Dictionnaire encyclopédique du Moyen Âge (DEMA), sous la dir. d’André Vauchez, avec la collaboration de Catherine Vincent, Paris, Les éd. du Cerf, 1997, 2 vol., 1692 p. [isbn 2204057908 ; 288 €].

Il s’agit de deux magnifiques volumes grand format, illustrés de nombreuses reproductions en noir et blanc et de plusieurs planches en couleurs, fruits de la collaboration de près de six cents spécialistes qui ont rédigé quelque trois mille deux cents articles. Centré principalement sur la chrétienté, c’est-à-dire l’Europe et le Proche-Orient, ce dictionnaire n’en reste pas moins ouvert à des pays plus lointains (l’Éthiopie ou la Mongolie par exemple) et bien sûr aux peuples non chrétiens, juifs et musul­mans en particulier.

Les articles consacrés au droit ou aux institutions sont nom­breux : d’anathème à vox populi, d’Antoine de Butrio à Yves de Chartres en passant par Huguccio, sans compter les nombreux con­ciles ou papes auxquels sont consacrés des notices, le cano­niste trouvera largement de quoi nourrir son information et sa culture.

On pourra regretter que l’un ou l’autre article ne soit pas très au point. Ainsi, l’article Droit canonique présente plusieurs erreurs et n’est malheureusement accompagné que d’une biblio­graphie symbolique ; le Décret de Gratien y est présenté à tort comme loi officielle de l’Église ; Alexandre III y est confondu avec le magister Rolandus, décrétiste (alors que l’article Alexandre III met en garde contre cette confusion). On note aussi quelques oublis, tel Balsa­mon, important canoniste byzantin du xiie siècle. Mais la plupart des articles, dus à des plumes très sûres comme celle de M. Jean Gaudemet (Décret de Gratien, Décrétales, Décrétistes, Décrétalistes, Fausses Décrétales, Yves de Chartres, etc.), présentent toutes garanties quant à leur sérieux et à leur information parfaitement à jour. M. André Vauchez, maître d’œuvre de l’ensemble, a su généralement trouver les collaborateurs les plus compétents.

Ce Dictionnaire, qui se veut relativement modeste en compa­raison des entreprises anglo-saxones (Dictionnary of the Middle Ages) ou allemandes (Lexikon des Mittelalters), rendra de grands services justement par sa taille et son prix plus abordables, qui le rendent (presque) accessible aux parti­culiers. On apprécie tout particu­liè­rement les excellents index raisonné et alphabétique qui terminent l’ouvrage et qui en facilitent grandement l’accès.

Jean Werckmeister

 

Jacques VERNAY, Le Droit dans l'Église catholique. Initiation au droit canonique, Paris, Desclée de Brouwer, 1995, 225 p.

Cette "initiation" est originale par sa présentation sous forme de dialogue entre un spécialiste (l'auteur) et un chrétien très ignorant des réalités canoniques, mais qui pose de bonnes questions. On se laisse prendre au jeu, au point qu'on se demande parfois si ce dialogue est purement fictif ou s'il a réellement eu lieu. Il y a sans doute des deux. Le style est alerte et accessible à tout un chacun. Il n'y a pas trop de notes de bas de page (celles qui existent sont bien choisies), peu de bibliographie. Il s'agit bien d'une entrée en matière destinée au grand public.
Il n'est pas facile de faire œuvre de vulgarisation. Cela suppose des idées claires sur des sujets que bien des auteurs préfèrent savamment compliquer. Ainsi du rapport entre droit et théologie. J. Vernay, qui a la double expérience de l'enseignement et de la pratique du droit canonique (il est official régional de Lyon) est parfaitement compétent pour éviter les pièges de l'exercice.
Il n'était pas possible de tout traiter dans un si petit volume. Certains sujets importants ne sont pas abordés, tel l'œcuménisme (l'auteur s'en explique brièvement en conclusion). Pour d'autres, des aperçus historiques éclairent la situation actuelle (par exemple sur la nomination des évêques).
Si l'on cherche attentivement, on trouvera bien l'un ou l'autre petit reproche à formuler. Par exemple, la définition donnée du droit canonique ("C'est le droit de l'Église catholique") paraît trop restrictive : les Églises anglicanes ou orthodoxes ont aussi un droit canonique. Mieux vaudrait parler de "droit interne des Églises chrétiennes". Les Décrétales de Grégoire IX ne furent pas la seule collection officielle avant la codification (p. 23) : il faudrait citer aussi, par exemple, les Clémentines en 1317. À Strasbourg, les deux facultés de théologie ne sont pas des facultés d'État "en vertu du concordat" (p. 212), qui n'en souffle mot. La faculté de théologie protestante a été fondée en 1538, la catholique en 1902 sous le régime allemand (elle prenait la suite d'un collège universitaire fondé en 1617 par les jésuites).
Ce ne sont là que détails. Le livre est très bien conçu, et rendra service aux étudiants en théologie, souvent peu "initiés" au droit, à ceux en droit canonique qui y trouveront une utile synthèse, ainsi qu'aux personnes soucieuses de se cultiver en matière religieuse. On aurait aimé un index des sujets traités, mais la table des matières est assez détaillée et permet de retrouver l'essentiel.

Jean WERCKMEISTER

Evangelista VILANOVA, Histoire des théologies chrétiennes, 3 vol. (trad. de l'espagnol), Paris, Éd. du Cerf, 1997, 1160 p.

On ne peut aborder sans un a priori respectueux une telle "somme", quand on sait de plus qu'elle est le fruit de toute une vie d'enseignement. L'auteur, bénédictin de Montserrat, a enseigné la théologie et son histoire à la Faculté de théologie de Catalogne (Barcelone) pendant un quart de siècle, et ce depuis sa fondation en 1968. Il a su reconnaître les limites de sa science en s'entourant de quelques collaborateurs dont les contributions sont très clairement définies au début de chaque volume. Comme le souligne J. Doré dans sa préface au premier volume, un tel ouvrage faisait défaut en langue française, si l'on considère qu'il est question ici non de l'élaboration de la doctrine ou du dogme, mais bien des théologies dans leurs développements historiques et dans la diversité des contextes culturels et institutionnels. Des théologies qui révèlent l'infinie diversité du "penser" chrétien, tout en composant comme un terreau nourricier qui offrira aux communautés chrétiennes et à leurs institutions la matière de leurs choix. Nous sommes donc ici en amont d'une classique histoire des dogmes, plongés dans le foisonnement étonnant de deux millénaires de réflexion théologique, où l'on peut voir ici ou là émerger ce qui va s'imposer comme doctrine reconnue, selon les aléas des querelles ou les nécessités du moment. De plus, c'est la démarche théologique elle-même qu'éclaire la mise en évidence de ses genèses et de ses mécanismes intellectuels. Travail considérable qui manifeste que la raison n'est pas le seul moteur de cette prodigieuse machinerie, mais bien aussi la spiritualité, le vécu communautaire, les contextes sociaux, historiques et institutionnels.
On trouvera par ailleurs dans cet ouvrage d'admirables synthèses sur d'autres discours religieux qui sont pour la théologie chrétienne comme autant de "marges", au sens où une réalité autre mais limitrophe exerce une évidente influence - nous pensons par exemple au chapitre III de la cinquième partie du premier volume : "Genèse et développement des idées théologiques et philosophiques dans l'islam et le judaïsme". Peut-on en effet concevoir la théologie chrétienne médiévale non seulement hors de ses liens avec les théologies juive et musulmane, mais encore sans considérer ces dernières en elles-mêmes, dans leur spécificité ? Parmi de nombreux autres exemples de cette importance des contextes culturels, on peut évoquer la première partie du deuxième volume : "Préréforme et humanisme" avec notamment une remarquable présentation de l'humanisme italien. Si le plan d'ensemble est bien sûr chronologique, ses subdivisions souvent thématiques facilitent la consultation grâce à une table des matières particulièrement précise et à un index onomastique des plus riches.
À quel type de lecture un tel ouvrage se prête-t-il ? D'abord à un usage encyclopédique. Mais on peut aussi envisager un parcours linéaire, qui reste, en théorie du moins, l'approche la plus cohérente avec le projet de l'auteur, celui-ci cherchant à écrire, au-delà de l'enchaînement des époques et des écoles, une vaste histoire de cette galaxie que constituent "les théologies chrétiennes" . Faisons fonctionner la métaphore : si chaque astre peut être étudié isolément, il reste que son existence et son histoire propre sont de fait liées à celles de l'ensemble. Seule une telle lecture, presque "romanesque", peut permettre de saisir les résonances, les effets-retours, les ruptures, les coups de force. Elle sera toutefois et nécessairement le privilège de lecteurs motivés et disposant du temps indispensable à une telle immersion. Il nous faut alors revenir à cet usage qualifié plus haut d'encyclopédique, qui fait de cet ouvrage un manuel d'une très grande richesse. Sa densité et l'importance de son objet imposent des limites inévitables. Si le lecteur même érudit apprendra beaucoup sur des auteurs peu connus, il est évident qu'un tel parcours ne peut prétendre apporter plus qu'une synthèse (forcément frustrante) sur des "monuments" comme Tertullien, Augustin ou Thomas d'Aquin ! Mais là est sa raison d'être : situer chacun dans le flux théologique de son temps, en rappelant toujours que la foi pensée par le théologien est dans le même temps une foi vécue par le croyant, dans des communautés structurées par des institutions. La fides quaerens intellectum est sans cesse replacée dans la réalité humaine, culturelle et ecclésiale qui la suscite et la nourrit. Autre qualité majeure : la richesse conceptuelle de ce survol de vingt siècles de théologies chrétiennes. Cela semble aller de soi, compte tenu de l'objectif affiché par l'auteur. Pourtant, le risque était réel de ne rester que trop souvent dans l'ordre événementiel et biographique. Cet écueil, qui aurait consisté à ne rédiger de fait qu'une "histoire des théologiens", a été magistralement évité, et si les éléments historiques et biographiques viennent éclairer avec justesse la genèse d'une pensée, les grands enjeux comme les plus subtiles distinctions sont clairement exposés, autant que le permet la forme nécessairement concise du propos, qui n'enlève rien à sa précision.
De plus, et c'est là aussi que réside l'un des intérêts de cet ouvrage, le père Vilanova et ses collaborateurs accordent la place qui leur revient aux questions méthodologiques (aussi importantes bien sûr que les objets traités) et aux présupposés herméneutiques, avoués ou non, des différentes démarches exposées. Il reste une limite inhérente à un projet d'une telle envergure, à savoir le caractère partiel de l'une ou l'autre synthèse. Parce qu'il nous est contemporain (et problématique), nous pouvons nous arrêter à l'exemple de la psychanalyse. L'auteur résume les thèses freudiennes en insistant sur l'analyse que fait Freud de la croyance religieuse, conçue comme "paranoïa ou comme névrose collective". Mais il ne fait qu'évoquer en passant ce qui constitue pourtant un apport majeur sur le plan anthropologique, à savoir le concept d'Inconscient. Les seuls ouvrages cités de Freud sont d'ailleurs Totem et tabou, Avenir d'une illusion, Malaise dans la civilisation et Moïse et le monothéisme, qui ne sont certainement pas les textes fondateurs de la psychanalyse.. On s'attendrait dès lors à trouver plus loin, à propos des "disciples" et commentateurs de Freud, un complément nécessaire. Pourtant, le passage suivant, consacré au structuralisme, laisse un sentiment de dramatique "incomplétude" : les dix lignes concédées à J. Lacan ne disent rien de l'apport théorique incontestable de la psychanalyse à la réflexion théologique, à travers notamment les notions de loi, de parole, d'écriture, de paternité symbolique… Il est vrai que, dans une démarche historique, l'éloignement dans le temps est nécessaire à une vision plus ample et une analyse plus complète. Nous traitons là de mouvements de pensée peut-être trop récents pour que les influences en soient déjà aisément et sereinement définies. Ces limites ne sauraient diminuer le mérite d'un ouvrage magistral enfin disponible en français : donner des réponses claires à des questions précises, tout en suggérant toujours l'infinie diversité de la réflexion théologique, diversité tant diachronique que synchronique. Les 1160 pages de cet ouvrage ne cessent ainsi de justifier le pluriel heureusement choisi dans le titre : c'est bien à la découverte d'une histoire "des théologies" que nous convie E. Vilanova.

Jacques JOUBERT

Maria VISMARA MISSIROLI (dir.), Codice dei beni culturali d'interesse religioso. I. Normativa canonica. Presentazione di Giovanni Berberini. Milano, Giuffrè, 1992, 12 19, XVI-441 p. Fonti di diritto ecclesiastico e canonico raccolte da G. Feliciani).

L'Église s'est toujours intéressée aux biens culturels d'intérêt religieux qui relèvent de son patrimoine. Elle s'en estime responsable et en conséquence prend des mesures non seulement pour en assurer la protection, mais aussi pour en favoriser le développement dans le sens artistique. Elle trouve dans de nombreux États et surtout dans la société internationale et européenne un bon partenaire ; elle se fait un devoir de s'associer aux efforts faits dans ce sens par les autorités de la société civile. Il faut bien dire que c'est surtout après la Deuxième Guerre mondiale (1939-1945) que l'Église et les États ont apporté une attention spéciale aux biens culturels, mobiliers et immobiliers, et qu'ils ont multiplié les avertissements et ont intensifié les mesures concrètes pour leur protection et leur sauvegarde.
Madame M. Vismara Missiroli, à qui nous devons déjà plusieurs travaux (cf. RDC, t. 35, 1985, p. 86-87 ; t. 41, 1991, p. 102), met à la disposition du lecteur toutes les déclarations émises par les autorités romaines à ce sujet durant pratiquement tout le XXe siècle, exactement de 1917 à 1993 ; elle y ajoute les conventions de l'Unesco et du Conseil de l'Europe relatives au même problème, auxquelles le Saint-Siège a adhéré. Finalement, elle montre ce que l'Église d'un pays, en l'occurrence l'Italie, a fait en ce domaine. C'est un véritable Code des dispositions prises en faveur des biens culturels d'intérêt religieux. Les documents sont classés dans l'ordre chronologique selon les autorités dont elles émanent : Église universelle (Code de 1917, Pie XII, Vatican II, Paul VI, Jean-Paul II, Code latin de 1983, Code oriental de 1990, Catéchisme de l'Église catholique). - Conventions internationales de l'Unesco, conventions du Conseil de l'Europe. - Autorités ecclésiastiques italiennes (conférences épiscopales, synodes diocésains pré-conciliaires et post-conciliaires). Bref, une vaste documentation qu'il eût été difficile à un particulier de rassembler. Le professeur G. Feliciani, de l'Université catholique de Milan, dirige la collection.

René Metz

M. WALSER, Die Rechtshandlung im kanonischen Recht. Ihre Gültigkeit und Ungültigkeit gemäss dem Codex Iuris Canonici, Cuvillier Verlag, Göttingen, 1994, XLVII-268 p. [ISBN 3-930340-53-4].

Cette dissertation de la Faculté de théologie catholique de l'Université Ludwig Maximilian de Munich examine le Code de droit canonique actuel et surtout le Titre nouveau sur "Les actes juridiques" (can. 124-128) et le can. 119 sur les actes collégiaux. La première partie, importante du point de vue conceptuel, contient une recherche sur la signification juridique des concepts d'"acte juridique", de "validité" et de "nullité" et leurs équivalents. L'acte juridique est défini comme "le faire ou l'omettre d'un sujet de droit, qui produit en rapport avec un vouloir concret un effet juridique". La tradition canonique, avec son attention à la volonté plus qu'à l'ordre juridique, est ainsi maintenue. Un acte juridique est valide quand il produit les effets juridiques qui lui sont propres. Autrement, il est invalide ou nul. Un acte contraire au droit peut être pourtant valide. Le droit canonique est assez hostile à la nullité des actes juridiques (can. 10). Pour cette raison, une analyse du concept de légitimité, comme distinct de celui de validité, aurait été utile : nul et illégitime ne sont pas identiques en droit canonique (p. 6-7 ; 22 et 30-31). La différenciation entre actes nuls et inexistants ne trouve pas de soutien dans le Code actuel. La deuxième partie a pour objet l'acte juridique valide. Le can. 124 en contient les éléments : l'habilité de la personne physique ou juridique, soit absolue (appartenance à l'Église, usage de la raison), soit relative (autres facteurs) ; les éléments essentiels (acte humain, le vouloir d'une affaire) ; les formalités juridiques, qui n'appartiennent pas à l'être essentiel de l'acte juridique ; et enfin les exigences juridiques (droits de coopération des supérieurs, dont l'effet juridique de leur absence n'est pas généralement réglé dans le Code, ou de participation). Intéressantes sont les considérations sur le rapport entre le droit d'être entendu par un supérieur et la validité de l'acte administratif de celui-ci et sur le droit d'être entendu des intéressés. La troisième partie explore l'acte juridique invalide pour des défauts dans le vouloir et le connaître. L'auteur traite aussi des défauts dans les actes collégiaux, non prévus par le Code. Sont traitées ensuite les conséquences des actes invalides, soit les moyens pour obtenir la reconnaissance de leur inefficacité, soit les sanctions, soit le dédommagement. En général, l'auteur apprécie le nouveau Code pour ses quelques nouveautés (surtout can. 124 et 128), bien qu'il regrette sur quelques points un manque de clarté linguistique. Son livre mérite un jugement positif : il témoigne d'une bonne connaissance de la littérature scientifique (pas seulement en langue allemande), de la tradition canonique et de quelques problèmes spécifiques. Il divise bien les analyses et discussions entre le texte et les notes. C'est une contribution complète et valable sur un terrain bien important, mais étudié par beaucoup de canonistes seulement par morceaux, par exemple dans le droit matrimonial, sacramentel ou pénal.

R. G. W. HUYSMANS

YVES DE CHARTRES, Prologue. Texte latin, traduction française, introduction et notes par Jean WERCKMEISTER, Paris, Éd. du Cerf, coll. "Sources canoniques", n° 1, 1997, 159 p., préface de Jean Gaudemet.

La Revue de droit canonique se doit, à un double titre, d'annoncer et de saluer la publication de ce livre. D'abord, parce que son auteur est le directeur de notre revue. Ensuite, parce que sa parution ouvre une nouvelle collection dont le titre indique clairement l'objet : "Sources canoniques". Heureuse initiative, car elle vise à mettre des documents canoniques anciens à la disposition d'un public élargi, qui n'a pas eu la chance de découvrir les charmes de la langue latine sur les bancs de l'école. Quant à présenter l'ouvrage, l'éditeur a facilité la tâche du recenseur. Il suffit, en effet, de s'inspirer de la préface, de l'introduction et de la dernière page de couverture, où tout est si bien dit, et en peu de mots, sur l'ouvrage, son auteur et son Sitz im Leben. Yves a été évêque de Chartres de 1090 à 1115. Il a rédigé son Prologue vers 1095, pour initier au bon usage du droit canonique (Jean Gaudemet, p. 8). À ce titre, ce petit manuel garde toute son actualité et cette édition avec traduction devrait lui assurer une nouvelle diffusion, pour inspirer pasteurs et canonistes de notre temps, car les principes qu'il expose sont particulièrement adaptés aux périodes de mutations : les réformateurs grégoriens "avaient besoin de modifier des lois anciennes, d'en appliquer d'autres qu'on avait oubliées, d'en oublier certaines qui gênaient la réforme" (p. 43). À cette fin et à l'intention des pasteurs et des canonistes, Yves de Chartres a affiné l'art de la dispensatio, comme "mise en œuvre par les responsables de l'Église de la miséricorde même de Dieu" (p. 39). Cette doctrine canonique, Jean Werckmeister la présente avec clarté, il en indique l'intérêt et la situe par rapport aux traditions grecque et latine. Cette introduction est excellente et je ne permettrai qu'une petite observation, à propos de la numérotation hébraïque des psaumes (p. 65, n. 7) : une telle option conduit à des impasses, lorsque le texte latin indique explicitement le numéro du psaume selon la Vulgate, ce qui n'est pas rare. Or, pour la commodité des lecteurs, les éditions modernes de la Bible fournissent les deux numérotations, il n'y a donc pas lieu de s'écarter de l'usage latin.
Il reste à souhaiter la publication, dans les plus brefs délais, des autres volumes déjà annoncés d'une collection qui fera connaître le vaste patrimoine du droit canonique latin. Que la fréquentation de ces volumes suscite aussi l'envie d'apprendre le latin !

Marcel METZGER

Ivan ZUZEK, Understanding the Eastern Code, foreword by Z. Grocholewski, Roma, Ponficio Istitituto orientale, 1997, 479 p. (Kanonika, dir. G. Nedungatt, 8).

Le directeur de la collection Kanonika a droit à la reconnaissance de tous ceux qui s'intéressent au nouveau code de droit canonique oriental en réunissant en un volume seize articles du père Ivan Zuzek dispersés dans diverses publications, dont certaines sont difficilement accessibles. On connaît le rôle qu'a joué l'auteur de ces études dans l'élaboration du code des canons des Églises orientales (Codex canonum Ecclesiarum orientalium), promulgué par le pape Jean-Paul II le 18 octobre 1990. Du premier au dernier jour, de 1972 à 1990, en sa qualité de Secrétaire de la commission pour la révision du code de droit canonique oriental, le père Zuzek a été l'âme de la codification ; aucun des 1546 canons que compte le code n'a été formulé sans qu'il y ait mis la dernière main. La mise au point de certains de ces canons a posé de réelles difficultés et maints problèmes, car il s'agissait à la fois d'être fidèle à la tradition orientale du 1er millénaire, de tenir compte de la primauté de l'évêque de Rome et de favoriser l'œcuménisme en essayant d'aplanir les susceptibilités suscitées par la présence des Églises orientales catholiques en face des Églises orthodoxes.
Le père Zuzek est un parfait connaisseur des institutions canoniques des Églises orientales, qu'il a enseignées depuis 1963 à l'Institut pontifical oriental de Rome, avant de devenir en 1967 le recteur du même institut. Il a publié en 1992 deux ouvrages concernant le nouveau code : les Modifiche dello schema codicis iursi canonici orientalis al testo definitivo del codex canonum Ecclesiarum orientalium (cf. RDC 45, 1995, p. 164-165) et le remarquable Index analyticus Codicis canonum Ecclesiarum orientalium (cf. RDC 45, 1995, p. 166-167). Les 16 articles qui figurent dans le présent volume sont un complément indispensable à une étude approfondie de certaines dispositions de la nouvelle législation. Cinq de ces articles ont paru avant la promulgation du code ; les autres sont postérieurs. Il s'agit d'études très fouillées sur des points particuliers.
Il n'est impossible d'en donner même un court aperçu ; nous devons nous contenter d'indiquer les divers thèmes traités dans les seize études. Les voici : - La juridiction des évêques orthodoxes après le concile Vatican II. - Les canons concernant l'autorité patriarcale sur les fidèles de leurs propres rites qui vivent en dehors des limites du territoire patriarcal. - Le problème de l'économie dans les travaux de la commission pour la révision du code oriental. - La question des Églises de droit propre dans la révision du code. - La présentation du code des canons des Églises orientales. - Quelques notes sur la structure des Églises orientales. - Réflexions au sujet de la constitution apostolique Sacri canones par laquelle le code oriental a été promulgué. - Les canons qui comportent des concordances avec le code latin et ceux qui se caractérisent par des omissions, notamment dans les titres I et III, concernant les fidèles et surtout les cardinaux, la curie romaine et les légats pontificaux. - Les canons communs et les expériences ecclésiales dans les diverses Églises orientales catholiques. - Un code pour une variété d'Églises. - Répercussion du code des canons des Églises orientales dans l'histoire moderne de l'Église universelle (une très longue et importante étude). - Répartitions bipartites et tripartites des fidèles dans le CIC et dans le CCEO. - Quelques remarques sur le droit particulier dans le nouveau code. - Les différentes commissions instituées par l'autorité romaine pour l'interprétation des textes législatifs. - L'idée de Gasparri d'un code de l'Église universelle comme "point de départ" de la codification canonique orientale. - L'autorité et la juridiction supérieure de l'Église dans la tradition orientale catholique.

René METZ

 

Jean-Paul WILLAIME, Sociologie des religions, Paris, PUF, 1995, 128 p. (coll. Que Sais-je ?, n° 2961).

Les présentations générales de la sociologie des religions sont relativement rares : en France, depuis l'ouvrage de référence de Danièle Hervieu-Léger (Vers un nouveau christianisme ?, Paris, Éditions du Cerf, 1986), n'était guère parue qu'une traduction de l'Italien Enzo Pace (La Sociologie des religions, Paris, Éditions du Cerf, 1994). On se doute que l'exercice est périlleux : parler en 128 pages d'un sujet aussi vaste et difficile est un défi que J.-P. Willaime, directeur d'études à l'École pratique des Hautes Études de Paris, a brillamment relevé.
Les pères fondateurs sont convoqués : Karl Marx, Friedrich Engels, Alexis de Tocqueville, Émile Durkheim, Marcel Mauss, Georg Simmel, Max Weber, etc., sur la base d'une distinction entre "sociologie religieuse" (qui étudie le phénomène religieux en général) et "sociologie des religions" (qui s'intéresse plutôt à telle religion particulière : sociologie du catholicisme, du protestantisme, etc.). Cette dernière s'est développée à partir des Églises chrétiennes elles-mêmes, soucieuses d'efficacité pastorale (le P. Lebret, le chanoine Boulard, le chanoine Houtart, Roger Mehl...), puis a obtenu au cours des années 1950 une reconnaissance universitaire et scientifique (Gabriel Le Bras, le Groupe de Sociologie des religions du CNRS...). Une des questions longuement débattue fut celle de la pratique cultuelle comme indicateur sociologique ; J.-P. Willaime considère que, s'il convient d'en faire un usage lucide (la pratique dominicale est obligatoire dans le catholicisme, pas dans le protestantisme : elle n'a donc pas la même signification dans ces deux confessions), elle n'en reste pas moins un instrument irremplaçable de comparaison dans le temps et l'espace. Ainsi, la baisse de la pratique catholique en France a-t-elle conduit à classer aujourd'hui dans la catégorie des "pratiquants réguliers" ceux qui vont à la messe "au moins une fois par mois" : c'est significatif d'une évolution.
La situation actuelle de l'Occident est longuement décrite. Les "nouveaux mouvements religieux" (que d'aucuns préfèrent appeler "sectes") sont présentés en quelques pages denses : Église de Scientologie, Soka Gakkaï, "nébuleuse mystique-ésotérique", "syncrétisme scientifico-religieux", etc., sont plutôt tournés vers l'ici-bas et constituent de véritables "multinationales de biens du salut". Les divers intégrismes et progressismes, catholiques, protestants, juifs, musulmans, Témoins de Jéhovah, sont comparés entre eux. Les religions séculières ou les substituts de religion sont évoqués (culte rendu aux stars, manifestations sportives, etc.). Ce qui caractérise la situation contemporaine, c'est la dissémination du croire et le relâchement des appartenances ecclésiales, l'individualisation et la subjectivisation du sentiment religieux : do it yourself ! Ainsi, nombreux sont aujourd'hui les chrétiens qui "importent" la foi en la réincarnation dans leur propre système de croyances.
On dit parfois que notre époque est celle de la "postmodernité". J.-P. Willaime estime que nous vivons plutôt une période de radicalisation et d'universalisation de la modernité : nous sommes dans des temps "ultramodernes" ou "surmodernes", caractérisés non par leur rejet du mouvement, mais par leur inquiétude face au progrès. Dans ce contexte de modernité désenchantée, le religieux "fait mémoire", il aide à reconstituer des identités, il contribue à réinventer le passé. On retrouve là les thèses de Danièle Hervieu-Léger (La Religion pour mémoire, Paris, Éditions du Cerf, 1993), avec lesquelles J.-P. Willaime garde cependant quelque distance.
Enfin, l'auteur propose, après tant d'autres, sa propre définition de la religion, inspirée de Max Weber : elle est "une communication symbolique régulière par rites et croyances", "mettant en jeu une relation avec un pouvoir charismatique".
On le voit, ce petit livre très pédagogique n'offre pas seulement un excellent status quaestionis : il témoigne en même temps de l'effort de recherche et de réflexion de son auteur, qui est l'un des meilleurs spécialistes français de la question. On appréciera tout particulièrement l'ouverture internationale de son information, ouverture qu'illustre la bibliographie en fin d'ouvrage.


Jean WERCKMEISTER

 

Le Concile Vatican II (1962-1965), édition intégrale définitive . Texte latin et traduction française avec index et tables. Préface de Giuseppe Alberigo . Traduction de Raymond Winling , Paris, Les Éd. du Cerf, 2003, 717 p.

On ne disposait pas jusqu'à présent, en français, d'une édition à la fois pratique et parfaitement recommandable des textes de Vatican II. Celles en plusieurs volumes sont peu maniables. La plus répandue, publiée aux éditions du Centurion, propose d'ex­cellents index, mais la traduction y est parfois fautive.

Voici donc, quarante ans après l'événement, une édition « inté­grale définitive ». C'est du moins l'éditeur qui l'affirme. Le texte latin est définitif depuis près de quarante ans, puisque c'est celui qui a été officiellement publié en 1966 par le secrétariat du concile. Quant au caractère intégral, on note l'absence des « mes­sages » du concile (aux gou­vernants, aux hommes de pensée et de science, aux artistes, aux femmes, aux travailleurs, aux pauvres, aux mala­des, aux jeunes), qui ne font sans doute pas partie des textes « promulgués », mais qui n'en sont pas moins une des expressions conciliaires qui ont marqué l'opinion publique.

Il s'agit en réalité de la reprise, en un seul volume, du texte latin et de la traduction française déjà publiés en 1994 dans le tome II-2 des « Conciles œcuméniques », sous la direction de G. Alberigo. La traduction française est l'œuvre de M. Raymond Winling, pro­fesseur à la Faculté de théologie catholique de Strasbourg. Elle corrige fort heureusement les inexactitudes de la tradution du Centurion. Ainsi, le célèbre « Haec ecclesia subsistit in ecclesia catholica » de Lumen gentium 8 est rendu par « Cette Église “est présente” dans l'Église catholique », alors que la traduction du Centurion commet un contresens : « Cette Église, c'est l'Église catholique ». Les pères conciliaires avaient justement remplacé le verbe « est » par « subsistit » pour éviter l'assimilation pure et sim­ple de l'Église de Dieu avec l'Église catholique romaine.

Les index sont tirés, eux aussi, de l'édition des « Conciles œcuméniques ». Ils sont nombreux et bien faits. On appréciera tout particulièrement celui qui indique les renvois conciliaires aux textes canoniques : six renvois au Décret de Gratien, deux aux Décrétales de Grégoire IX, dix-sept au Code de droit canonique (de 1917) et seize au Code oriental (ancien).

Jean Werckmeister

 

Paul Winninger, Le conseil presbytéral sous les épiscopats Elchinger et Brand. L’évolution de l’Église en Alsace de 1967 à 1997, Publications de l’ERCAL 13, Strasbourg 1998, 350 p.

Dans cette importante publication de l’ERCAL (Équipe de Re­cherche sur le Catholicisme en Alsace et Lorraine, une des équipes de notre Faculté), le professeur Paul Winninger retrace l’histoire d’une institution mise en place par le concile Vatican II, le Conseil du Presbyterium (CP). L’étude couvre les trente dernières années, dans le diocèse de Strasbourg. Après une présentation de la réalité étudiée, avec les références aux textes fondateurs, l’A. propose un journal détaillé de toutes les sessions de ce conseil. Dans une deuxième partie il présente les activités des différentes commis­sions : lecture des signes des temps, mise en place de structures pastorales (équipes de prêtres), actions diocésaines, soutien du ministère pastoral (recrutement, formation, conditions de vie). Dans la troisième partie, il fait le tour des différents domaines de l’action pastorale en examinant les apports, mais aussi les man­ques du CP. L’A. a d’abord puisé dans l’immense trésor des notes personnelles qu’il a recueillies systématiquement au long des années. De plus, on lui sait gré d’avoir exploité une vaste docu­mentation, propre à en décourager plus d’un (p. 9), d’avoir publié quantité de documents restés jusque là inédits, les complétant par des statistiques précises et des tableaux, et d’avoir réuni de nom­breux documents concernant la mise en place des institutions pastorales décidées par le concile Vatican II.

Dépassant la seule description historique, l’A. a également fait œuvre de théologien et de canoniste (il est juge à l’Officialité de Strasbourg), et cela dans un domaine encore si mal servi, la théo­logie pastorale. S’étant lui-même pleinement investi dans le ministère paroissial, il a saisi au passage et traité toutes les grandes questions posées à la pastorale de notre temps : réalité de l’Église locale, œcuménisme, évangélisation, catéchèse, liturgie, ministères. Il nous livre ainsi tout à la fois une histoire récente des institu­tions ecclésiastiques du diocèse de Strasbourg, une chronologie des événements politiques et sociaux des trente dernières années, une histoire des mouvements de pensée dans la société et dans l’Église, au plan mondial et dans le diocèse de Strasbourg, une histoire de la pastorale. Au passage, il met le doigt sur quelques plaies vives des fonctionnements ecclésiastiques : l’inconstance dans l’action, dont témoignent tant de chantiers abandonnés peu après leur ouverture, l’inflation dans la production d’enquêtes, « les inutilités, naïvetés et bavardages » (p. 149 et 202), le traitement infligé à la pastorale de la réconciliation, les déficiences dans l’appel au ministère presbytéral, etc. Il ne se contente pas de signaler les déficiences, il propose aussi des pistes d’avenir. Ces propositions, il a eu lui-même l’occasion de les formuler devant le CP, dont il a été tantôt membre, tantôt conseiller invité. Elles intéresseront les canonistes engagés dans la rénovation des insti­tutions de gouvernement pastoral.

Marcel Metzger