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La tentation du cléricalisme (n°70, 2020)

RÉSUMÉS

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Michele Cutino, Sacerdoce et sainteté de vie selon Ambroise de Milan, RDC 70, 2020, p. 29-44.

Après avoir rapidement pris en considération l’horizon biblique de référence et les premiers témoignages chrétiens sur ce thème, dans cette contribution on a cherché à aborder le phénomène de la sacerdotalisation sur le plan des valeurs de référence à la lumière desquelles cette tendance est justifiée du point de vue ecclésial et moral. En particulier on s’est concentré sur des textes d’Ambroise de Milan qui nous font bien comprendre que la sacerdotalisation n’est que la traduction, sur le plan normatif des institutions ecclésiastiques, d’un présupposé idéologique graduellement construit : c’est-à-dire de l’idée que seul doit s’occuper des choses de Dieu celui qui a montré à travers sa vie exceptionnelle qu’il est digne de l’élection également exceptionnelle dont il a été le destinataire privilégié. En bref, l’histoire de la sacerdotalisation au 4e s. est au final l’histoire de l’élaboration progressive d’un modèle de sainteté qui justifie sur le plan des valeur la distinction progressive, à l’intérieur des baptisés, entre chrétiens plus ou moins proches de Dieu, en fonction de l’évolution de la praxis liturgique.

François-Régis Ducros, Regards sur le clerc dans la société médiévale occidentale, RDC 70, 2020, p. 45-66.

La récente stigmatisation pontificale du cléricalisme entend s’attaquer à la racine des exactions dans l’Église, partant du postulat que les maux dont souffre la communauté résident dans cet abus de l’autorité cléricale ou « cléricalisée ». L’approche rétrospective permet assurément de découvrir l’ancienneté d’une pareille dénonciation et, peut-être, d’en reconnaître des prémisses dans l’affirmation du clergé séculier médiéval.

Nicole Lemaître, Le prêtre supérieur aux anges ? Un idéal pastoral en application (16e-17e siècle), RDC 70, 2020, p. 67-88.

Les origines du cléricalisme ne sont pas seulement psychologiques ou sociales. Elles plongent dans la construction d’une image du prêtre radicalisée face à la Réforme protestante aux 16e-17e s. La supériorité du clerc ordonné était jusque là un idéal personnel de perfection ; elle devient une orientation ecclésiologique du catholicisme dont les conséquences provoquent les blocages actuels. Dans le catholicisme nouveau, le prêtre est mis à part des baptisés et supérieur aux anges. Les critiques anticléricales ne feront ensuite que renforcer les choix originels faits par le concile de Trente et l’Ecole française de spiritualité. Connaître les circonstances et les éléments de ces choix contingents permettront-ils de trouver d’autres interprétations de la place du prêtre dans la communauté ? Comme au 16e siècle, c’est aux théologiens actuels d’y travailler.

Denis Fricker, Pouvoir et autorité dans le discours ecclésial de Mt 18, RDC 70, 2020, p. 91-114.

Le discours attribué à Jésus en Mt 18 est dit « ecclésial » parce qu’il présente des règles communautaires originales qui –sous l’autorité du royaume des cieux, à l’occasion complétée par celle de l’Église– laissent une place prépondérante aux « petits » et régulent la prise en compte du péché soit par une exclusion encadrée, soit par la pratique du pardon. Certains de ces passages évangéliques sont évoqués par Hannah Arendt, lorsqu’elle décrit le pouvoir positif d’une collectivité pour le distinguer de l’autorité qui garantit le développement et la préservation de ce pouvoir partagé. Cette distinction met en exergue les enjeux qui sous-tendent une ecclésiologie matthéenne cherchant sa voie entre idéal égalitaire, assomption des réalités humaines et anticipation du jugement eschatologique. Le juste équilibre entre ces enjeux conditionne l’extension du pouvoir ecclésial collectif. Le rôle de l’autorité consiste alors à garantir ce pouvoir sans le confisquer, cette dernière option relevant du cléricalisme.

Alphonse Borras, Cléricalisme, ordo ecclesiae et ordonnancement juridique. Pour une qualification canonique du cléricalisme, RDC 70, 2020, p. 115-152.

Comment qualifier canoniquement le cléricalisme ? Ce mot appelle des clarifications pour en déterminer le sens et la portée. Pour le pape François, il représente une manière déviante de concevoir l’autorité dans l’Église, une perversion de l’exercice du pouvoir en son sein. Sous cet angle, il est pris en considération dans le Livre VI du Code sous la figure de différents délits. C’est en effet l’ordo ecclesiae qu’il faut protéger et le droit canonique offre à cet effet quelques repères tels que le respect des fidèles, la promotion de la synodalité, le pouvoir légitime en ses conditions d’exercice ainsi qu’une culture du rendre compte.

Marie-Jo Thiel, Les dys-relations déshumanisantes du cléricalisme, RDC 70, 2020, p. 153-176.

La contribution aborde le caractère systémique du cléricalisme dénoncé par le pape François comme un aspect décisif de la crise des abus (sexuels, spirituels, financiers, de conscience et de pouvoir) dans l’Église catholique. Elle l’envisage comme une forme de dysrelations entre clercs (sacerdotes) et laïcs qui se sont installées progressivement et se sont aggravées à partir du Concile de Trente : véritable cercle vicieux où l’excès de pouvoir et entre-soi clérical s’auto-engendrent et aboutissent à des abus qui perdureront si l’Église ne se réforme pas jusqu’au cœur du « système » qui a permis ce mal.

Jacques-Benoît Rauscher, Le cléricalisme : excès ou carence d’institution ?, RDC 70, 2020, p. 177-195.

Ces dernières années, le terme « cléricalisme » a parfois été utilisé pour dénoncer l’excès de prérogatives que l’institution ecclésiale s’octroie à elle-même ou, à l’inverse, un attachement excessif de certains individus à celle-ci. En s’inspirant de travaux sociologiques sur le « modèle institutionnel », cet article se propose de lire le cléricalisme d’abord comme une relation brisée entre ces deux niveaux et une manifestation d’un déficit institutionnel de légitimation de la position des clercs.

Michel Steinmetz, La liturgie, école de décentrement, RDC 70, 2020, p. 199-223.

En liturgie, les « abus » ne sont pas que de l’ordre de l’irrévérence rubricale : ils peuvent parfois être les symptômes ou les épiphénomènes de désordres plus graves touchant à une perversion du mystère de l’Église, y compris dans son rapport aux personnes. La liturgie possède un langage propre qu’il convient d’appréhender comme tel. De fait le « cléricalisme » ne fait pas partie ni de son vocabulaire, ni de sa nature puisqu’elle s’exprime dans une pluralité de ministères qui agissent en « écosystème ». Dans ces relations interpersonnelles, le rite devient une instance pertinente de régulation, et donc aussi didactique voire thérapeutique, pour (ré)apprendre la vertu d’une juste distance entendue comme esthétique de l’« aptum ». C’est ainsi que se dévoile le caractère épiphanique de la liturgie. L’assemblée y joue certes un rôle décisif : elle est communauté de salut. Pourtant le Christ se révèle comme le passage obligé, unique chemin vers le Père et médiateur de toute relation. La liturgie apparaît comme communion au mystère pascal et y oblige. Elle est donc école de décentrement.

Bertrand Dumas, Pour une théologie de l’ordinaire avec Henri de Lubac et Madeleine Delbrêl, RDC 70, 2020, p. 225-253.

Postulant une convergence entre la tentation du cléricalisme et un certain mépris postmoderne de l’humble vie ordinaire, nous croiserons le regard de deux auteurs jamais rapprochés jusque-là : Henri de Lubac et Madeleine Delbrêl. L’un pense le salut de la grande histoire humaine, l’autre témoigne de la grâce à l’œuvre dans l’histoire en minuscule (celle des jours et des heures qui passent, anodins). Les deux ensemble nous convient à approfondir le regard et à dépasser un rapport spectaculaire à l’existence humaine et théologale.

Luc Forestier, Les ministères parmi les autorités dans l’Église. Pour éviter tout risque de verticalisation, RDC 70, 2020, p. 255-284.

Prendre conscience de la pluralité des autorités dans l’Église est indispensable pour éviter toute verticalisation des ministères, en particulier dans l’Église catholique. Cet article cherche à comprendre d’où vient la tentation récurrente de « protéger l’Église » en illustrant ce risque de recroquevillement et de verticalisation des ministères, à partir de quelques épisodes récents comme le Synode pour l’Amazonie (2019). Il s’agit aussi de proposer des ressources théologiques pour mieux situer les ministères à l’intérieur d’un système plus large qui comprend aussi la liturgie, le canon des Écritures et la structure trinitaire de la foi chrétienne.

Thibault Joubert, Remédier au cléricalisme. Proposition canonique pour une diversification de la cléricature, RDC 70, 2020, p. 285-309.

La dénonciation du « cléricalisme » comme cause de la crise des abus dans l’Église vient interroger la compréhension même de la cléricature. L’identification récente entre la cléricature et le ministère ordonné s’est faite dans le contexte d’une théologie catholique du sacrement de l’ordre qui n’a pas encore su résoudre toutes ses ambigüités. Afin de remédier à cet état de fait, l’auteur propose de redécouvrir la diversité structurelle des ministères ecclésiaux notamment au moyen d’une application élargie de la cléricature pour ceux qui exercent un ministère au nom de l’Église, y compris sans avoir reçu le sacrement de l’ordre.


Michele Cutino, Sacerdotium and holiness of life according to Ambrose of Milan, RDC 70, 2020, p. 29-44.

After a brief consideration of the biblical horizon of reference and the first Christian testimonies on this theme, this contribution has sought to approach the phenomenon of « sacerdotalization » in terms of the reference values in the light of which this tendency is justified from an ecclesial and moral point of view. In particular, we have focused on texts by Ambrose of Milan which make it clear that sacerdotalization is merely the translation, at the normative level of ecclesiastical institutions, of a gradually constructed ideological presupposition : that is, the idea that only those who have shown through their exceptional life that they are worthy of the equally exceptional election of which they have been the privileged recipients, should be concerned with the things of God. In short, the history of sacerdotalization in the 4th century is ultimately the history of the gradual development of a model of sanctity that justifies in terms of values the progressive distinction, within the baptised, between Christians who are more or less close to God, according to the evolution of liturgical praxis.

François-Régis Ducros, Views on The Cleric in The West Medieval Society, RDC 70, 2020, p. 45-66.

The recent pontifical stigmatisation of clericalism is intended to address the root of abuses in the Church, on the assumption that the evils from which the community suffers lie in this abuse of clerical or « clericalized » authority. The retrospective approach certainly allows us to discover the antiquity of such a denunciation and, perhaps, to identify its premises in the rise of the medieval secular clergy.

Nicole Lemaître, The priest higher than the angels ? A pastoral ideal in application (16th-17th century), RDC 70, 2020, p. 67-88.

The origins of clericalism are not merely psychological or social. They lie deeply embedded in the image of the radicalised priesthood that was constructed in response to the protestant Reformation of the 16th-17th. Centuries. The superiority of an ordained cleric embodied the pursuit of a personal ideal of perfection ; it became an ecclesiological stance within catholicism whose consequences are at the root of the current impasse. In renewed post-Reformation catholicism the priest is set apart from the baptised and ranked above the angels. Subsequent anticlerical critiques only served to reinforce the choices made by the Council of Trent and the French School of Spirituality. Is it not through understanding the contexts and the key elements in the choices that were made at that time that we shall discern other interpretations of the role of the priesthood in the community ? As in the sixteenth century, we look to the theologians of our own day to work out the answers.

Denis Fricker, Power and authority in the ecclesial discourse of Mt 18, RDC 70, 2020, p. 91-114.

The discourse attributed to Jesus in Mt 18 is so-called « ecclesial » because it presents original community rules under the authority of the kingdom of heaven, exceptionally supplemented by that of the Church. These rules give a preponderant place for the « little ones » and regulate the consideration of sin, either through framed exclusion or through the practice of forgiveness. Some of these Gospel passages are quoted by Hannah Arendt, when she describes positive collective power to distinguish it from the authority that guarantees the development and preservation of this shared power. This distinction highlights a still hesitant Matthean ecclesiology seeking its way between egalitarian ideals, assumption of human realities and expectation of eschatological judgement. The right balance between these stakes’ conditions the extension of collective ecclesial power. The role of the authority consists then in preserving this power without confiscating it, the latter being a clerical option.

Alphonse Borras, Clericalism, ordo ecclesiae and juridical order. For a canonical characterisation of clericalism, RDC 70, 2020, p. 115-152.

How can clericalism be canonically qualified ? This word needs to be clarified to determine its meaning and scope. For Pope Francis, it represents a deviant way of conceiving authority in the Church, a perversion of the exercise of power within it. From this point of view, it is taken into consideration in Book VI of the Code under the figure of various offences. It is in fact the ordo ecclesiae that must be protected, and canon law offers a number of points of reference in this regard, such as respect for the faithful, the promotion of synodality, legitimate power in its conditions of exercise and a culture of accountability.

Marie-Jo Thiel, The dehumanising dys-relations of clericalism, RDC 70, 2020, p. 153-176.

The contribution discusses the systemic character of the clericalism denounced by Pope Francis as a critical component of the crises of abuses (sexual, spiritual, financial, of conscience and power) in the Catholic Church. It views it as a form of disconnection (dysrelations) between the clergy (sacerdotes) and the laity which progressively normalized and worsened from the time of the Council of Trent : a real vicious circle in which an excessive clerical aristocracy becomes self-generating and translates into abuses that will continue if the Church does not profoundly reform herself up to the heart of the « system » that has allowed this evil.

Jacques-Benoît Rauscher, An excess or a deficiency of the institution ?, RDC 70, 2020, p. 177-195.

In recent years, the term « clericalism » has sometimes been used to denounce the excessive prerogatives that the church as institution accords to itself or, alternatively, to criticize an excessive attachment of certain individuals to those prerogatives. Drawing inspiration from sociological research on the « institutional model », this article reads clericalism as, primarily, a broken relationship between the individual and the institution and a manifestation of an institutional deficit in legitimizing the position of clerics.

Michel Steinmetz, The liturgy, a school of decentring, RDC 70, 2020, p. 199-223.

In the liturgy, « abuses » are not just a matter of rubrics : they can sometimes be symptoms of more serious disorders involving a perversion of the mystery of the Church. The liturgy has its own language which should be understood as such. In fact, « clericalism » is neither part of its vocabulary nor of its nature, since it is expressed in a plurality of ministries that act as an « ecosystem ». In these interpersonal relations, the rite becomes a relevant place of regulation in order to (re)learn the virtue of a just distance. This is how the epiphanic character of the liturgy is revealed. Of course the assembly plays a decisive role in it : it is a community of salvation. Yet Christ reveals himself as the necessary passage, the only way to the Father and the mediator of every relationship. The liturgy appears as a communion with the Paschal Mystery and obliges us to it. It is therefore a school of decentring.

Bertrand Dumas, For a Theology of the Ordinary with Henri de Lubac and Madeleine Delbrêl, RDC 70, 2020, p. 225-253.

Postulating a convergence between the temptation of clericalism and a certain postmodern contempt for the humble ordinary life, we will summon together two authors who have never been brought together before : Henri de Lubac and Madeleine Delbrêl. One thinks of the salvation of the great human history, the other testifies to the grace working in the tiny history (that of the days and hours that pass, harmless). The two together invite us to deepen our gaze and to go beyond a spectacular relationship to human and theological existence.

Luc Forestier, Ministries among the authorities in the Church. Limiting the risks of verticality, RDC 70, 2020, p. 255-284.

Awareness of the plurality of authorities in the Church is essential to avoid too vertical a conception of ministries, especially in the Catholic Church. This article, starting from some recent episodes such as the Synod for the Amazon (2019), seeks to understand the origin of the recurrent temptation to « protect the Church » by illustrating this risk of verticalizing ministries. The article also addresses the question of proposing theological resources to better situate ministries within a broader system that also includes the liturgy, the canon of the Scriptures and the Trinitarian structure of the Christian faith.

Thibault Joubert, Remedying clericalism. Canonical proposal for a diversification of the clerical ministries, RDC 70, 2020, p. 285-309.

The denunciation of « clericalism » as cause of the crisis of abuse in the Church questions the very understanding of the clerical ministry. The recent identification between the clericature and the ordained ministry has taken place in the context of a Catholic theology of the sacrament of Holy Orders which has not yet been able to resolve all its ambiguities. In order to remedy this state of things, the author proposes to revisit the structural diversity of ecclesial ministries, in particular by means of a wider application of the clericature to those who exercise a ministry in nomine Ecclesiae, even without having received the sacrament of Holy Orders.

 

 

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