canonique et du système de chancellerie correspondant. Comment les demandeurs ou leurs parents ont-ils acquis les connaissances nécessaires en droit canonique et du fonctionnement des chancelleries, comment ont-ils fait pour avoir connaissance des possibilités et des procédures juridiques concernant les dispenses ecclésiastiques en général et de la levée du defectus natalium en particulier ? On peut certainement les supposer chez les nobles et auprès du clergé ayant bénéficié d’une formation canonique. Mais qu’en est-il des laïcs, des enfants de commerçants, de vicaires, de religieuses ou de ceux ayant grandi à l’hospice des enfants trouvés ? À peu près 40 % des suppliques enregistrées étaient le fait d’enfants issus d’unions purement séculières. Il n’y avait alors aucune littérature canonique spécialisée, même pas dans les bibliothèques des cathédrales ou des couvents. Rarement furent conservé des recueils de formules romains à l’usage des curies, comme à Augsbourg. Ceci n’est pas surprenant pour des villes aussi liées à Rome que le furent celles de Saint-Ulrich et Afra. Mais qu’en est-il de régions éloignée de la curie ? Est-ce que l’écart entre les clercs (litterati) et les non clercs (illiterati) s’était vraiment largement réduit à la fin du Moyen Âge ? Est-ce que de larges parts de ce savoir concernant l’ordre ecclésiastique, qui jusqu’à présent était réservé aux clercs, avaient atteint la majorité laïque grâce aux prédications, aux études et à l’expansion du droit et ainsi perdu sa force, qui des siècles durant avait créé et entretenu une classe sociale sans jamais être mise en doute ? La dichotomie entre clercs et laïcs impliquait-elle une frontière juridique ? Que savons-nous actuellement des techniques d’impression utilisées dans les administrations diocésaines ou au niveau ecclésiastique local ? Schmugge ne donne qu’une très brève réponse à cette question. Ceci est certainement lié à l’état général de la recherche. Il est intéressant de constater que la dispense n’était pas considérée comme nécessaire au salut de l’âme du chrétien : les enfants illégitimes pouvaient aller au paradis. Si tout un chacun avait su cela, la fonction d’intégration de la dispense aurait à nouveau été mise en question. Ce fait a peut-être écarté ces règlements de chancellerie des presses des imprimeurs en Allemagne et on a ainsi évité leurs plus large diffusion. Bien que l’appareil de dispense ait été conçu pour tous les fidèles, il a surtout été utilisé avec zèle par la noblesse et la bourgeoisie (328).
Le livre n’est pas seulement une étude et une description d’un aspect de l’activité curiale au Moyen Âge, l’auteur analyse également les arrière-plans historiques, sociaux et administratifs. C’est ainsi qu’on peut le recommander à tous ceux qui s’intéressent à l’histoire de la curie romaine, de la Pénitencerie et à l’histoire sociale du christianisme.
Richard Puza
Les définitions "essentielles" : il faut prendre l'adjectif au sens philosophique du mot. Dans cette thèse soutenue à l'université grégorienne sous la direction du P. Navarrete (qui préface le livre), Charles Scicluna, aujourd'hui défenseur du lien à Malte, cherche l'essence du mariage dans les codes de 1917 et de 1983.
Après des considérations sur l'usage de la définition en droit ("Omnis definitio in iure civili periculosa est", prévient le Digeste 50.17) (chap. 1), le plan de son exposé devient chronologique. L'auteur examine la doctrine canonique de la nature du mariage entre 1850 et 1917 (chap. 2), l'interprétation et l'application du code de 1917 jusqu'en 1965 (chap. 3), la contribution de Vatican II (chap. 4), la révision du code de 1965 à 1983 (chap. 5), enfin le code de 1983 lui-même en comparaison avec celui de 1917 (chap. 6).
Il va sans dire qu'il touche à des questions à la fois théoriques et très concrètes quant à leurs conséquences, par exemple dans les officialités. Le problème posé peut se résumer ainsi : la définition du mariage a-t-elle ou non changé d'un code à l'autre ? Quaestio disputata ! On sait qu'une interprétation conservatrice tend à souligner davantage la continuité que les évolutions entre les deux codes. C. Scicluna a le mérite d'examiner la question à fond, sans a priori idéologique, en s'appuyant sur les textes du magistère, ceux de Vatican II, de Paul VI, de Jean Paul II, des congrégations romaines et de la jurisprudence des tribunaux apostoliques. Les questions abordées sont très nombreuses : définition du mariage in facto esse, du mariage in fieri, fins du mariage, importance juridique de l'amour, etc. L'auteur est assez sévère à l'égard du code de 1983 : il relève que la simple transposition des termes conciliaires tel foedus dans le code a conduit souvent à des tautologies, voire à des imprécisions, mais n'a pas modifié les concepts classiques : alliance et contrat, malgré la différence de leurs connotations, sont essentiellement synonymes. Il appartient donc à la jurisprudence et à la doctrine de fixer aujourd'hui les définitions et de trancher les questions nombreuses que le code a laissé en suspens : Le ius ad communionem vitae est-il indépendant du ius in corpus ? Le consortium est-il l'équivalent du vinculum, ou désigne-t-il l'ensemble du mariage in facto esse ? Consortium est-il synonyme de coniunctio ? Autant de questions que, avec prudence, l'auteur laisse ouvertes (il en est une qu'on aurait aimé le voir approfondir : y a-t-il un différence entre totius vitae et omnis vitae ?). Cependant, il souligne les principales nouveautés : alors que le code de 1917 réduisait le mariage au ius in corpus, interprété comme droit aux relations sexuelles, le concile renoue avec les vieilles définitions du droit romano-canonique (consortium, communio, consuetudo, communitas ) qui avaient été abusivement occultées depuis un siècle.
Le livre de C. Scicluna nous paraît apporter une contribution fondamentale à ces questions.Jean WERCKMEISTER
L'auteur, Reinhold Sebott, est connu des lecteurs de la Revue de droit canonique. Nous avons déjà eu l'occasion de leur signaler trois de ses publications : Das neue kirchliche Eherecht (1983 ; RDC 34, 1984, 77-75) : Das kirchliche Strafrecht (1992 ; RDC 45, 1995, 182-183) ; Fundamentalkanonistik. Grund und Grenzen des Kichenrechts (1993 ; RDC 45, 1995, 183-184).
Le présent ouvrage se situe dans la même ligne que les précédentes études. Après le droit du mariage et la droit pénal, l'auteur présente le droit des religieux du nouveau Code de droit canonique. Deux possibilités s'offrent pour un tel travail : la présentation de synthèse ou le commentaire canon par canon. Il a opté pour cette seconde manière : il reproduit le texte latin de chaque canon, y ajoute une traduction allemande et donne, chaque fois, une explication plus ou moins étoffée, selon le cas.
Il n'est pas question de rappeler, ici, les grandes lignes du nouveau droit des religieux. Disons simplement que l'auteur a bien mis en relief les différences du nouveau droit avec celui du Code de 1917 et surtout les innovations heureuses qu'on y trouve par rapport à la précédente législation. À ce sujet, il ne manque pas de formuler des critiques et de souligner les déficiences qu'on relève dans l'ancien droit : par exemple, pour les exercices spirituels (cumul excessif des exercices ; cf. can. 663) ou les moyens de communication sociale (accent mis sur le caractère négatif de la sexualité ; can. 666). À propos du can. 599 concernant le conseil évangélique de chasteté, il relève la valeur positive de la virginité en se référant à Teilhard de Chardin et en citant un long passage d'un de ses écrits. On relève souvent aussi le rappel historique de certaines institutions, qui permet de mieux comprendre les dispositions du droit actuel ou ses innovations. Ainsi le can. 604 lui fournit l'occasion d'évoquer la consécration des vierges vivant dans le monde, pratique courante aux premiers siècles, qu'en 1927 Rome avait interdit de conférer à ces mêmes personnes ; en 1950, Pie XII avait permis de la conférer aux moniales, mais il était toujours interdit de la conférer à des vierges isolées vivant dans le monde. C'est seulement vingt ans plus tard que Rome a de nouveau permis de consacrer des vierges vivant dans le monde et cela par un décret de Congrégation du culte du 31 mai 1970 lors de la révision de l'ordo consecrationis virginum (praenotanda, 3). Ces quelques indications suffisent, me semble-t-il, pour montrer l'intérêt de ce traité des religieux, muni d'un bon index des noms propres, des matières, des canons des Codes de 1917 et de 1983.René METZ
Le Code de 1983 a grandement simplifié le droit pénal de l'Église : les 220 canons du Code de 1917 ont été ramenés à 89 ; une partie des anciens canons a été supprimée, si bien que le droit actuel peut être considéré sur divers points, dans une certaine mesure, comme une loi cadre, qui laisse aux autorités subalternes un espace de liberté. Le droit pénal ne jouit pas d'une faveur spéciale de la part des canonistes ; les traités sont rares. On le comprend aisément.
Le présent travail de Reinhold Sebott, professeur à l'École Supérieure de théologie de Francfort et chargé de cours émérite à l'Université Grégorienne (Rome), est conçu de la même manière que son traité du mariage : Das neue kirchliche Eherecht, qui a paru en 1983, très peu de temps après la promulgation du Code (cf. RDC, t. 34, 1984, p. 77-78 ; nouvelle édition, 1990). En 247 pages, il permet au lecteur, notamment au jeune étudiant, de se familiariser avec le droit pénal de l'Église. Il laisse de côté les considérations d'ordre général sur la légitimité d'un droit pénal dans l'Église, tout en les signalant et en renvoyant le lecteur intéressé aux publications qui en traitent. Son travail est un commentaire strict des 89 canons, qu'il passe en revue un par un ; il donne pour chaque canon - il faut l'en féliciter - le texte allemand et latin. Le commentaire est complété par le renvoi aux canons de 1917, souvent plus explicites, et aux anciens commentaires de Jone et de Mörsdorf. L'ouvrage rend d'utiles services à la fois par sa concision et sa précision, comme cela est le cas du Kirchliche Eherecht.René Metz
Le problème de la légitimité d'un droit de l'Église ne cesse de préoccuper canonistes et théologiens et quand ils abordent ce sujet surgit toujours à l'arrière-plan le nom de Rudolf Sohm (1841-1917). Après plus d'un siècle - le tome I du Kirchenrecht de Sohm date de 1892 - les thèses du savant professeur allemand, profondément croyant, restent actuelles et elles continuent d'interpeller tous ceux qui s'intéressent au droit de l'Église, comme le laissait entendre le père Y. Congar, l'actuel cardinal, dans un article paru en 1973 dans la Revue des sciences phil. et théolog. : "Rudolf Sohm nous interroge encore". Et le grand canoniste français, le regretté Gabriel Le Bras ( 1970), était préoccupé toute sa vie par Sohm ; que de fois l'avons-nous entendu évoquer Sohm et sa logique dans l'exposé de ses conceptions, qui déconcertent, disait-il, mais qu'on a du mal a réfuter, bien qu'elles paraissent inacceptables. Pour Sohm, "l'Église est spirituelle dans son essence ; le droit est temporel dans son essence". Il en résulte que "le droit est en contradiction avec l'essence de l'Église". L'Église primitive ne connaissait pas le droit, affirmait Sohm ; au IIe siècle, elle s'organise, mais son organisation est fondée sur l'eucharistie et les autres sacrements. A partir du milieu du XIIe siècle, après Gratien (le Décret date de 1140 environ), qui est encore un témoin de l'ancien état des choses, l'Église adopte une organisation fondée sur un droit humain, qui est temporel ; elle devient une Église juridique, qui n'est pas la vraie Église. Telle est présentée, très schématiquement, la manière dont Sohm envisage l'Église et l'incompatibilité de l'Église avec un droit humain ou temporel, à savoir le droit canonique.
Nous devons au professeur Reinhold Sebott un excellent et détaillé rappel de la place que Sohm et ses thèses ont tenue dans le monde catholique à la fin du XIXe siècle et durant tout le XXe. Il le fait d'une manière très claire ; son travail se présente comme un véritable rapport documentaire, comprenant trois parties. Das une première partie, il expose longuement les conceptions de Sohm : la façon de concevoir l'Église, le droit et l'évolution de l'Église dans la perspective du droit. Une deuxième partie est consacrée aux réactions des canonistes catholiques aux propositions avancées par Sohm. Il résume d'abord, en deux ou trois pages, les positions prises par treize auteurs dans des recensions ou des articles de revue ; parmi ces auteurs figurent des canonistes bien connus, tels Johann Baptist Sägmüller et Paul Fournier. Ensuite le lecteur trouve un exposé plus détaillé des travaux de trois canonistes qui se sont intéressés de manière approfondie à l'uvre de Sohm et qui dans leur jugement dépassent l'aspect purement critique et négatif : il s'agit de Hans Barion (1899-1973), de Josef Klein (1896-1976) et de Werner Böckenförde (1928-). Dans une troisième partie, l'auteur prend lui-même position à l'égard de Sohm et il se livre à une critique sévère de ses thèses. A l'aide d'arguments bibliques et ecclésiologiques, il s'efforce de montrer notamment qu'il n'est pas possible d'affirmer que l'Église primitive était démunie de toute organisation.René Metz
La jeune communauté de Bose, établie entre Turin et Milan et très active au service de la formation litugique, vient de publier pour la première fois en Italie une anthologie de prières eucharistiques anciennes. La direction de l'entreprise a été confiée à un spécialiste, le Prof. Enrico Mazza, de l'Université du Sacré-Coeur à Milan, bien connu des historiens de la liturgie pour ses remarquables études consacrées à la prière eucharistique, à ses origines juives et à son développement. C'est évidemment à lui qu'il revenait de rédiger l'introduction (p. 13-119). À la présentation des plus anciens formulaires eucharistiques et de leurs modèles juifs et néotestamentaires, le Prof. Mazza a ajouté une étude des thèmes théologiques développés dans cette euchologie primitive (p. 89-119). Le recueil propose ensuite, en traduction italienne, des témoignages de la liturgie juive des repas et le texte des premiers formulaires eucharistiques et des plus anciennes anaphores, depuis la Didachè jusqu'aux antiques liturgies occidentales. Les éditeurs se sont assurés le concours de nombreux spécialistes pour la présentation et la traduction des textes. Cette excellente publication contribuera certainement à développer la formation liturgique dans les communautés chrétiennes de nos voisins de l'autre versant des Alpes.
Marcel METZGER
Il existe peu de commentaires en langue française du code de droit canonique de 1983, mis à part le "Dalloz" qui est épuisé depuis plusieurs années (et qui n'est pas stricto sensu un commentaire), la collection "Le nouveau droit ecclésial" qui paraît lentement aux éditions Tardy, et deux traductions de l'espagnol (codes annotés de l'université de Pampelune et de l'université de Salamanque). La sortie d'un Droit canonique aux Presses universitaires de France est donc un événement.
Ce n'est pourtant pas à un canoniste qu'on le doit, mais à un juriste : Alain Sériaux est professeur de droit à l'université d'Aix-Marseille. La plupart des canonistes francophones sont plutôt des théologiens de formation (à la différence de l'Espagne, de l'Italie ou de l'Allemagne, où le droit canonique est aussi enseigné dans les facultés de droit). On se réjouit donc qu'un juriste français ait pris le temps de s'y intéresser. Ensuite, on est curieux de découvrir ses commentaires, qu'on suppose différents de ce qu'on lit habituellement sous la plume des canonistes-théologiens.
Premier constat : la somme de travail présentée est impressionnante. Plus de 900 pages d'un texte serré (il faut de bons yeux pour lire certains caractères trop petits), d'innombrables notes, une bibliographie surabondante et internationale sur tous les points traités. Chaque chapitre est suivi d'un long additif, intitulé "Pour aller plus loin", qui indique l'état des discussions actuelles ou qui évoque des questions connexes. Le tout est parfaitement informé et clairement exposé.
Le plan adopté regroupe les différents livres du code dans une classification originale. Après une introduction générale (normes générales), deux grandes parties seulement : la première examine "l'organisation de l'Église catholique" (statut des fidèles, hiérarchie, réguliers) ; la seconde traite de "la réalisation de l'Église catholique" en trois titres : le droit des fins (enseignement, sanctification), le droit des biens (biens temporels), le droit des moyens (peines, procès).
Le code oriental de 1990 n'est traité que de façon secondaire, même s'il n'est jamais oublié. L'auteur s'en explique page 10 : le code de 1983 fixerait, selon lui, "le droit universel commun de l'Église catholique", alors que le code de 1990 promulguerait un droit "dérogatoire au droit latin". Cette présentation ne satisfera certainement pas les spécialistes du droit oriental, et ne correspond pas à la réalité : le code de 1983 ne se veut pas universel, mais seulement latin (can. 1), comme le rappelle d'ailleurs l'auteur lui-même dans le résumé historique des pages 46 à 54.
Le point de vue général du commentaire, ses présupposés théologiques, juridiques ou idéologiques, sont évidemment discutables : c'est le propre de tout commentaire personnel de proposer une présentation que ne partageront pas nécessairement tous les lecteurs. La comparaison entre droit canonique et droit étatique conduit à des considérations intéressantes. Si la méthode juridique leur est commune, souligne l'auteur, le droit canonique présente la particularité d'être souvent exhortatif et non coercitif, tout simplement parce que l'Église n'a plus les moyens de coercition dont elle disposait jadis. L'Église et son droit ne s'adressent plus aujourd'hui "qu'aux hommes et aux femmes de bonne volonté". On lira aussi avec intérêt les considérations sur les notions comparées de doctrine et de jurisprudence (p. 55), ou les nombreuses remarques de détail, par exemple l'observation que le droit canonique ne connaît pas le recours en révision en cas d'erreur judiciaire (p. 706).
Le droit canonique est défini comme un "domaine particulier du droit" (c'est le juriste qui parle) ; l'Église catholique est considérée comme une "société parfaite" (p. 1). À partir du bien commun de cette société particulière, "par emboîtements successifs", on parvient au bien commun ultime : Dieu. On le voit, la perspective d'Alain Sériaux paraît très traditionnelle, pour ne pas dire dépassée du point de vue théologique et ecclésiologique. Il conçoit la société globale comme partagée en deux ordres : l'ordre politique et l'ordre spirituel, le premier appartenant à l'État, le second à l'Église : "le droit canonique est donc le droit qui s'occupe de régler la société humaine dans sa dimension religieuse ; le droit civil est au contraire le droit qui oriente la société humaine dans sa dimension profane".
Ces considérations le conduisent à surévaluer la place et l'importance du droit canonique. Il n'existe sans doute plus guère de théologiens qui soutiendraient que le droit canonique a pour vocation de "régler la société humaine", ne serait-ce que dans sa dimension religieuse : nous ne sommes plus en régime de chrétienté ! On ose penser que l'auteur ne parle que des citoyens catholiques et non de toute la société, mais ce n'est pas précisé. De même, rares sont ceux qui souscriront à l'idée que "le droit canonique existe depuis que l'Église catholique existe : depuis les temps apostoliques", ou encore qu'"il entend gouverner les relations de l'homme avec cet autrui très particulier qu'est Dieu". Rien de moins !
Il est bien sûr impossible d'examiner ici l'ensemble des commentaires d'Alain Sériaux sur les canons du code. L'auteur reproduit la plupart du temps le texte même des canons, en français, en améliorant parfois la traduction lorsque cela paraît utile. Signalons cependant qu'il reste au moins une erreur que reproduisent toutes les traductions françaises parues à ce jour : le texte latin du can. 996 a été modifié en 1988 (AAS 80, 1988, p. 1819), et il faudrait tenir compte de cette correction dans la traduction. Mais c'est bien sûr un détail.
Prenons un ou deux exemples des commentaires de canons. À propos des fidèles du Christ (can. 204 à 206), l'auteur explique que "le baptisé est nécessairement membre de l'Église catholique" (c'est nous qui soulignons), tout en étant ou non, selon les cas, en pleine communion avec elle. Autrement dit, tout baptisé fait partie de l'Église catholique, même s'il n'est pas toujours dans cette Église. Voilà un cas typique où une théologie plus actuelle serait utile : l'Église catholique ne prétend plus, depuis Lumen gentium 8, se confondre avec l'Église tout court, et le baptisé peut être membre de l'Église sans être membre de l'Église catholique. Il est vrai qu'Alain Sériaux fait tout son commentaire (n° 40) de ces canons fondamentaux sans se référer une seule fois à Vatican II (qui en est pourtant la source directe), mais en citant exclusivement des auteurs appartenant tous à la même école (Mgr Escriva de Balaguer, P. Lombardía, A. del Portillo). Il y a là un véritable problème de méthode : peut-on légitimement commenter les trois premiers canons du De populo Dei sans citer le concile ? "Le code doit être toujours référé à l'image conciliaire de l'Église comme à son exemplaire primordial", écrivait Jean Paul II dans la constitution Sacrae disciplinae leges (constitution qui elle-même n'est jamais citée, à en croire l'index). On pourrait trouver de nombreux autres passages qui méritent ce reproche, par exemple celui consacré au can. 129 sur le pouvoir de gouvernement. Ne généralisons cependant pas : il arrive, bien sûr, que le concile soit utilisé et commenté. Trop peu. Il arrive souvent, à l'inverse, que l'auteur s'aventure dans des considérations théologiques personnelles, dont les fondements sont discutables.
Autre exemple, le droit pénal. L'auteur examine en détail, comme il se doit, le can. 1399 qui donne la possibilité à l'autorité ecclésiastique de punir même en l'absence de loi pénale, contrairement à la règle de la légalité des peines énoncée par le can. 221 § 3. Il connaît parfaitement les débats en cours : "l'Église, qui se place si volontiers du côté des droits de l'homme, serait-elle hypocrite, retirant d'une main ce qu'elle donne de l'autre ?", demande-t-il. Mais différents arguments lui permettent de conclure que non : "le can. 1399 constitue en lui-même une bonne règle qui, utilisée avec la prudence requise, assure au système répressif de l'Église la souplesse qui fait justement défaut aux droits laïques trop légalistes". Le principe de la légalité des peines (nulla pena sine lege) a été reçu par toutes les déclarations des droits de l'homme, mais l'Église aurait eu tort sur ce point de vouloir suivre leur "légalisme" (l'inventeur du principe, Beccaria, "s'est trompé"). Exit donc le can. 221. Pourtant, et A. Sériaux le signale, le code oriental, lui, a renoncé à l'équivalent du can. 1399.
Le mariage est décrit en utilisant des notions et un vocabulaire auxquels les canonistes ne sont plus habitués : "sujets actifs" et "sujets passifs du droit canonique" (les actifs étant ceux qui possèdent le pouvoir de gouvernement), "mesures incitatives au mariage" (on parle généralement de "préparation au mariage") et "mesures dissuasives" (l'enquête préalable), "volition" (pour "consentement"), etc. L'auteur ne s'étend guère sur le sujet (une page à peine pour le can. 1095), et certains de ses jugements sont pour le moins lapidaires : "en tant qu'alliance le mariage est un contrat et ne saurait être que cela" (p. 558) ; "certains auteurs ont pu noter un recentrement personnaliste de la terminologie des codes nouveaux sur le mariage : en réalité il ne s'agit là que d'un effet de l'imagination" (p. 559). Si ce n'est que de l'imagination, il faut croire que les canonistes en ont beaucoup, puisque la plupart d'entre eux ont discerné une tendance au personnalisme dans le nouveau droit matrimonial.
Malgré ces réserves, le Droit canonique d'Alain Sériaux est stimulant et riche. Nous ne partageons pas nombre de ses points de vue, mais, répétons-le, il présente au moins trois intérêts pour le canoniste : d'abord, c'est l'un des rares commentaires français du nouveau code, et cela seul suffirait à justifier qu'on le lise ; ensuite, il offre une vaste information internationale ; enfin, et c'est son intérêt principal, il apporte les réactions d'un juriste français face au droit canonique, même si ses présupposés idéologiques ne sont pas représentatifs de l'ensemble des juristes français (ce n'est sûrement pas son ambition de les représenter). Il faut féliciter et remercier l'auteur d'avoir eu le courage d'entreprendre et de mener à bien, seul, un travail d'une telle ampleur. Il apporte sa pierre au débat, aux autres d'apporter la leur.Jean WERCKMEISTER
Le problème financier, nulle Église ne peut l'esquiver ; la vie matérielle des ministres et le fonctionnement de certaines de ses institutions en dépend. Qu'elle le veuille ou non, toute Église est obligée de s'y intéresser. La manière de le résoudre n'est pas aisée : elle présente mainte difficulté. D'où la variété des solutions adoptées pour y parvenir. Les deux solutions extrêmes sont la liberté, réduite à une simple obligation morale, laissée aux membres de participer au financement de leur Église, ou la manière forte imposant aux membres une obligation stricte sous peine d'exclusion ; entre les deux solutions extrêmes, on trouve des solutions plus nuancées. Il va de soi que les deux solutions extrêmes posent problème à l'heure actuelle, surtout celle qui lie le maintien des membres dans l'Église à l'acquittement de la contribution financière qui leur est réclamée par l'Église. La solution de la libre participation au financement de l'Église pose, elle aussi, problème à une époque où le nombre des pratiquants devient de plus en plus faible et que le financement de l'Église dépend essentiellement des dons des participants aux offices : l'Église risque de ne plus être en mesure de s'acquitter de ses besoins les plus urgents.
C'est à mettre en lumière les inconvénients et les avantages que comportent les deux solutions extrêmes de financement que s'est intéressé Rainer Siegel. Il l'a fait d'une manière très concrète en décrivant en détail, à l'aide d'un exemple précis, l'une et l'autre solution extrême de financement. Il laisse au lecteur le soin de se faire un jugement sur la solution la plus ou la moins adéquate : en fait, ni l'autre ni l'autre n'est satisfaisante.
Les deux pays choisis sont la France, où l'auteur a séjourné deux semestres, et l'Autriche, qui est son propre pays. En Autriche, c'est une Convention sur les biens du 20 juillet 1960 qui règle, en dernier lieu, les détails du financement des Églises. L'auteur donne un aperçu complet sur les différents ressources dont dispose l'Église catholique : il signale d'abord la participation de l'État pour subvenir aux frais de l'instruction religieuse dans les écoles, des Facultés de théologie, de l'aumônerie militaire, de l'aumônerie des hôpitaux. Mais le point le plus important est le financement des besoins directs de l'Église, que celle-ci doit assurer elle-même en faisant entrer les contributions auxquelles sont tenus tous les catholiques majeurs. Cette contribution, qui porte le nom de Kirchenbeitrag (contribution d'Église), peut être assimiléé à une sorte de Kirchensteuer (impôt d'Église), dénomination qu'elle porte en Allemagne. Cette contribution est obligatoire ; en cas de non payement, l'Église peut recourir à la force publique de l'État pour en obtenir le recouvrement. Pour s'y soustraire, le fidèle doit déclarer sa sortie de l'Église.
La seconde partie du travail traite du financement des Églises (catholique et protestantes) en France, qui vit sous le régime de la séparation et où les Églises doivent assurer elles-mêmes leur financement (à part les trois départements de l'Est correspondant aux diocèses de Strasbourg et de Metz où le régime concordataire est encore en vigueur, que l'auteur ne manque pas de mentionner et de décrire). Le lecteur trouve un exposé détaillé de la manière dont l'Église catholique et les Églises protestantes parviennent à subvenir à leurs besoins en comptant uniquement sur la bonne volonté des fidèles. Dans l'Église catholique, les sources de revenus sont le denier du culte, les offrandes de messe, les offrandes pour les célébrations, les quêtes. Les résultats ne sont pas encourageants ; l'auteur fait même des suggestions aux intéressés pour une meilleure mise en uvre du denier du culte (p. 152-154) ! Bref, nous devons à Rainer Siegel une étude fort utile pour qui s'intéresse au financement des Églises dans les différents pays, car en passant l'auteur donne des indications sur les pays où se pratiquent le système de l'impôt proprement dit (Allemagne, Suisse, Suède), un système mixte qui comporte la participation obligatoire des fidèles à une uvre dont le choix est laissé aux intéressés : l'Église, une uvre de bienfaisance ou culturelle (Italie et Espagne) et un système de participation libre mais plus strict que celui de la France (USA, Irlande).René Metz
Eva M. Synek, OIKOS. Zum Ehe- und Familienrecht der Apostolischen Konstitutionen, coll. Kirche und Recht 22, Wien 1999, XVI et 334 p.
Après avoir publié une première étude sur la présentation de la Loi chrétienne dans les premiers règlements ecclésiastiques (Dieses Gesetz ist gut, heilig, es zwingt nicht…, voir RDC 47/2, 1997, p. 431), Mme Eva M. Synek a poursuivi ses recherches dans cette même littérature, pour étudier toutes les questions concernant la famille, la situation des femmes, la morale sexuelle, le mariage, le célibat, etc. Elle prolonge ainsi les études publiées par MM. René Metz et Charles Munier sur la famille la situation des femmes dans les Églises. L’étude est menée dans la perspective très ouverte qu’offre, par sa situation culturelle et sa tradition, l’Institut für Kirchenrecht de l’Université de Vienne (Autriche), car l’A. prend en considération les apports des historiens des droits biblique et romain, des canonistes byzantins et des spécialistes des sociétés antiques. Après une présentation du document, avec un status quaestionis, elle procède à un examen systématique de toutes les sections des Constitutions apostoliques abordant le droit matrimonial et familial, en les replaçant dans leur contexte historique (ive siècle) et géographique (la région d’Antioche en Syrie). Son étude se situe dans la perspective des « Gender Studies » (p. 81) et renouvelle avec bonheur l’approche des questions familiales et des traditions juridiques et canoniques concernant la vie chrétienne, en particulier telle que celle-ci pouvait être menée par les femmes, dans les différents états de vie, mariage, famille, virginité et veuvage. L’A. procède à un examen systématique des sources historiques disponibles pour éclairer les règlements des Constitutions apostoliques, jusqu’à Libanios et Jean Chrysostome. Elle présente les conditions de vie de l’époque, selon les couches sociales, et les situations familiales, selon la diversité des modèles sociaux et de la composition des familles, qui pouvaient former elles-mêmes de petites sociétés, intégrant tous ceux qui logaient sous un même toit, dont les esclaves. Autre apport particulièrement intéressant pour éclairer certains débats actuels, l’accès des femmes à des charges et des fonctions publiques et religieuses dans les sociétés et les Églises de l’époque a fait l’objet de recherches comparatives très poussées. L’A., qui connaît très bien les traditions des Églises byzantines, fournit également, dans le texte et surtout dans les notes, de nombreuses informations qui peuvent contribuer à la promotion de l’œcuménisme dans le domaine du droit canonique. Par l’originalité, la richesse et la précision de ses nombreux apports, cette étude de Mme Synek enrichit de façon notable la connaissance et la pratique du droit tant antique qu’actuel.
Marcel Metzger
L'ouvrage n'est pas épais, moins de 150 p., mais il est dense. Non seulement par sa typographie, ses 360 notes en bas de page et ses indications bibliographiques, mais surtout par son contenu. Madame Synek, Directrice de recherches (Institut für Kirchenrecht, Université de Vienne), examine les anciens règlements ecclésiastiques à la lumière des traditions bibliques et ouvre, par cet éclairage, de nouvelles pistes pour leur interprétation. Elle a mené son étude à partir des Constitutions apostoliques, compilation qu'elle présente dans son premier chapitre et dont elle extrait le titre de son livre : "Cette Loi est bonne, sainte, elle ne contraint pas " (VI, 20, 2, propos repris à la Didascalie ). Un tel éloge rappelle à quel point la piété d'Israël trouvait dans la Loi les raisons de son action de grâces et l'expression de la relation aimante et liturgique du Peuple à son Dieu.
Cette théologie et cette spiritualité de la Loi allaient-elles disparaître subitement et définitivement de l'horizon du nouveau Peuple de Dieu ? Que cet éloge ait été repris d'un règlement ecclésiastique à l'autre, jusqu'à la fin du IVe siècle, manifeste évidemment que cette tradition, loin de s'être perdue, s'est, au contraire, maintenue et développée. C'est là que réside l'intérêt majeur de ce livre : l'A. a mis en évidence la continuité de cette tradition théologique, depuis l'AT jusqu'à l'époque patristique, et attiré l'attention sur la transformation christologique et ecclésiale de cette réalité fondamentale de l'Alliance, la Loi de Dieu, devenue Évangile et dont la communication est le lieu du salut. Cette continuité a été assurée par la didascalie, qui est l'actualisation de la Loi dans le cadre des synaxes chrétiennes (p. 77-78, voir n. 297). Sous cet aspect également, l'étude de Mme Synek ouvre de nouvelle perspectives, en mettant en évidence, dans les règlements ecclésiastiques, cette pratique de la didascalie, qui est comme un Talmud chrétien, un commentaire de la Loi.
Parmi les multiples apports de cette étude, on signalera ici plus particulièrement ceux qui concernent les Constitutions apostoliques et la compréhension chrétienne de la Loi. Mme Synek a procédé à une analyse systématique du vocabulaire législatif des Constitutions apostoliques, ce qui lui a permis d'apporter d'utiles précisions pour la compréhension des mots Nomos (correspondant à Torah), desmoi, kanon, et bien d'autres encore. De cet examen minutieux, elle a pu dégager la théologie de la Loi mise en uvre dans la tradition des règlements ecclésiastiques. Guidée par cette compréhension globale, elle a pu apporter quelques corrections et améliorations à la traduction que j'avais publiée dans la collection Sources chrétiennes 320, 329 et 336. À la p. 38 je ferai cependant une réserve sur l'interprétation des parallèles entre les listes sacerdotales de l'Ancien Testament et celles des Constitutions apostoliques. En effet, on ne peut conclure que le compilateur ramène tous les ministères chrétiens à des prototypes de l'Ancien Testament. Un telle entreprise était matériellement impossible, puisque les ministères dans les Églises sont plus nombreux et variés que ceux du Temple de Jérusalem. De fait, le compilateur a regroupé l'ensemble des services, à partir du diacre, pour les comparer globalement aux lévites. D'ailleurs, il n'y a qu'un seul endroit des Constitutions apostoliques où la comparaison soit poussée aussi loin, à savoir en II, 26, 3, à propos de la répartition des offrandes, mais le compilateur n'exploite la comparaison que sous cet aspect limité.
Quant à la compréhension chrétienne de la Loi, l'A. a pu reconstituer celle mise en uvre dans les recueils de règlements ecclésiastiques. Il s'agit d'une tradition remontant au Christ et aux Apôtres et qui a conduit les Églises des quatre premiers siècles à reconnaître la Loi comme une expression de Dieu, révélée dans sa plénitude par l'Incarnation. Toutes les lois sont ainsi rapportées à Dieu et à son législateur, le Christ, non seulement la Torah, la nouvelle Loi du christianisme et la loi naturelle, mais aussi le droit romain (p. 63). Poursuivant l'examen des continuités entre la littérature biblique et les traditions chrétiennes antiques, l'A. met en évidence la permanence des formes d'expression de type législatif, en particulier le genre narratif (p. 81), et reconsidère, dans ce contexte, le genre littéraire des règlements ecclésiastiques (p. 12-20, 77-84).
Ce petit volume est l'heureux résultat de la féconde interdisciplinarité pratiquée par son auteur, qui a su mettre à profit les méthodes et les acquis de l'exégèse biblique, du droit civil, du droit canonique, de la patristique et de l'histoire du droit et des institutions. Cette étude a été menée avec une grande rigueur et une vaste compétence, comme en témoigne l'importante bibliographie, en particulier celle insérée dans les notes. Elle constitue un apport précieux pour l'étude et le renouveau du droit canonique. En effet, si pendant trop de siècles, en Occident, on a majoré la dépendance du droit de l'Église par rapport aux codifications civiles, comme en témoigne le plan du code de 1917, l'étude de Mme Synek invite à retrouver l'origine biblique de la législation ecclésiastique, la Torah revue par le Christ, le législateur divin fait homme, la nouvelle Loi reçue et transmise par les apôtres.Marcel METZGER
Le titre est difficile à traduire en français, car le terme principal, Träger, porteur, support, est employé ici dans un sens figuré, comme dans Amtsträger, agent, ministre. Je propose donc une interprétation : « Qui est acteur dans la liturgie ? » L’A. livre dans cette publication les résultats d’une thèse de théologie présentée à Trèves sous le titre Actio Christi et Ecclesiae. L’instruction romaine Ecclesiae de mysterio (13 novembre 1997) sur la participation de laïcs aux ministères liturgiques et l’émotion qu’elle a suscitée l’avaient provoqué à examiner comment la liturgie et plus particulièrement ses intervenants et participants sont pris en compte dans le code de 1983. Pour répondre à la question posée par son titre, l’A. expose d’abord l’enseignement du concile Vatican II, qui a reconnu la liturgie comme l’œuvre que le Christ accomplit par son Église, dans le dynamisme de l’Esprit Saint. Dans l’Église, tous les chrétiens sont acteurs de la liturgie, selon les ministères et les fonctions, évêques, prêtres, diacres et laïcs. L’A. a vérifié dans quelle mesure cet enseignement a guidé la rédaction du code de 1983. Il a examiné les sections concernant le droit liturgique, les ministères des évêques, des prêtres et des diacres, la participation des laïcs, et, évidemment, tous les canons relatifs aux sacrements et aux autres célébrations. Son étude abonde aussi en observations pertinentes sur des points particuliers, comme la critique du vocabulaire de la consecratio pour les évêques (p. 98) et de l’expression conficere eucharistiam (p. 274), au détriment du vocabulaire de la présidence (adopté cependant dans le Catéchisme,§ 1411). Au passage, l’A. suggère des améliorations, tant pour la formulation du droit que pour les célébrations. Il plaide ainsi pour le remplacement des formules déclaratives (« Je te baptise », etc.) par la forme déprécative (p. 65).
Au terme d’une analyse systématique et rigoureuse, l’A. constate, certes, de nets progrès par rapport au code de 1917, mais sa conclusion reste réservée : le code de 1983 n’a pas pleinement intégré les apports du concile Vatican II sur la liturgie ; par conséquent, le droit canonique devrait être soumis à une réforme permanente (p. 352). Lorsqu’on rapproche ce constat de celui qu’établissait Dietmar Schon au terme d’une étude analogue du CCEO (voir RDC53/2, Bulletin de droit canonique oriental, p. 25), et concernant la prise en compte des traditions de chaque Église orientale, on observe, une fois de plus dans l’histoire des Églises, que les décisions des conciles ne sont mises en application que partiellement par les instances administratives.
En annexe, je relève que l’A. a butté, lui aussi, sur les limites du vocabulaire ministériel dans les langues modernes et qu’il a adopté des conventions semblables aux miennes dans ma traduction des Constitutions apostoliques (voir Sources chrétiennes 329, p. 47, n. 2). En effet, il réserve le mot Priester à la traduction du latin sacerdos, qui inclut les deux degrés du ministère sacerdotal, évêques et prêtres, et transcrit le latin presbyter pour désigner les ministres du second degré (p. 5, n. 15).Marcel Metzger
Matthieu Smyth,La Liturgie oubliée. La prière eucharistique en Gaule antique et dans l’Occident non romain, Paris, Éditions du Cerf, 2003, collection Patrimoines, christianisme, 665 p. ISBN 2-204-06943-4. ISSN 0763-8647.
Comme jadis le roi Antiochus Épiphane, qui pour unifier son royaume imposa aux populations locales d’abandonner leurs coutumes (vers 167 avant JC, voir 1 M 1,42), Charlemagne entreprit d’éliminer les traditions locales, dans le même but, en imposant les livres liturgiques romains dans tout son empire. C’est ainsi que disparurent les antiques liturgies des Gaules. Leur souvenir n’a survécu que dans des bibliothèques, à l’état de maigres ruines, éveillant de temps à autre l’attention des historiens et des chercheurs. Avec courage et détermination, Matthieu Smyth s’est livré à une vaste entreprise de repérage et d’identification, pour recueillir, à partir de la documentation disponible, les traces de ces traditions liturgiques antérieures à la réforme carolingienne. À la manière des archéologues, il a rassemblé l’immense puzzle des pièces rescapées. Il s’est mis en quête de tous les vestiges, remplois et traces des documents recherchés, jusqu’à examiner les moindres indices. Il a identifié, classé, étiqueté, pour ouvrir la voie aux essais de reconstitution. Cet important travail a d’abord donné lieu à une soutenance de thèse dans notre Université et a valu à l’A. la plus haute mention. Il a été repris pour l’essentiel dans le volume qui vient d’être publié. De ce fait, pour l’étude des anciennes traditions chrétiennes des Gaules, l’A. offre à présent aux historiens des liturgies et des institutions de la Gaule antique un vaste répertoire des sources disponibles et un inventaire raisonné de ces documents. Ce trésor forme la première partie du volume. Il y a là matière pour de nombreuses pistes de recherches. Matthieu Smyth n’en a exploré qu’une, qui suffisait amplement à la besogne, c’est la plus importante, celle de la liturgie eucharistique. Il expose les résultats de cette enquête dans la seconde partie de son volume, procurant ainsi un brillant essai de reconstitution, comme l’annonce le sous-titre. Ces études sont d’un très grand intérêt pour l’histoire de la liturgie. En effet, elles permettent d’approcher plus aisément les anciennes traditions occidentales, laissant soupçonner la féconde créativité des anciennes Églises locales, et elles mettent au jour les réseaux d’influence de l’époque. En annexe, l’A. produit une importante bibliographie, un glossaire et un index des sources et des manuscrits. En postface, le Pr. Dels Sants Gros I Pujol (Barcelone) signale encore un intérêt supplémentaire de cette publication : celui d’avoir mis en lumière la richesse théologique de l’ancienne euchologie gallicane, si souvent méprisée des liturgistes, à la suite de la vague d’ultramontanisme du 19e siècle.
Marcel Metzger [M. Marcel Metzger, a été le directeur de la thèse à l’origine du livre présenté ici ; il en est aussi le préfacier]